Communiqué d’Anticapitalistes (Catalogne) à propos des élections du 14 février en Catalogne

Nous sommes confrontés, les semaines qui viennent, à une convocation anticipée des élections en Catalogne qui auront finalement lieu au beau milieu du pic de contagions et de la saturation des centres de santé de la troisième vague de la pandémie. Ce n’est un secret pour personne que les intérêts partisans et ceux de fractions du régime sont passés avant la santé publique en imposant une convocation électorale qui peut porter atteinte aux droits démocratiques et mettre en danger la santé publique. Et une fois de plus on impose cela par le biais de la judiciarisation de la politique. Même si, pour sa part, le Gouvernement Catalan, en plus de s’être accroché à un décret juridiquement faible, a lui-même retardé les élections tout au long de  l’année dernière en ne les envisageant que sous l’angle d’une vision totalement partisane.


A ce point de vue force est de constater que ce qui s’achève est une législature perdue, verrouillée par la répression de l’état. Nous considérons qu’il s’agit d’une législature perdue parce qu’elle n’a pas permis de redessiner un horizon de lutte pour la souveraineté qui intègre les leçons d’octobre 2017 et au cours de laquelle a été pratiquée une politique de répression contre les militants indépendantistes par la Généralité elle-même. De plus c’est une nouvelle législature perdue du point de vue social parce qu’on a maintenu la continuité des politiques néolibérales, sans revenir sur les privatisations et les coupures budgétaires de plus d’une décade qui ont  laissé le secteur public dans une faiblesse extrême. La continuité néolibérale pratiquée par le Gouvernement de Junts per Catalunya1 et ERC2 a conduit le système public catalan dans une situation de vulnérabilité totale, plus dramatique encore après l’explosion de la crise sanitaire de la pandémie


A l’heure de la convocation de ces élections il est nécessaire de dénoncer à nouveau le fait qu’il y a près d’un million de catalanes auxquelles le racisme institutionnel refuse les droits civiques et politiques les plus élémentaires et qui n’auront pas le droit de voter. Il ne peut y avoir d’élections authentiquement démocratiques avec une loi des étrangers qui exclue de la citoyenneté et avec une Constitution espagnole qui refuse le droit de vote à ceux qui n’ont pas la nationalité.

Bout de la route pour un espace qui a viré vers le gouvernemental et l’institutionnalisation


Anticapitalistes nous sommes arrivés au bout de notre route dans le cadre de Catalunya en Comu y Podem3  quand s’est confirmée la politique d’alliance subalterne au PSC4  et au PSOE5 de cet espace politique et de Unidas Podemos6 dans le cadre de l’Etat Espagnol. Le virage gouvernemental adopté depuis 2016 par la direction de Podemos et assumé par les autres forces de la coalition a dénaturé ce qui était un projet alternatif au bipartisme et au régime. A présent ce projet ressemble beaucoup à la gauche institutionnelle à laquelle il s’était opposé dans un premier temps. En Comu Podem n’a en aucun cas maintenu un profil différent de celui de Podemos à l’échelle de l’Etat espagnol, il a fait sienne la politique de subordination au PSOE et au PSC. En Catalogne cette orientation se concrétise en misant sur un gouvernement tripartite avec le PSC et ERC et dans l’intégration sur sa liste de candidats aux profils indiquant une volonté évidente d’institutionnalisation.


L’entrée dans le gouvernement de l’Etat Espagnol comme allié minoritaire du PSOE a signifié un saut qualitatif dans la volonté de s’intégrer à la gestion et d’abandonner toute velléité de réforme constitutionnelle. Une fois intégrés à l’exécutif, l’incapacité à donner une réponse aux problèmes comme le chômage et la précarité, les hausses de tarifs d’électricité ou les expulsions alimente la « On ne peut pas »7 , la démoralisation des classes populaires et le discrédit des alternatives au néolibéralisme. Ce climat d’opinion a un impact dévastateur pour l’ensemble  de la gauche sociale, politique et syndicale, même pour les secteurs avec lesquels nous nous sommes opposés dès le début à l’incorporation dans un gouvernement social-libéral.


La CUP ; une candidature de rupture, mais sans ouverture vers de nouveaux secteurs


La candidature CUP- Un Nou Cicle per Guanyar8 garantit l’existence d’une candidature anticapitaliste et de rupture dans ces élections, ce que nous valorisons positivement. Son existence contribue à rendre visibles des propositions de rupture avec le cadre institutionnel actuel et les politiques néolibérales. De la même manière, elle tente de mettre au premier plan des idées comme la nécessité d’un plan d’urgence pour affronter la crise de la Covid, assurer la transition vers un modèle d’économie planifiée et prendre le contrôle des secteurs stratégiques.
Par ailleurs, nous considérons qu’il s’agit d’une proposition excessivement dans la continuité de la CUP-CC et des candidatures antérieures, ce qui ne permet pas de faire un saut qualitatif vers une reconstruction plus ouverte de la gauche alternative, en brisant les limites du cycle politique antérieur et en allant au-delà de l’espace traditionnel de la Gauche Indépendantiste. Un accord électoral plus large donnant leur place à d’autres espaces avec lesquels nous partageons un programme anticapitaliste aurait été positif, un premier pas pour avancer dans la construction d’un nouvel outil de confluence capable de concourir pour la majorité sociale


Les principales limites que nous voyons dans la proposition de la CUP-UNCpG sont : 


En premier lieu elle s’adresse seulement à l’indépendantisme et n’a pas de politique envers la base sociale de la gauche non indépendantiste mais favorable au droit à décider. Son projet n’interpelle pas de façon spécifique les personnes du monde de Comuns critiques de la dérive gouvernementaliste de leur espace. Elle ne s’adresse pas non plus spécifiquement aux secteurs des nouvelles générations militantes du féminisme et de l’écologie qui ne sont pas clairement indépendantistes.


Cette question s’inscrit dans une autre divergence de type stratégique. La proposition de la CUP pour construire une république catalane demeure bien peu liée à la nécessité de faire tomber le régime de 78 pour y parvenir. Comme cela a été démontré en octobre 2017, le succès de la lutte pour l’autodétermination de la Catalogne est lié à la possibilité d’affaiblir l’Etat central et de construire les solidarités les plus larges possibles. Ces derniers temps, la CUP a fait des pas en avant dans ce sens pour tisser des alliances plus solides avec des secteurs en rupture dans le reste de l’Etat espagnol, mais elle ne se donne pas pour tâche l’impulsion d’un mouvement politique capable de renverser le régime et de rendre possible des processus constituants.


Enfin, à l’heure actuelle, sa stratégie d’alliances postélectorales n’est toujours pas claire, pas plus que sa position quant à la participation à un gouvernement avec ERC et JuntsxCat. Nous pensons que la politique unitaire envers le reste des forces indépendantistes devrait être menée en affirmant une complète autonomie en ce qui concerne leurs projets institutionnels et leur action au gouvernement. Une alternative anticapitaliste, pour être crédible, ne peut se lier les mains à des forces qui appliquent des politiques néolibérales. De la même manière certains pactes municipaux passés après les élections de 2019 nous préoccupent. Ils supposent de faux raccourcis dans un contexte extrêmement complexe et difficile, alors qu’un des points forts de la CUP jusqu’ici a été sa capacité à résister à la pression vers l’institutionnalisation.


Au-delà du 14 Février : un nouvel espace commun de la gauche de rupture et souverainiste


Notre pari politique est d’impulser la reconstruction d’une gauche de rupture et souverainiste qui porte une alternative dans le champ de la crise socioéconomique et de la volonté d’autodétermination. Ce réarmement doit être de caractère populaire, social et de rupture en dépassant les structures préexistantes et en empêchant que se referme la faille ouverte dans la légitimité du régime de 78.
Nous avons de nombreuses tâches urgentes sur la table au moment de faire une proposition unitaire et nous ne pouvons toutes les développer dans ce communiqué. Le principal enjeu est de contribuer à impulser un bloc historique des classes populaires avec un  programme radical à la hauteur des défis qui sont devant nous : depuis la crise écologique jusqu’au réaménagement du capitalisme néolibéral après le coronavirus.


Dans cette reconstruction il faut apprendre des erreurs commises par la gauche avec une évolution institutionnaliste et des logiques de soutien à des gouvernements qui avalisent les politiques socio libérales, abandonnant tout projet de rupture et de changement constitutionnel. Une stratégie qui ne soit pas prisonnière d’institutions qui ne sont pas les nôtres et qui construise de nouvelles institutions avec des objectifs de transformation anticapitaliste est indispensable.


Nous avons besoin d’outils construits à partir de l’enracinement, démocratique, respectant la pluralité politique et l’ouverture au tissu social et aux mouvements de ses territoires. De candidatures féministes qui misent sur la transformation sociale et avec un programme de rupture à la hauteur de la crise de civilisation.


Il faut également critiquer les approches stratégiques qui ne sont pas en mesure de s’adresser à l’ensemble de la base sociale de la gauche, à l’indépendantiste et à la non-indépendantiste. Nous avons toujours considéré qu’une transformation sociale en Catalogne doit rassembler les deux volontés exprimées de façon massive depuis 2011 : d’une part celle du 15M et de son héritage, d’autre part celle du processus indépendantiste, clé pour commencer un processus constituant pour une république catalane. Il est fondamental de lier la défense de la souveraineté de la Catalogne à la lutte contre l’austérité et la précarité, seule façon d’amplifier les majorités et d’avancer vers une réelle transformation sociale. En ce sens nous avons un exemple récent dans la défense des lois catalanes impulsée par le mouvement du logement (le décret 17/2019 et la loi de régulation) face à l’attaque du Partido Popular9 et du Tribunal Constitutionnel.


On a besoin d’une proposition politique qui permette de tisser des alliances, d’un côté avec des secteurs et des mouvements sociaux qui sont restés orphelins d’une partie de leurs espoirs à cause de la défaite du cycle ouvert par le 15M et d’un autre côté avec des secteurs souverainistes et indépendantistes, les uns critiques de certaines positions face au référendum du 1 octobre (2017, ndt) et d’autres épuisés par les jeux d’équilibre entre « mise en œuvre » et « autonomisme »10 . Mais il faut aussi incorporer toute une génération militante qui ne s’est pas reliée aux projets politiques précédents et qui a senti, avec l’émergence de mouvements comme le féminisme ou le mouvement de la jeunesse contre le changement climatique, la nécessité de s’organiser.
 

Le 14 Février : votons contre l’extrême droite et le néolibéralisme


Nous croyons que la proposition politique qui manque aujourd’hui est encore à construire, c’est pourquoi  à Anticapitalistes nous avons décidé de ne participer à aucune candidature lors de ces élections. Nous sommes conscients que pour beaucoup il y a un malaise légitime à cause du discrédit de la politique et de la déception à l’égard de différentes forces politiques, ce qui met encore plus en évidence la nécessité de construire un nouvel outil politique. Ceci étant donné nous pensons qu’il est nécessaire de combattre l’apathie et qu’il faut voter parce qu’il y a beaucoup de choses en jeu pour nous dans ces élections.  


En premier lieu les enquêtes indiquent l’entrée en force de Vox. Bien que le Partido Popular et Ciudadanos11 partagent avec lui les mesures réactionnaires et les discours de haine, le fait qu’un parti ouvertement d’extrême droite obtienne une représentation au Parlament catalan est une très mauvaise nouvelle pour les classes populaires et une avancée du racisme, du machisme, de la haine contre les personnes LGTBI et l’autoritarisme le plus criant.


En second lieu, les politiques impulsées depuis la Generalitat, au moment décisif de la sortie de la crise, auront un impact réel sur nos conditions de vie. Si les politiques néolibérales continuent à s’imposer et en l’absence d’un plan d’urgence sociale, nous les travailleurs de Catalogne nous continuerons à supporter la peur, l’incertitude et la précarité.


Enfin, les résultats de ces élections détermineront également le rôle que joueront les différents projets politiques dans la reconstruction de la gauche, c'est-à-dire les forces qui sont en voie d’intégration dans le régime et les forces de rupture. Pour ces raisons nous voulons appeler à voter pour la candidature CUP-Un Nou Cicle per Guanyar, qui représente une option anticapitaliste et anti-austérité orientée vers la confrontation avec l’état.


Dans le même temps nous voulons profiter de ces élections pour défendre l’idée qu’il faut que nous changions de cap : exprimons-le 12 en impulsant une campagne de défense de la démocratisation de l’économie, la distribution du travail et de la richesse, le renforcement des services publics et l’introduction de la planification pour garantir les besoins de la majorité sociale.

5 février 2021
 
Versión del comunicado en catalán en la web de Anticapitalistes.

(traduction Fabrice Thomas)

  • 1Junts per Catalunya : Un des deux principaux partis nationalistes de Catalogne. Droite libérale. Puigdemont le leader en exil en est la figure emblématique
  • 2ERC : Esquera Republicana Catalana. (Gauche républicaine Catalane)L’autre grand parti nationaliste. Social-libéral
  • 3Catalunya En Comun Podem. Alliance électorale entre ce qui reste de Podemos en Catalogne (Podem) et de la coalition de gauche non nationaliste « En Comun »(anciennement « comuns ») largement sous l’influence de secteurs de l’ex-PC catalan (PSUC)
  • 4PSC. Parti Socialiste de Catalogne
  • 5PSOE. Parti socialiste dans l’état espagnol, au gouvernement central.
  • 6Unidas Podemos. Nom de la coalition dirigée par Podemos dans l’état espagnol, alliance avec des secteurs de l’ex-PCE. Très minoritaire dans le gouvernement dirigé par le PSOE.
  • 7« on ne peut pas » allusion à l’ancien slogan de Podemos « Si, se puede » (Oui, on peut !)
  • 8Intitulé de la liste actuelle dirigée par la CUP. La CUP (candidatures d’unité populaire) est une organisation indépendantiste anticapitaliste.
  • 9Partido Popular (PP) Principal parti de droite, héritier du franquisme
  • 10Allusion aux débats à la suite du referendum d’octobre 2017 et de la répression où les différents courants nationalistes penchaient soit vers une « mise en œuvre » immédiate de la « république catalane » soit  vers des négociations pour dans l’immédiat conquérir plus « d’autonomie ».
  • 11Ciudadanos (Citoyens). Parti de centre droit
  • 12!Cambiemos de rumbo: expropiémoslo intitulé de la campagne d’Anticapitalistas  (voir le site)