Les élections du dimanche 30 janvier au Portugal ont donné au Parti socialiste (PS) une majorité absolue de député·e·s. La gauche (Bloco de Esquerda et PC) a subi une défaite majeure provoquée par l’illusion d’une bipolarisation annoncée dans les sondages mais qui s’est révélée erronée [1]. La droite traditionnelle (PSD-Parti social-démocrate; CDS) a subi une nouvelle défaite, ne parvenant pas à rassembler les votes et ouvrant la voie à la nouvelle et à l’ancienne extrême droite, à Chega («Assez») et à l’Initiative libérale (IL).
Face aux sondages des derniers jours, plaçant le PS et le PSD a égalité, et avec le PSD faisant des ouvertures en direction de Chega (extrême droite populiste et raciste) et de l’Initiative libérale (droite libérale radicale) pour une coalition, et annonçant la fin du salaire minimum national et autres désastres, le peuple de gauche a couru voter pour le PS. Des gens qui ont découvert étonnés, dimanche soir, qu’au final l’écart était de 13 points entre le PS et le PSD et qu’ils avaient donné naissance à une majorité absolue pour le PS, un résultat que ce dernier n’avait obtenu qu’avec José Sócrates, en 2005 [premier ministre de mars 2005 à juin 2011]. Le résultat a été marqué par des transferts électoraux de dernière minute et par la polarisation de l’électorat centriste derrière António Costa du PS.
Bien que nous vivions encore les derniers jours de la pandémie, avec 10% de la population confinée, il y a eu une augmentation de la participation électorale (58% des votes à l’échelle nationale, avec un taux de participation encore plus élevé dans certains cas, comme à Lisbonne avec 62%). Le PS a gagné 350 000 voix, tandis que la gauche (BE et PC) est passée d’environ 900 000 à un peu moins de 500 000. Dans cette compétition, le vote utile s’est révélé déterminant: le Bloco a perdu la moitié de sa base électorale et est passé de 19 à 5 députés; le PCP a obtenu le pire résultat de son histoire en termes de voix et de sièges (il a perdu la moitié de ses députés, dont certains étaient des références importantes). Les écologistes du PEV (satellite de la coalition du PC) ainsi que CDS-PP (droite conservatrice traditionnelle) ont disparu du parlement. Le PAN (Parti des droits des animaux et de l’écologie libérale) a été réduit à un député (il en avait 4) et Libre (Verts fédéralistes) a conservé un siège.
Le parlement se retrouve avec moins d’élu·e·s de gauche. Ainsi, pour le Bloco, le nouveau cycle politique sera celui de l’opposition de gauche à la majorité absolue du PS, cela en participant et stimulant les luttes sociales qui renvoient à la fracture sociale du pays: santé, précariat, égalité, transition climatique. La bataille pour l’activation d’une opposition parlementaire solide est toujours aussi fondamentale, mais l’affrontement social acquiert de nouveaux traits, car au cours de ces quatre années, la gauche devra mobiliser une base sociale et militante plus importante. Ce sera la façon d’affronter la majorité absolue.
Certains s’empresseront de voir dans ces résultats une faillite rétroactive du «modèle portugais» (qui, étant portugais, n’a jamais voulu être un modèle) du soutien parlementaire autonome sans participation au gouvernement. Pour que le débat soit rigoureux, il convient de noter que cet accord parlementaire a été conclu en 2015 et a pris fin en 2019. Lors des élections de cette année-là, le Bloco a maintenu ses 19 députés. Mais par la suite, le Parti socialiste a rejeté un accord avec la gauche et mis fin à la «jeringonça» [le «bidule»]. C’est dans ce contexte, après deux ans d’opposition, au cours desquels le Bloco a voté contre deux budgets d’Etat (le PCP n’a voté que contre le dernier), que cette défaite électorale s’est vérifiée.
Ces élections sont intervenues après un mandat au cours duquel le PS a rejeté les accords parlementaires au nom d’avancées en matière de santé, de droit du travail ou de réponse à la crise, cherchant à subjuguer la gauche. L’intransigeance qui a conduit au rejet du budget de l’Etat, et la crise politique artificielle qu’elle a provoquée, a été une stratégie réussie du PS vers une bipolarisation annoncée et le «vote utile» contre la droite.
A droite, le panorama a changé. Il est plus aisé pour Chega et IL d’utiliser cet élan dans l’opposition, sans que leurs politiques soient testées: le mélange de propagande et d’agressivité a donc le champ libre. Le changement d’orientation et de direction du PSD sera influencé par cette nouvelle configuration, qui rend plus probable un rapprochement avec ces extrêmes droites, les anciennes et les nouvelles. La droite continue de se déplacer vers la droite, c’est la «loi de Trump».
Le cycle de la majorité absolue pour les quatre prochaines années représente un danger, surtout dans deux domaines: 1° pour les services publics, compte tenu de l’antagonisme entre le PS et l’école publique et de sa détermination à protéger le système de santé privé; 2° au plan de l’économie, compte tenu du fait que le PS protège les activités des grandes entreprises et utilise le système fiscal pour transférer des ressources en faveur du capital, comme il pourra le faire à nouveau, par exemple, pour compenser l’augmentation du salaire minimum. L’inflation, bien qu’encore faible, ronge déjà les revenus du travail, dans de nombreux cas également pénalisés par l’augmentation du coût du logement. C’est donc une fois de plus dans la sphère sociale que se jouera la suprématie ou l’érosion de cette majorité absolue. Arrivé au sommet de son pouvoir, Antonio Costa est maintenant confronté à toutes les difficultés qu’il a créées, ignorées ou exacerbées. De notre côté, la gauche construira sa force sur la clarté et l’énergie de sa mobilisation contre la majorité absolue.
1 février 2022
Francisco Louçã est économiste et membre du Bloco de Esquerda, dont il a été membre du groupe parlementaire jusqu’en 2012.
Article publié sur le site Viento Sur; traduction A l’Encontre
1. Résultats électoraux
PS : 41,68% – 117 député·e.s (2’246’637 voix)
PSD : 27,80% – 71 d. (1’498’605 v.)
Chega : 7,15% – 12 d. (385’559 v.)
IL : 4,98% – 8 d. (268’414 v.)
Bloco (BE) : 4,46% – 5. (240’265 v.)
PCP-PEV : 4,39% – 6 d. (236’635 v.)
PAN : 1,53% – 1 d. (82’250 v.)
Livre (écologiste) : 1,28%-1 d. (68’975 v.)
PSD-CDS-PP : 0,94% – 3 d. (50’634 v.)
CDS-PP-PPM : 0,53 – 2 d. (28’520 v.)
Total : 226 député·e·s; abstention : 42,04%