Organiser la résistance au Brésil et la solidarité internationale contre le gouvernement néofasciste de Bolsonaro

Solidarité avec les travailleurs, les Noirs, les femmes, les jeunes, les Indiens, les peuples premiers, les paysans, les sans-terre, les sans-abri, la communauté LGBTI, les enseignants, les professeurs, les scientifiques et les artistes brésiliens qui seront la cible des politiques ultralibérales, conservatrices et autoritaires du nouvel occupant du palais de Planalto.

Avec ce virage politique à l’extrême droite dans le plus grand pays d’Amérique du Sud, les acquis sociaux et démocratiques des deux dernières décennies en Amérique latine sont plus que jamais menacés. La situation exige une large mobilisation de toutes les forces politiques et sociales du monde, engagées dans la démocratie, dans la lutte pour l’environnement, contre l’oppression et les inégalités de toutes sortes.

Le résultat final des élections présidentielles d’octobre dernier au Brésil a catapulté au pouvoir le député et ancien capitaine de l’armée, Jair Messias Bolsonaro. Il y a encore un an, il était considéré comme un outsider, avec à peine 10 % d’intentions de vote, malgré 28 ans passés au Parlement. Le président élu au Brésil était un personnage presque folklorique, avec ses postures de défense non dissimulée de la dictature militaire (1964-1985) et de la torture, sa volonté de généraliser le « tir pour tuer » et l’incarcération de masse pour le traitement de la sécurité publique, sa bigoterie empotée contre les féministes et les femmes, ses flagrants préjugés contre les gays, les lesbiennes et les transgenres ainsi que tous les marginalisés, et son mépris des plus élémentaires droits sociaux, comportementaux et du travail.

Ce personnage ultra-droitier, soutenu par l’agro-industrie du bétail, une partie du système financier, la plupart des églises évangéliques néopentecôtistes, la plupart des classes moyennes urbaines riches et des larges secteurs populaires, sera investi 38e président de la République fédérative du Brésil, le 1er janvier 2019. Avec 55 % des suffrages, Bolsonaro arrive au pouvoir après la campagne électorale la plus polarisée et la plus violente de l’histoire du système politique inauguré en 1985 avec la fin de la dernière dictature militaire – la dite Nouvelle République (1). Ce fut aussi l’élection brésilienne marquée de manière décisive par la manipulation des fausses nouvelles par les médias sociaux, avec la participation très probable de personnalités et d’entreprises étrangères.

Ce n’était pas des élections comme les autres. L’ambiance préélectorale a été initiée par un assassinat et par la persécution de celui qui était en tête des sondages. Ce fut un nouveau chapitre du polar du coup d’État institutionnel de 2016, qui a écarté le Parti des travailleurs (PT) du gouvernement. L’assassinat, c’est celui de Marielle Franco, conseillère municipale du PSOL à Rio, militante féministe, noire et LGBT, qui a été assassinée le 14 mars. Sa mort ainsi que celle du chauffeur, Anderson Gomes, n’ont toujours pas été élucidées. Il s’agit d’un message macabre des forces les plus réactionnaires à tous les Noir·es, à tous les habitant·es des quartiers populaires, à toutes les féministes et à toutes et tous les LGBT, sous une forme institutionnelle inédite. La persécution a visé Lula, le leader du PT, et a été perpétrée par les hautes chambres du pouvoir judiciaire, les partis traditionnels et le Congrès, ainsi que par des bolsonaristes de base (qui ont même fait feu sur le bus d’une caravane de l’ancien président dans le sud du pays). C’était une reconstruction du coup d’État, permettant d’emprisonner Lula le 7 avril à l’issue d’un procès très contestable.

Début septembre, Bolsonaro a été poignardé par un « loup solitaire » alors qu’il était en campagne à Juiz de Fora (Minas Gerais). Cette agression l’a conduit plusieurs fois au bloc opératoire, a mis sa vie en danger, lui a fourni l’aura d’un héros survivant et le prétexte pour éviter les débats contradictoires – où il avait du mal à s’en sortir, comme il l’avait déjà démontré. À partir de cet épisode, la polarisation a atteint des niveaux jusque-là inconnus au Brésil.

Les premiers sondages électoraux concernant le second tour annonçaient une victoire écrasante du capitaine-candidat, ce qui finalement ne s’est pas produit. La victoire au premier tour du néofasciste a imposé l’unité et la mobilisation de la majorité des forces de gauche et démocratiques, dans une action unifiée regroupant des millions de militants et de personnes qui descendaient dans la rue pour la première fois afin de « changer le vote ». Les mobilisations en faveur de Haddad au cours des deux dernières semaines d’octobre ont été renforcées par la révélation par Folha do S. Paulo de l’utilisation par Bolsonaro du financement illégal des entreprises pour payer les fausses nouvelles dans l’application Whats App – une pratique semblable à celle déjà utilisée par Donald Trump en 2016 sur Facebook. Nombre d’électeurs de Bolsonaro ont préféré ne pas voter ou annuler leur vote. Mais la campagne fasciste n’a pas faibli : le candidat a répondu dans le discours sur l’avenue de São Paulo, promettant de rayer de la carte les « rouges » et le principal journal du pays. Le climat dans le pays devint celui d’agressions physiques visant les militants pro-Haddad, qui a coûté la vie à un maître de capoeira (2) à Salvador de Bahia.

Néanmoins, Bolsonaro a devancé Haddad de 10 millions de suffrages (55 % contre 45 %) – un avantage très significatif – en remportant la victoire dans la majorité des États, à l’exception de ceux du Nord-Est et de Para (Amazonie). Néanmoins, le PT a réussi à conserver le plus grand groupe à la Chambre des députés (56 sièges contre 52 pour le PSL de Bolsonaro) ainsi que les gouvernements de tous les États du Nord-Est (avec ses alliés). En même temps, l’extrême droite a conquis les gouvernements des États riches et stratégiques du Sud-Est : Rio, São Paulo, Minas Gerais. Le noyau dur de la coalition soutenant Bolsonaro compte un groupe de 90 députés, mais son alliance pourrait atteindre plus de 200 votes sur un total de 534.

Comment Bolsonaro était-il possible ?

Il est impossible de comprendre l’ascension de Jair Bolsonaro sans revenir quelques années en arrière et reprendre les principales caractéristiques et événements qui ont marqué les 13 années de gouvernement du PT, renversé par le coup institutionnel de 2016.

Au gouvernement fédéral, le PT a bénéficié, entre 2003 et 2013, de l’essor mondial des exportations de produits de base. Même en approfondissant la désindustrialisation du pays, sa politique basée sur l’extraction exportatrice a permis aux administrations de Lula (2003-2010) et à la première de Dilma (2011-2014) de garantir des profits extraordinaires au capital financier, à l’agro-industrie et de financer par des ressources publiques les grands groupes capitalistes dans la construction, les mines, les télécommunications et la viande.

Mais les gouvernements du PT ont néanmoins promu des politiques de redistribution – limitées, mais avec un impact réel sur les populations urbaines et rurales les plus vulnérables. Ils ont augmenté le salaire minimum à des taux supérieurs à l’inflation, maintenu le programme Bolsa Família (allocation mensuelle aux familles en dessous du seuil de pauvreté, conditionnée par la scolarisation des enfants) et beaucoup de politiques positives (quotas pour les étudiant·es pauvres, noirs et indigènes dans les universités et les écoles techniques) ainsi que la multiplication des nouvelles universités publiques, écoles publiques et bourses dans les universités privées. Ces mesures, associées à l’encouragement généralisé de la consommation intérieure au moyen des facilités de prêt par les banques publiques, ont permis à beaucoup de travailleurs d’acheter une maison et d’entrer sur le marché de grande consommation, pour la première fois de leur vie.

Néanmoins, dès 2005, avec le scandale de l’achat de voix au parlement par le gouvernement Lula (« mensalão »), le prestige du PT a commencé à baisser. À cette époque, il était clair que le parti, qui avait depuis longtemps abandonné tout discours de classe, n’adopterait aucune sorte de mesure ou de politique pour encourager la participation populaire et citoyenne dans la vie publique. Au lieu de cela, afin de garantir la gouvernabilité du régime de coalition, le PT a fait d’énormes concessions pour maintenir le soutien au Congrès des groupes des églises évangéliques, telles que l’Église universelle du Royaume de Dieu et les secteurs de l’Assemblée de Dieu (ce qui, en 2018, sera décisif pour la victoire de Bolsonaro).

Ces concessions aux propriétaires terriens, aux néo-pentecôtistes et au « groupe de la balle » (représentants de la police et des fabricants d’armes) signifiaient que le PT ne faisait rien pour faire avancer les lignes directrices féministes telles que la décriminalisation et la légalisation de l’avortement, et qu’il paralysait la démarcation des terres autochtones, adoptait des programmes de grandes infrastructures et de grands événements, entrainant l’expulsion des peuples autochtones et des riverains de leurs terres. Le PT n’a nullement avancé une réforme en profondeur du système judiciaire, policier et pénitentiaire pour mettre fin à la guerre contre la drogue, à l’incarcération massive et au génocide du peuple noir (en particulier de la jeunesse des favelas).

En 2013, sous Dilma, le déclin politico-idéologique du PT s’est qualitativement accentué lors des explosions de mécontentement social.

Au cours des gigantesques manifestations pour l’éducation, la santé, l’amélioration des transports urbains, des groupes de droite sont descendus dans la rue pour combattre la gauche et détourner ce mouvement contre la corruption, contre tous les partis politiques et contre le PT en particulier. Contrairement à ce que le PT affirme, juin 2013 n’était pas une explosion de nature réactionnaire, loin de là. Mais il a sans nul doute indiqué à une partie de l’élite que le PT n’était plus si utile qu’auparavant pour garantir la « passivité » des masses. Et la droite et l’extrême droite bénéficient, depuis lors, du soutien décisif des grands médias pour des mobilisations de masse, comme nous l’avons vu lors des grandes manifestations de 2015 et 2016 pour le renvoi de Dilma.

Le rôle du scandale de Lava Jato et la stagnation économique

Le mécontentement politico-social à l’égard du gouvernement s’est fortement intensifié avec la longue stagnation économique, à partir de 2014, qui a imposé une baisse des revenus des secteurs à l’origine du lullisme et a provoqué l’explosion de la violence urbaine et rurale. Une contribution décisive au profond discrédit de Dilma a été le fait que, moins de deux mois après avoir orienté vers la gauche sa deuxième campagne présidentielle (d’août à octobre 2014), elle a commencé à appliquer un programme économique allant à l’encontre de tout ce qu’elle avait promis, avec un ministre pris parmi ses opposants, le néolibéral Joaquim Levy – qui sera maintenant membre du gouvernement Bolsonaro.

La dérive du PT a été accélérée par l’impact sur la conscience des travailleurs du plus grand scandale de corruption, du fait de ses montants et de sa contagion qui a atteint le système politique dans son ensemble : le scandale Petrobras, dévoilé par l’opération Lava Jato (3), impliquait virtuellement tous les partis de la République dans un réseau de pots-de-vin qui s’élevait à des millions. Entre la fin de 2014 et le début de 2015 (plus probablement lorsque Dilma a limogé J. Levy), avec des centaines de milliers de « jaunes-verts » (principales couleurs du drapeau brésilien) dans les rues, mobilisé·es par la droite contre la « corruption », des secteurs fondamentaux du capital brésilien ont rompu avec le soutien qu’ils apportaient au projet de collaboration de classe du PT et ont adhéré au complot qui préparait le coup d’État.

Après la destitution de Dilma, entre avril et septembre 2016, alors que le PT perdait des électeurs, des cadres et des militants (et n'était capable de répondre qu’en dénonçant la persécution), la droite et sa version la plus ultra se sont développées dans la société. Les fractions désespérées de la bourgeoisie et un grand secteur de la classe moyenne, traditionnellement plus réactionnaire (raciste, misogyne, homophobe et craignant les mœurs socialement progressistes des nouvelles générations) ont rejoint l’extrême droite.

La persécution du PT était réelle : la justice et la police fédérale ont été sélectives. Les forces putschistes ont fait abusivement appel au mécanisme de la « négociation de peine ». Lula a été accusé sans preuve claire, puis condamné sans procès équitable. Les médias ont publié les auditions de Lula et de Dilma sans autorisation officielle. Les juges ont fait arrêter plusieurs dirigeants du PT sans qu’il soit manifestement nécessaire de le faire. La destitution était politiquement et juridiquement injustifiable. Cependant, le parti n’a même pas évoqué une autocritique concernant les « mauvaises actions » (pour reprendre l'expression de Dilma) de tant de dirigeants. L'orientation officielle de la direction était d’interdire à Haddad de le faire au cours de la campagne de 2018. Pour la direction du PT, le problème c’étaient des « erreurs » d’un grand nombre d’individus – aujourd’hui en majorité emprisonnés. Pas un mot sur la « façon de gouverner du PT », si bien adaptée aux règles du système politique que le parti s’est inspiré des pires habitudes de ses partenaires oligarchiques.

C'est ainsi qu'un fort rejet du PT est né et s’est développé dans une grande partie de la société brésilienne. Dans les secteurs les plus pauvres, qui avaient bénéficié des années Lula, cela ne s’est pas consolidé... Parmi les jeunes les plus informés et les plus actifs et dans les secteurs de gauche de la classe ouvrière, cette remise en question du PT a peut-être favorisé les votes pour Ciro Gomes, Marina Silva et PSOL. Mais dans de larges secteurs de la riche classe moyenne urbaine, en particulier dans les couches supérieures (et surtout dans le sud-est et le sud), elle est devenue, avec l'aide des médias, de Lava Jato et des partis de droite, une haine aveugle du PT. Une haine aveugle de la gauche et des politiques sociales, mais aussi des idées de Droits humains valables pour tous, de solidarité avec les démunis, et de la notion de faire partie du monde, de la science et de la vérité. Une haine qui s’est étendue à la couleur rouge, à Cuba, au Venezuela, au féminisme, aux gays, aux trans, à l’écologie et à tout ce qui n’est pas un pur individualisme égocentrique, basé sur la théologie de la prospérité, la foi dans le divin marché et les opportunités disponibles pour tous, ainsi que sur le mépris pour ceux qui sont différents.

La combinaison de cet « antipétisme » réactionnaire et de la déception justifiée de millions de travailleurs à l’égard du parti qui leur avait donné tant d’illusions a fait élire Bolsonaro président.

Bolsonaro n’était donc pas (ou ne devrait pas être) une surprise

Bien qu’il abandonne le gouvernement en étant devenu le champion de l’impopularité, incapable de sortir l’économie de la stagnation, Michel Temer a fait le boulot demandé par le capital et a aidé l’élection de Bolsonaro. Le programme radical de gel des investissements publics et de liquidation du droit du travail appliqué par le vice-président de Dilma Rousseff a approfondi la crise économique. La combinaison explosive de cette crise et du profond conservatisme patriarcal et autoritaire, fondé sur l’esclavagisme, toujours latent dans le dernier pays du monde à l’avoir aboli, a fertilisé le sol pour faire croitre l’extrême droite. En tout cas, Bolsonaro n’a pas été le pari principal des secteurs les plus importants de la bourgeoisie brésilienne, qui misaient sur Geraldo Alckmin (PSDB de São Paulo). D’autres secteurs ont misé dès le début sur Bolsonaro : l’industrie de l’armement, le commerce de détail et la majorité de l’agro-industrie.

Nous ne devons pas oublier également la véritable croisade politico-idéologique contre la corruption, alimenté par la « sainte alliance » entre les juges et les procureurs qui opéraient le Lava Jato, les grands médias, et – ce qui est bien connu maintenant – une grande partie des forces armées. Cette campagne de quatre ans a été décisive pour renforcer dans l’opinion publique l’affaissement du système politique, des vieux partis et des personnalités, ainsi que l’illusion du prétendu « sauveur » anti-système incarné par Bolsonaro. Les traditionnels partis gouvernementaux, le PSDB et le MDB, considérés comme représentant l’ancien système, ont été battus aux urnes, obtenant 34 et 29 députés. Alckmin ne pouvait pas être élu.

Manipulation médiatique internationalisée

La manipulation réussie des groupes de Whats App par la campagne de Bolsonaro indique une internationalisation dangereuse des élections brésiliennes et annonce une tendance mondiale. Il est très probable que les conseils pour cette campagne internationale viennent des entreprises liées à Steve Bannon, le stratège de Trump, qui organise actuellement une « internationale » du « populisme » d’extrême droite. Cela a façonné l’intervention étrangère dans le processus électoral brésilien. Il est important de noter que les centres de production de ces données numériques qui influencent les élections, dans ce capitalisme de surveillance (4), sont surtout localisés aux États-Unis. Un autre signe d’adieu aux souverainetés nationales.

Le candidat d’extrême droite a surfé sur les hautes vagues de mécontentement à l’égard du gouvernement corrompu et impopulaire de Temer, de la récession et du chômage, de la politique traditionnelle et du PT. Bolsonaro a réussi à se faire passer pour une personnalité « anti-système ». Son ascension s’inscrit donc parfaitement dans le scénario d’imprévisibilité et d’ingouvernabilité mondiale tracé par le document « Mondialisation capitaliste, impérialismes, chaos géopolitique et leurs implications », adopté par le dernier congrès de la IVe Internationale. Les secteurs du capital au Brésil, déjà assez mondialisés, tels les banques, les compagnies d’assurances et l’agro-industrie, ont complètement renoncé aux « médiations » dans leurs rapports avec le régime démocratique et les classes subalternes, optant pour une alternative qui leur facilite l’approfondissement de la surexploitation et du pillage.

Il y a une nouvelle restructuration capitaliste mondiale en vertu de laquelle tous les fonds publics et tous les biens communs, territoires, forêts, énergie et eau, devraient être utilisés par le système. Aucun projet de ce type ne peut survivre sans mettre fin au débat transparent dans la société. C’est dans ce même contexte que se développent les groupements d’extrême droite raciste, xénophobe, nationaliste aux États-Unis, en France, en Allemagne, en Inde et qu’ils arrivent au pouvoir en Hongrie et aux Philippines. En réalité, les difficultés à récupérer les taux de profit obtenus jusqu’en 2007, avant le tsunami financier de 2007-2008, ont conduit la bourgeoisie mondiale :

1. à rechercher un projet global de spoliation toujours plus grande des droits de la classe ouvrière et des peuples du « Sud mondial », une spoliation qui inclut la (re)prise des droits absolus sur ce qui devrait être la propriété commune de la terre, comme le territoire lui-même, les eaux (nappes souterraines, rivières, océans), les gisements minéraux, les sources d’énergie ;

2. à des atteintes de moins en moins déguisées à la souveraineté nationale et aux régimes démocratiques bourgeois, qui constituent des obstacles à la mise en œuvre des plans ultralibéraux d’ajustement, d’austérité, de privatisations, d’endettement et de reprise des territoires et des biens, imposés par le système et ses organismes internationaux ;

3. à opter, au moins dans une large mesure, pour des solutions d’extrême droite, à tonalité nationaliste-protectionniste dans les pays industrialisés et avec des caractéristiques plus ultralibérales sur le front économique dans les pays du Sud, avec un discours très conservateur sur les coutumes et des politiques punitives, contre les droits humains, des politiques de guerre sanglante contre le trafic et le banditisme en général.

Période de turbulences autour du changement du régime

En plus d’être très sombres et difficiles, les temps à venir pour les exploités et les opprimés au Brésil seront ceux d’intenses turbulences.

Bien que l’élection d’un gouvernement néofasciste au Brésil soit une défaite terrible pour les mouvements sociaux et démocratiques d’Amérique latine et du monde, il ne s’agit pas d’une défaite historique. Le passage de la situation réactionnaire actuelle à une situation ouvertement contre-révolutionnaire ne s’est pas encore produit et peut ne pas se réaliser : cela dépend de l’issue des affrontements et des luttes qui sont encore à mener. La radicalisation de la situation politique au Brésil dépendra du développement de la crise économique mondiale et de son impact sur l’économie brésilienne, de la capacité de Bolsonaro et de son gouvernement à résoudre les contradictions internes de son bloc, et de la force de la résistance des travailleur·es et des opprimé·es dans ce pays.

Le noyau dur du gouvernement a un projet qui mène à un durcissement du régime, à un système politique moins perméable aux pressions populaires. Une autre question est de savoir s’il existe actuellement un rapport de forces permettant un tel changement du système politique et à quel rythme Bolsonaro et son équipe seront en mesure de réaliser ce projet. Son gouvernement est, dans son essence, autoritaire, raciste, misogyne, LGBTphobe, militariste, anti-gauche, ayant peu d’intérêt pour les institutions démocratiques et il a montré qu’il opérera selon la logique visant à créer des ennemis internes et externes. En un mot, néofasciste. Tout cela au service d’un programme ultralibéral de privatisations et de suppression des droits, à l’opposé du nationalisme protectionniste du fascisme classique.

Le bloc qui soutient le nouveau gouvernement comprend, à côté du noyau militaire et ultralibéral, des fondamentalistes religieux ultralibéraux (où se distingue l’Église universelle du royaume de Dieu), des fractions du pouvoir judiciaire (comme Sergio Moro) et de l’agro-industrie, des économistes et des banquiers de l’école de Chicago, des politiciens carriéristes qui se sont détournés des partis traditionnels – soit une partie importante du bloc qui a assuré le coup d’État de 2016. Cet arc de forces est traversé de contradictions concernant le programme et les projets. L’avenir du gouvernement dépendra donc de la capacité de son noyau à assurer la cohésion de ce bloc autour de son projet politique.

Selon l’évolution de ces questions internes et externes, le noyau dur du gouvernement avancera – ou pas – la réalisation radicale de son projet d’un système politique moins démocratique. Certains grands tests sont déjà prévus pour 2019.

D’où viennent les attaques : les « tests » du néofascisme

Les conditions internationales pour que l’économie brésilienne retrouve le chemin de la croissance ne semblent pas prometteuses. On s’attend à une récession mondiale en 2019. Et Bolsonaro annonce un alignement confus sur les intérêts nord-américains et israéliens (avec la proposition stupide de déplacer l’ambassade du Brésil à Jérusalem) en plus d’une rencontre avec le Chili de Piñera au détriment de l’Argentine et du Mercosur dans son ensemble.

Ces alignements déséquilibrent les relations avec les partenaires économiques essentiels pour la reprise. La Chine est le principal partenaire commercial du Brésil et la balance commerciale est très positive pour le Brésil. Les entreprises chinoises ont d’importants investissements directs dans le pays, entre autres dans l’électricité. Les pays arabes achètent une grande partie des poulets et de la viande à l’agro-industrie. Le fait d’errer en politique internationale peut compromettre les chances de réaliser un équilibre des comptes publics et de préserver l’activité du secteur industriel.

Le projet « École sans parti » vise à contrôler ce qui se dit dans la salle de classe, en accordant une attention particulière aux questions de genre, à l’éducation sexuelle et aux critiques adressées au gouvernement. Le président élu appelle, par le biais des réseaux sociaux, les parents et les élèves à dénoncer les enseignants qui politisent les questions historiques et abordent les questions de genre en classe. Le fils aîné du président élu, Eduardo Bolsonaro, député fédéral à Sao Paulo, a déjà annoncé un projet de loi visant à criminaliser, en outre, l’« apologie du communisme ».

Toujours dans le domaine de l’éducation, il y a la promesse d’une attaque brutale contre l’éducation publique et gratuite, en particulier dans l’enseignement supérieur. Bolsonaro intervient directement dans le choix des recteurs. En même temps, il fait l’éloge des avantages de l’enseignement à distance, y compris primaire (les cinq premières années !) et suggère d’adopter le modèle des « bons » dans le pays pour que la population ait accès aux écoles privées, à la chilienne, ce qui est une manière de financer l’enseignement privé avec l’argent public.

Le deuxième test sera celui de la criminalisation des mouvements d’occupation des terres et des logements (MST et MTST) en amendant la Loi antiterroriste (tragiquement et ironiquement promulguée par Dilma en réponse aux mobilisations de 2013), ce que les nouveaux groupes parlementaires réactionnaires ont déjà préparé de manière accélérée.

Un autre test fondamental, imposé jour après jour par les voix du « divin marché » et par les médias rapidement convertis au bolsonarisme, concerne la réforme du système de Sécurité sociale. Le président élu a déjà négocié avec Temer de ne pas soumettre au vote cette année des modifications du système de Sécurité sociale. Paulo Guedes, le super-ministre de l’Économie et Chicago boy, a promis une réforme encore plus radicale pour 2019, fondée sur les préceptes de la Sécurité sociale de Pinochet (chaque travailleur fait ses économies pour sa retraite), qui, comme on le sait, a entraîné un désastre social au Chili. Le débat et la lutte s’annoncent.

En arrière-plan, dans le Brésil profond, il y aura une intensification de la guerre contre la drogue et contre les pauvres, ce qui signifie que le nouveau gouvernement intensifiera le génocide du peuple noir. Cette attaque se fera en libéralisant la possession d’armes, en donnant le feu vert aux brutalités de la police militaire et des gardes municipaux pour qu’ils puissent, en cas de doute, tirer pour tuer, et en continuant à incarcérer massivement. Cet ensemble de mesures pourrait être étendu aux restrictions imposées au fonctionnement des syndicats, associations, partis (Bolsonaro et ses partisans ont promis une guerre aux dirigeants du PT et du PSOL) et aux libertés de la presse, d’expression et d’organisation.

De plus, Bolsonaro constitue une menace majeure pour l’environnement mondial en promettant, à la suite de Trump, de rompre avec le fragile accord de Paris sur les émissions de CO2. Et, pour couronner le tout, il promet de mettre fin à la démarcation des terres indigènes, donnant ainsi une indication évidente aux éleveurs en particulier (mais également au soja et à d’autres cultures de la frontière agricole) qu’ils ont le feu vert pour dévaster la forêt tropicale. Or, si la grande forêt tropicale avait déjà été menacée sous le règne de l’extractivisme du PT, la situation de ce poumon du monde et de cette garantie d’un certain équilibre climatique en Amérique du Sud sera bien pire sous le bâton de cet allié de la tronçonneuse et de l’agro-industrie.

Organiser la résistance et la solidarité internationale

Au Brésil, la tâche principale consiste à organiser la résistance aux attaques du nouveau gouvernement contre les libertés démocratiques et les droits sociaux du peuple, par un combat unifié de tous ceux qui veulent défendre la démocratie, les droits et les acquis que le néofasciste attaquera. Dans cette lutte, nous travaillerons pour la création d’un front uni antifasciste pour la défense des droits démocratiques et sociaux, capable d’articuler et d’unifier les initiatives sectorielles et régionales contre les attaques du gouvernement et du capital. Les militants et les sympathisants de la IVe Internationale seront dans ces combats pour la défense de la démocratie et de tous les droits sociaux et humains.

Nous ferons aussi partie des mouvements et des entités organisées des travailleur·es, des jeunes, des Noir·es, des femmes et des LGBT, des peuples indigènes et de tous les secteurs de la population, présents plus que jamais sur les lieux de travail, dans les quartiers pauvres, les universités, les écoles, les groupes culturels de la jeunesse précaire et radicalisée, dans les occupations des sans-toit et sans-terre, pour que le peuple brésilien résiste. Nous attachons une importance particulière au mouvement des jeunes femmes, qui s’est fortement développé depuis le printemps 2016 et qui nous a toutes et tous tellement appris avec l’organisation #Elenão.

Pour l’Amérique latine, où l’élection de Bolsonaro a eu un tel impact, il doit être très clair que chaque petite lutte, chaque victoire même sectorielle, contre Macri, contre Duque, contre Piñeira, contre Ortega et leurs plans, est aussi une victoire de la résistance contre Bolsonaro. Pas de pas en arrière ! La résistance au Brésil dépend de la persistance de la lutte de tous en Amérique latine et de ses progrès à travers le monde.

C’est pourquoi il est également essentiel qu’en Europe, aux États-Unis, en Asie, en Afrique et en Océanie, nous soyons très attentifs à la réalisation d’une vaste campagne de dénonciation contre les attaques que le nouveau gouvernement brésilien va mener contre la démocratie, la législation et les traités environnementaux internationaux (l’Amazonie est en grand danger !) et les droits sociaux et politiques des travailleur·es.

La IVe Internationale appelle toutes celles et tous ceux qui luttent, tous les écologistes, tous les démocrates, à unir leurs forces pour dénoncer le gouvernement Bolsonaro et exiger :

• Aucune attaque contre les sans-terre et les sans-abri du Brésil ! Pour une campagne internationale visant à abroger la Loi antiterroriste et ses macabres perfectionnements ! Toute notre solidarité à toutes et tous les militants.

• Protection des forêts tropicales amazoniennes et des terres indigènes ! Maintien de la législation qui garantit la délimitation des terres pour les peuples d’origine. Le Brésil doit respecter l’accord de Paris !

• Maintien des droits à la sécurité sociale des travailleurs brésiliens ! Aucune réforme du système de retraite sans un audit radical et la divulgation des débiteurs de la sécurité sociale !

• Défense des universités publiques brésiliennes ! Liberté académique ! Pas d’interférences dans l’élection des recteurs !

• À bas le programme « École sans parti » ! Pas de téléphones portables dans les classes ! Préservation du budget de l’éducation et de l’enseignement primaire et secondaire dans les écoles.

• Arrêt de la guerre contre la drogue et contre les pauvres ! Pas de libéralisation du port d’armes. Pas d’abaissement de l’âge pénal proposé par le futur ministre Sérgio Moro. Les jeunes ont besoin d’écoles et non de prisons. Pour la légalisation de la marijuana. Pour un effort conjoint du pouvoir judiciaire afin de juger les 200 000 prisonniers incarcérés sans sentence.

La victoire électorale de Bolsonaro s’inscrit de fait dans une résurgence des autoritarismes qui étranglent les acquis démocratiques des dernières décennies, avec Poutine en Russie, Orban en Hongrie, le régime du PiS en Pologne, Erdogan en Turquie, Duterte aux Philippines, Trump aux États-Unis, Netanyahu en Israël, des partis d’extrême droite au gouvernement en Autriche ou en Italie… Un mouvement anti-autoritaire et anti-oligarchique international est nécessaire, car la situation exige une large mobilisation de toutes les forces politiques attachées aux droits démocratiques, aux droits des travailleurs, aux droits des femmes, à la préservation de l’environnement et du climat, à la liberté des humains de se déplacer, bref contre les oppressions de toutes sortes. La construction d’un tel mouvement mondial est une tâche à l’ordre du jour.

Bureau exécutif de la IVe Internationale,

le 5 décembre 2018

Notes

1. C’est un système fondé sur le présidentialisme de coalition, c’est-à-dire sur la domination de l’exécutif et du personnage occupant le siège du président, qui à son tour n’arrive pas à gouverner si son parti ne parvient pas à s’associer – en échange d’innombrables faveurs, postes et dollars – les politicards et les vieux partis représentants des oligarchies régionales de ce pays continental. (Le MDB de Temer a été en général au cours des 33 dernières années le parti capable de garantir ainsi à l’exécutif les bases de la gouvernance).

2. La capoeira est un art martial afro-brésilien, qui se distingue par son côté ludique et souvent acrobatique. Moa do Katandé, célèbre maître de cet art engagé dans la lutte contre le racisme, âgé de 63 ans, a été assassiné de 12 coups de couteau dans le dos lors d’une discussion politique dans un bar, le 7 octobre 2018.

3. L’« Operação Lava Jato » (opération karcher) a révélé l’énorme extension de la corruption au sein de la principale entreprise publique brésilienne, la Petrobrás, dès le début du gouvernement Lula et avant lui. Cette corruption a certainement été une des principales sources de financement des campagnes électorales et de la distribution d’argent aux parlementaires et aux dirigeants des partis.

4. La notion de « capitalisme de surveillance » a été introduite par Shoshana Zuboff. Il s’agit d’un « capitalisme submergé par des monopoles capables d’utiliser les technologies de l’information de manière à effacer la “libre concurrence” et modéliser les marchés à leur convenance. La maîtrise de la production ne suffit plus : l’enjeu réside dans la connaissance des comportements. C’est de cette surveillance qu’il s’agit, y compris lorsqu’elle est instrumentalisée par d’autres acteurs, comme un effet de bord, telle la surveillance des États par des organismes peu scrupuleux. » (cf. http://montpel…).

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