
L’Équateur est à la croisée des chemins. Tout en intensifiant la répression contre les manifestations [avec au moins trois morts ces dernières semaines], Noboa a lancé une chasse aux sorcières contre les dirigeant·es et militant·es des mouvements sociaux.
D’une part, une nouvelle phase de lutte sociale a commencé. Depuis le 23 septembre, la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur) organise des manifestations, qui ont jusqu’à présent été les plus intenses dans les provinces d’Imbabura, Pichincha, Cotopaxi et Chimborazo, en réponse à l’augmentation des prix du diesel. Mais quelques jours plus tôt, le 16 septembre, une manifestation de masse rassemblant 100 000 personnes a défilé dans la ville de Cuenca pour défendre le bien commun qu’est l’eau, dont les sources sont menacées par les licences environnementales accordées par le gouvernement à des entreprises transnationales.
Quelques semaines auparavant, à l’initiative du FUT (Front unitaire des travailleurs), une vingtaine d’organisations avaient formé le Front pour la défense de la santé, de l’éducation publique, du travail décent, de la sécurité sociale, des droits humains et de la nature. Le FUT et ce nouveau Front ont organisé plusieurs actions, manifestations et sit-in pour protester contre les lois antidémocratiques sur l’intégrité, la sécurité et le renseignement (qui instaurent une sorte d’état d’urgence permanent et étendent les possibilités d’espionnage contre les organisations et les dirigeants sociaux), contre un projet de réforme de la loi sur la sécurité sociale qui ouvrira la porte aux banques privées pour contrôler certaines parties de la BIESS (la banque de l’Institut équatorien de sécurité sociale), contre les milliers de licenciements dans le secteur public (on estime que le gouvernement licenciera 70 000 travailleur·ses) et contre la crise que l’inaction du gouvernement a provoquée dans le domaine de la santé publique.
Mais, d’autre part, la réponse du gouvernement a été la persécution, l’espionnage et la répression. Cela n’est pas surprenant car, depuis janvier 2024, Noboa s’est employé à mettre en place et à perfectionner un régime autoritaire qui subordonne et menace les autres fonctions de l’État afin de les mettre au service du président et de son groupe : s’il s’est retourné contre son vice-président au début de son premier mandat, il a préféré ces derniers mois s’en prendre à la Cour constitutionnelle. Bien que la Cour ait cédé au référendum de Noboa et à sa proposition d’Assemblée constituante, avec laquelle il espère démanteler tous les droits restants, elle n’a pas accepté toutes les dispositions des lois antidémocratiques de Noboa. Le président se venge en accusant la Cour d’être responsable de la violence du trafic de drogue.
Le président a pu faire avancer la conception de son régime autoritaire en se cachant derrière la « guerre interne » qu’il a déclarée contre le « terrorisme » et en utilisant comme prétexte la peur de la population face à la violence liée à la drogue. Cependant, il est désormais clair que cette guerre était en réalité préparée contre les protestations sociales.
Au lieu d’écouter la voix du peuple, Noboa renforce le caractère antidémocratique de son régime. Dès l’annonce des manifestations des autochtones, le président a menacé de « les dénoncer pour terrorisme » et de les envoyer « en prison pour 30 ans ». Lors des premières manifestations, Noboa a déclaré qu’« il ne s’agissait pas de manifestations, mais d’actes de terrorisme », qu’il s’agissait de « la même vieille mafia » et que les manifestations étaient financées par des cartels miniers et de la drogue illégaux.
Les manifestations ont été sévèrement réprimées, et l’armée a même fait des descentes dans des maisons des communautés autochtones pour arrêter des jeunes. D’autres personnes ont été arrêtées sans avoir participé aux manifestations. Parmi les personnes détenues figurent 12 jeunes autochtones d’Otavalo qui ont été transférés arbitrairement vers des prisons à Esmeraldas et Portoviejo, où un nouveau massacre a eu lieu quelques heures plus tôt, faisant une trentaine de morts. En les transférant vers ces prisons, le gouvernement met en danger la vie de ces jeunes militant·es.
Il a immédiatement ordonné le gel des comptes bancaires des dirigeant·es de la CONAIE et du Conseil de l’eau de Cuenca. Dans le même temps, il a lancé des poursuites par l’intermédiaire du ministère public. Ces derniers jours, le parquet chargé de la criminalité organisée, transnationale et internationale a « demandé des informations » à Edwin Bedoya, président du FUT (Front unitaire des travailleurs) et du CEDOCUT (Confédération équatorienne des organisations classistes pour l’unité des travailleurs), Andrés Quishpe, président de l’UNE (Union nationale des éducateurs), Gary Esparza, président de la FENOCIN (Confédération nationale des organisations paysannes, indigènes et noires), et Nery Padilla, président de la FEUE (Fédération des étudiants universitaires de l’Équateur).
Parallèlement, le ministère public a ouvert une enquête « pour enrichissement personnel injustifié » contre 58 militants et dirigeants de la CONAIE, du Front national anti-mines et de plusieurs autres organisations sociales et ONG environnementales liées aux mouvements sociaux.
Marlon Vargas, président de la CONAIE, Leonidas Iza, ancien président de la CONAIE, et Guillermo Churuchumbi, coordinateur de Pachakutik, ont également été inculpés par le ministère public de la ville de Riobamba pour avoir organisé la grève. Dans le même temps, les médias communautaires, tels que la chaîne de télévision du Mouvement indigène et paysan de Cotopaxi (MICC), sont censurés.
Les mobilisations de ces dernières semaines marquent un nouveau tournant dans la lutte sociale en Équateur, car elles montrent qu’une opposition populaire se forme contre le gouvernement antidémocratique et néolibéral de Daniel Noboa. C’est déjà un fait, quelle que soit l’ampleur et la profondeur des manifestations actuelles. Dans le même temps, les luttes cherchent des moyens de se rassembler et de créer des espaces d’unité plus larges.
Les deux sont considérés comme une menace par le gouvernement et les oligarchies au pouvoir, qui réagissent donc avec tant de violence et de mauvaise foi. Face à cela, la solidarité avec les organisations, leurs dirigeant·es et les luttes qu’ils mènent est urgente.
28/09/2025
Publié à l’origine dans Correspondencia de Prensa.
Vous trouverez ci-joint le document Chers camarades afin que les organisations sociales, syndicales ou politiques puissent l’adapter à leur manière (les parties formelles, pas le contenu) et l’envoyer au président du CEDOCUT (Edwin Bedoya) presidenciaced… ou même l’adapter pour l’envoyer aux consulats ou ambassades équatoriens.