Cet article a été écrit en anticipant que Liz Truss deviendrait Premier ministre le 6 septembre. Ce qui n'avait pas été prévu, c'est qu'Elizabeth Windsor, autrement connue sous le nom de reine Elizabeth II, mourrait deux jours plus tard et que l'establishment imposerait une " période de dix jours de deuil national " jusqu'à ses funérailles le 19 septembre. Certaines grèves prévues pendant cette période ont été annulées - et l'on s'est demandé si la dynamique qui s'était créée ne serait pas perdue.
Cette crainte s'est dissipée avec une série d'annonces de la part des syndicats déjà engagés dans l'action, appelant à d'autres actions - y compris l'action du 1er octobre qui verra des grèves de tous les syndicats sur le rail ainsi que des membres du CWU sur les postes - plus de 167 000 travailleurs au total. En outre, des manifestations auront lieu dans la plupart des grandes villes de Grande-Bretagne, à l'appel de différentes organisations locales et nationales, afin de rassembler non seulement les demandes d'augmentations salariales substantielles face à la crise du coût de la vie, mais aussi des questions plus larges telles que le droit à l'alimentation, le droit à un logement sûr et le droit à un revenu décent pour ceux qui dépendent des allocations, ainsi que les liens entre les crises écologique et économique.
Alors que le nouveau gouvernement Truss refuse de céder d'un pouce sur ses cadeaux budgétaires aux riches, même face à la profonde inquiétude d'autres personnalités de l'establishment, la nécessité non seulement d'intensifier la résistance mais aussi de construire un mouvement démocratique et combatif qui puisse réellement impliquer et donner une voix à tous ceux qui sont touchés par l'offensive de la classe dirigeante a rarement été aussi urgente.
29 septembre 2022
****
Lundi 5 septembre, le résultat de l’élection la direction du Parti conservateur britannique a été annoncé après la démission de Boris Johnson de ce poste, le 7 juillet. Liz Truss, la candidate de la continuité, a remporté la compétition pour devenir à la fois le prochain chef du parti conservateur et le prochain Premier ministre britannique, mais avec une marge plus faible qu’elle ne l’aurait espéré. Elle devient chef d’un parti divisé et Premier ministre d’un pays confronté à une crise majeure du coût de la vie et à la montée des revendications.
Une des choses notables à propos de la longue concurrence entre Truss et l’ancien chancelier Rishi Sunak, les deux derniers à être restés en lice dans cette compétition, est combien leurs débats ont eu peu à dire sur la question préoccupant la majorité de la population en Grande-Bretagne – l’augmentation galopante de l’inflation signifie que des millions de personnes sont profondément inquiètes de savoir si elles seront en mesure, avec celles ceux et ceux qui partagent leur vie de se nourrir et de garder leur maison chaude au cœur de l’hiver. .
Pendant que les candidats conservateurs se disputaient les uns contre les aux autres pour savoir qui pouvait présenter le profil le plus à droite en ce qui concerne les politiques étrangères, sociales et économiques, des milliers et des milliers de travailleurs syndiqués faisaient grève pour défendre leur niveau de vie et leurs conditions de travail.
L’inflation qui frappe les biens essentiels est extraordinairement élevée. Les prix de l’essence et du diesel, ont une incidence directe sur le coût de la vie, notamment dans les régions où les transports publics sont rares. De nombreux autres secteurs sont touchés. En août 2022, les prix de l’alimentation ont augmenté de 5,5 % contre 4,4 % en juillet, tandis que les produits frais avaient augmenté de 10,5 %. C’’est dans ce contexte qu’en Grande Bretagne, le nombre de ménages ayant recours aux banques alimentaires a considérablement augmenté au cours de la dernière décennie, atteignant le nombre de plus de 2,5 millions au plus fort de la pandémie de COVID-19. Et ce ne sont pas seulement les chômeurs qui ont recours aux banques alimentaires – un certain nombre d’hôpitaux ont mis en place des banques alimentaires pour leur personnel cette année, de même qu’un centre d’appel pour le personnel des télécommunications, la pauvreté au travail est en voie de généralisation.
C’est déjà assez grave, mais c’est catastrophique lorsqu’on ajoute à cela les prix que les gens doivent payer pour l’énergie — le gaz et l’électricité — dans leur domicile. La Grande-Bretagne a mis en place depuis le 1er janvier 2019 un système unique pour en fixer les tarifs. Il a instauré un « plafonnement des prix », qui fixe le prix de chaque unité de gaz et d’électricité utilisée, auquel s’ajoute une redevance fixe quotidienne maximale pour être raccordée au réseau. Ce plafond a augmenté de 54 % en avril et augmentera encore de 54 % en octobre. Et à partir de maintenant, ce plafond sera réévalué tous les 3 mois contre tous les six mois auparavant.
De telles hausses astronomiques frappent évidemment le plus durement les personnes à faible revenu, en particulier celles qui n’ont pas de travail rémunéré ou qui ont des contrats « zéro heure » (où aucune durée minimale du travail n’y est stipulé). Un motif de colère notable est que de nombreuses personnes – généralement celles qui ont les revenus les plus faibles- ont des appareils par lesquels elles paient l’énergie à l’avance – et les taux pour ce « service » sont plus élevés que pour tout le monde. Une autre préoccupation est le niveau de la redevance permanente, ce qui signifie que même si vous n’utilisez pas d’énergie, vos factures peuvent dépasser le plafond. Au cours des derniers mois, les médias ont été remplis d’histoires déchirantes de personnes qui se trouvaient déjà dans des situations désespérées avant l’augmentation d’octobre et qui sont terrifiées par ce qui va se passer à ce moment-là.
Mais comme l’extension des banques alimentaires le montre de nombreux travailleurs souffrent aussi. Il y a plus d’un million de personnes en « contrat zéro heure » et plus de deux millions de personnes payées au salaire minimum ou en dessous – un niveau bien inférieur à ce qui est nécessaire pour vivre même avant l’inflation. Bon nombre des 8,2 millions de travailleurs à temps partiel, même ceux qui ont des taux horaires raisonnables, ont des difficultés à joindre les deux bouts. Mais de nombreux travailleurs occupant des emplois traditionnellement bien rémunérés subissent eux aussi les chocs de cette situation, d’où l’augmentation significative des niveaux de grève.
Bien entendu, les actions revendicatives sont le moyen le plus efficace pour les syndicats de défendre les salaires et les conditions de travail de leurs membres. Mais en Grande-Bretagne, c’est une habitude dont de nombreux syndicats se sont débarrassés depuis longtemps. L’une des principales raisons est constituée par les lois antisyndicales draconiennes auxquelles les travailleurs sont confrontés en Grande-Bretagne, les plus restrictives d’Europe.
L’offensive Tory anti syndicale
Les lois actuelles ont été introduites par les gouvernements conservateurs par le biais de six lois du Parlement entre 1980 et 1993 - mais n'ont pas été abrogées par les travaillistes lorsqu'ils étaient au pouvoir. (Blair s'était même réjoui de ses lois !). Cela signifie que pour faire grève, au moins 50 % des personnes ayant le droit de vote doivent avoir voté et au moins 50 % des votants doivent avoir voté pour la grève. En outre, dans le cas de "services publics importants", au moins 40 % des personnes ayant le droit de vote doivent avoir voté en faveur de l'action. Il existe d'autres obstacles en termes de notification aux employeurs - et des sanctions importantes en termes d'amendes substantielles pour les syndicats.
Mais si les lois antisyndicales constituent un obstacle de taille, l'état du mouvement syndical en est aussi un autre. Le gouvernement conservateur dirigé par Margaret Thatcher a consciemment entrepris d'éliminer le militantisme syndical, non seulement par des changements juridiques, mais aussi par la défaite des syndicats les plus puissants. . La grève des mineurs de 1984-5 a été la plus emblématique de ces mesures, mais d'autres batailles importantes ont eu lieu, comme la grève des imprimeurs de Wapping en 1986.
Lorsque Thatcher est arrivée au pouvoir, 13,2 millions de travailleurs britanniques étaient membres de syndicats. En 2019, ce chiffre avait été divisé par deux pour atteindre 6,9 millions.1
Et le problème va bien au-delà de ces chiffres bruts. L'âge moyen des syndicalistes a augmenté - près de 40 % des syndiqués ont plus de 50 ans - et le taux de syndicalisation des jeunes est désespérément bas : moins d'un jeune de 16 à 24 ans sur dix est membre d'un syndicat. Dans le même temps, et sans surprise, le niveau d'engagement syndical a baissé. Dans les années 1970 et 1980, de nombreux syndicats comptaient une forte proportion de délégués (représentants élus sur le lieu de travail), mais cette proportion a diminué depuis la défaite de la grève des mineurs. Les syndicats ont été plus enclins à recruter sur la base de la vente d'assurances que de l'organisation sur le lieu de travail.
Les jeunes sont plus susceptibles de travailler dans des activités où règnent les contrats précaires et où les syndicats traditionnels sont peu susceptibles de s'organiser - et où ils n'ont pas vu de syndicats les défendre. Mais récemment il y a eu quelques changements. Un certain nombre de petits syndicats indépendants non affiliés au TUC unitaire se sont construits ces dernières années en s'organisant parmi les travailleurs précaires, incluant un nombre important de membres noirs et de migrants.2 Quelques syndicats traditionnels ont également progressé - notamment le grand syndicat de l'éducation, le NEU, qui a organisé une grande campagne pour sécuriser les écoles pendant la pandémie de Covid et qui, dans le processus, a recruté non seulement des milliers de nouveaux membres mais aussi des centaines de nouveaux représentants sur le lieu de travail. ]
Malgré les obstacles que constituait cet été l'état de faiblesse du mouvement syndical dans son ensemble, un grand nombre de travailleurs était au bord de la rupture et un nombre important de dirigeants syndicaux - certains relativement nouveaux et d'autres plus établis – ont décidé que, avec un gouvernement « zombie » concentré sur une campagne électorale et une opposition passive, la responsabilité d'une riposte leur incombait. Au cours des derniers mois, nous avons donc assisté à la plus forte hausse de l'action revendicative en Grande-Bretagne depuis plusieurs décennies - et la vague est loin d'être terminée.
Le secteur des transports
Le syndicat du rail RMT a été l’un des premiers à déclencher des grèves pendant trois jours au mois de juin tant des compagnies de chemin de fer individuelles que sur réseau ferroviaire. Le vote en faveur de la grève a été de presque 90 % avec un taux de participation de 71 %.
Le niveau de fureur des cheminots n’est pas surprenant étant donné que, pendant la pandémie, les patrons des chemins de fer ont rapatrié des paquets d’un million de livres et les sociétés ferroviaires ont réalisé plus de 500 millions de livres de profits.
En plus d’exiger une augmentation de salaire équitable, dans une situation où les employeurs n’offraient aucune augmentation et où le salaire de nombreuses personnes avait été gelé pendant deux ou trois ans, l’action a également été engagée contre la menace d’un grand nombre de licenciements. La direction essaie de faire passer cela pour de la « modernisation », une tendance dans bon nombre des conflits actuels, mais, bien que cette rhétorique soit répétée sans contestation par la plupart des médias grand public, elle ne réussit pas à miner le soutien remarquablement élevé de la population à l’égard des salariés en lutte dans ces conflits.
Le RMT n’est pas un grand syndicat, avec environ 80.000 membres, mais a une réputation de gauche, en particulier sous la direction de Bob Crow qui a été secrétaire général de 2002 jusqu’à sa mort prématurée en 2014. Mick Lynch, l’actuel secrétaire général qui est entré en fonction en 2021, n’était pas bien connu à l’extérieur du syndicat avant le conflit, mais cela a changé radicalement au cours de l’été.
Lynch a été largement interviewé par les médias, en présence de nombreux experts mobilisés pour le contrer le syndicat. En fait, cela a eu l’effet contraire, car Lynch a répondu calmement et clairement. Le chroniqueur indépendant qui a expliqué que « Mick Lynch a fait plus pour les travailleurs en deux jours que Starmer en deux ans » avait tout à fait raison.3
Lynch s’est adressé directement au gouvernement conservateur qui a refusé de participer à des pourparlers avec les syndicats et les compagnies ferroviaires. Lynch a écrit à l’actuel secrétaire aux Transports, Grant Shapps : « Votre gouvernement a pris la décision d’utiliser l’argent des contribuables pour renflouer les compagnies de chemin de fer privées afin qu’elles ne soient pas tenues responsables des revenus perdus en raison d’une action syndicale, à condition que les mêmes compagnies se conforment aux instructions gouvernementales de retenue de solde. suppriment des milliers d’emplois essentiels en matière de sécurité ferroviaire, introduisent des trains à un seul conducteur et ferment des guichets du réseau. » Il a ajouté que le syndicat avait calculé que, en incluant les actions collectives précédentes et à venir, plus de 120 millions de livres provenant des contribuables avaient été utilisées à ce jour pour « renflouer » les compagnies ferroviaires privées.
Mais en plus d’essayer de se présenter comme un observateur désintéressé en refusant de participer aux pourparlers, les conservateurs se sont empressés non seulement d’attaquer les syndicats dans les médias, mais aussi de les menacer d’appliquer les lois antisyndicales en reprenant contre les syndicats des transports, les menaces du ministre Shapps de procéder à des licenciements et à des réembauches.4
Le RMT est l’un des trois principaux syndicats organisant l’industrie ferroviaire. Il organise les salariés dans tous les niveaux de l’industrie. Les autres syndicats sont Aslef, qui se décrit comme « le syndicat de métier des conducteurs de train », qui compte environ 21 000 membres, et TSSA, qui organise traditionnellement les personnes qui font des tâches administratives et qui compte environ 18 000 membres. Après les grèves de juin, le RMT a annoncé d’autres dates d’actions revendicative les 27 juillet, 18 août et 20 août et a été rejoint par les membres de la TSSA A ce moment-là, Aslef faisait son propre initiative avec sa plus grande action le 13 août.5 Pour le proche avenir, l’avenir, RMT a appelé à des grèves pour les 15 et 17 septembre. Aslef s’y joindra le 15 septembre, alors que la TSSA a appelé à l’action les 26 et 27 septembre.
Le rail n'est pas le seul secteur important dans lequel les travailleurs du transport sont organisés - les travailleurs des bus jouent également un rôle important. Unite, l'un des plus grands syndicats britanniques avec 1,4 million de membres, organise un grand nombre d'entre eux. [Le syndicat souligne que "depuis 2009, plus de 3 000 services de bus soutenus par les autorités locales ont été supprimés ou réduits. Rien qu'à Londres, l'année dernière, 41 lignes ont été supprimées. Selon la « Campagne pour un meilleur transport », certaines agglomérations perdent plus de 50 % - voire 100 % - de leurs services de bus financés par le conseil municipal. D'autres suppriment tous les services du week-end et du soir. Et les tarifs sont souvent trop élevés pour les travailleurs à bas salaires.
À la mi-juin, Transport for London (TFL) - l'organisme responsable des bus, des trains et du métro à Londres - a annoncé une consultation de six semaines sur des propositions visant à supprimer seize lignes de bus, soit environ 4 % du réseau. Unite affirme que cela aurait entraîné la perte de 800 chauffeurs et aurait également allongé considérablement les trajets de nombreuses personnes. Les gens étaient particulièrement mécontents de l'impact potentiel sur les personnes handicapées et sur les femmes voyageant seules qui pour le même itinéraire auraient dû changer de bus, et aussi du fait que cela aurait augmenté le coût pour de nombreux voyageurs.
Le syndicat, en collaboration avec les Trades Councils6, des groupes de passagers et certains militants travaillistes locaux, a organisé une campagne très médiatisée au cours de l'été, comprenant un certain nombre de marches dans différents quartiers de la capitale, y compris une brève occupation des bureaux de TFL, ainsi qu'une réponse massive à la consultation qui a forcé la prolongation de celle-ci.
TFL a toujours affirmé que les coupes qu'elle proposait dans les services de bus - et aussi pour les travailleurs du métro - étaient le résultat d'un manque de financement de la part du gouvernement central, mais elle n'a rien fait publiquement pour rejoindre la campagne des travailleurs et des passagers, ou bien pour lancer la sienne. Et ce, malgré le fait qu'avant la pandémie, le gouvernement central avait mis fin à tout financement à leur intention et n'avait fourni qu'un financement d'urgence pendant cette période. Aucune capitale comparable ne gère un système de transport sans subvention centrale.
Le 30 août, TFL et le gouvernement ont annoncé qu'ils avaient conclu un accord de financement, pour une durée de seulement dix-huit mois, les 3,6 milliards d'euros indiqués ne suffisant pas à combler le déficit. L'accord a été rejeté par tous les syndicats ferroviaires et il semble peu probable qu'Unite ne fasse pas de même. L'énorme soutien de l'ensemble du mouvement syndical et la volonté de nouvelles actions coordonnées étaient évidents lors du rassemblement massif organisé par le RMT le 31 août avec des orateurs de tous les syndicats du transport.7
Si la campagne d'Unite pour défendre les bus londoniens s'est principalement déroulée dans les rues et au sein des communautés urbaines, cela ne veut pas dire que le syndicat n'a pas organisé d'action sur les lieux de travail. La secrétaire générale Sharon Graham est en poste depuis un peu plus d'un an, après avoir été élue sur un programme visant à ramener le syndicat sur les lieux de travail. Le bilan qu'elle tire de cette période est que, sous sa direction, 76 000 membres en conflit ont gagné "150 millions de livres".
Bus, poubelles, docks…
Unite est un syndicat qui organise ses activités dans de nombreux secteurs, ce qui représente des défis mais aussi des opportunités. En plus de leur campagne contre les coupes dans les services de bus à Londres, 2000 travailleurs de bus ont fait deux jours de grève pour des questions de salaire vers la fin du mois d'août. Dans d'autres régions de Grande-Bretagne, les travailleurs des bus ont participé à des actions revendicatives, notamment la victoire de 300 travailleurs de First Direct à Manchester qui ont obtenu une augmentation de 8,9 % et une somme forfaitaire en février après 8 jours de mobilisation.
L'une des stratégies adoptées par le syndicat sous la direction de Graham a été d'organiser des scrutins à l’intérieur de groupes relativement restreints de travailleurs dans lesquels un travail suffisant de sensibilisation avait été entrepris pour être sûr d'obtenir un vote positif. Puis ensuite d'essayer de s'appuyer sur ces résultats pour étendre l'action à d'autres groupes. Un conflit très médiatisé remporté par le syndicat a été celui des conducteurs de poubelles de Coventry, qui ont obtenu un accord salarial d'une valeur de 12,9 % après sept mois d’une grève continue. L'accord a également vu l'abandon de l'action disciplinaire contre le délégué syndical Pete Randle -et la tentative de victimisation des conseils syndicaux a été repoussée.
Plus de 1 900 dockers du plus grand port à conteneurs de Grande-Bretagne, Felixstowe, ont mené une grève de huit jours à la fin du mois d'août pour exiger un meilleur accord salarial que les 7 % proposés par une entreprise qui engrange les bénéfices. Ils ont reçu la solidarité internationale des dockers de la côte ouest des États-Unis. 560 travailleurs du port de Liverpool feront grève pendant deux semaines à partir du 19 septembre pour obtenir la même offre salariale. Une fois de plus, Graham se concentre sur les bénéfices massifs de leur propriétaire, en l'occurrence l'opérateur portuaire MDHC, une entreprise milliardaire qui a réalisé 30 millions de livres de bénéfices en 2021.
Les travailleurs postaux
Le vendredi 26 août, la grève la plus importante de cet été de lutte a eu lieu. Plus de 115 000 postiers se sont mobilisés pour exiger une augmentation de salaire qui corresponde à l’augmentation du coût de la vie. Les postiers ont également fait grève le 31 août et seront de nouveau en grève les 8 et 9 septembre.
Cette décision fait suite au récent vote du Syndicat des travailleurs de la communication (CWU) en faveur de la grève des postiers, qui a vu les membres voter à 97,6 % en faveur de l'action, avec un taux de participation de 77 %. Le syndicat souligne qu'il s'agit du plus grand mandat de grève atteint depuis la mise en œuvre de la loi sur les syndicats de 2016. C'est la première grève nationale à La Poste depuis douze ans dans un secteur où existe une tradition de grèves locales non officiellement déclarées.
Plutôt que de négocier avec le syndicat, la direction du Royal Mail Group a décidé d'imposer unilatéralement une augmentation de salaire de 2 % aux employés, ces mêmes employés qui avaient reçu le statut de « travailleur essentiel » au plus fort de la pandémie de Covid-19.
Pire encore, la direction prétend - et une trop grande partie des médias de droite le répète - qu'elle a offert 5,5 pour cent. Même si c'était vrai, cela ne répondrait pas aux coûts réels auxquels les travailleurs sont confrontés avec l'inflation - mais en fait, c'est un mensonge flagrant. Il est vrai qu'ils ont fait une offre de 1,5 %, mais celle-ci est strictement conditionnée à l'acceptation par les postiers de changements qui bouleverseraient leurs conditions de travail.
Cela rappelle ce qui se passe dans d'autres industries - notamment le transport - les patrons engrangent d'énormes profits pour eux-mêmes et les actionnaires tout en essayant de forcer même les sections les plus organisées de la classe ouvrière à travailler dans des conditions d'exploitation encore plus grandes. C'est dans ce contexte que le CWU a organisé un second vote pour entrer dans un conflit reconnu avec la direction pour faire valoir les revendications. Les membres l’ ont voté à 98,7 %, avec un taux de participation de 72,2 %.
Comme l'a déclaré Dave Ward, secrétaire général du CWU « Alors que les patrons de Royal Mail engrangent 758 millions de livres de bénéfices et que les actionnaires empochent plus de 400 millions de livres, nos membres n'accepteront pas cette plaie de la pauvreté de la part de l'entreprise. Les postiers n'accepteront pas docilement que leur niveau de vie soit laminé par des chefs d'entreprise cupides qui sont complètement déconnectés de la Grande-Bretagne moderne. Ils en ont assez que l'échec des entreprises soit récompensé encore et encore.
L'autre grande section du syndicat, celle des télécommunications, est aussi engagée dans une bataille très similaire contre une augmentation salariale imposée - cette fois-ci un taux fixe de 1 500 £ qui représente à nouveau une baisse de salaire en termes réels. Cela incite à faire campagne ensemble - et les deux sections se sont prononcées en ce sens le 31 août.
Un groupe plus restreint de membres du syndicat, travaillant aux guichets de la Poste, est confronté à une direction encore plus intransigeante qui a imposé un gel des salaires pour 2021-22 et une offre totalement inadéquate de 3 % plus un paiement unique de 500 £ pour 2022/23. Ils étaient en grève vendredi comme ils l'ont déjà été plusieurs fois cet été.
Et d’autres luttes
Si les conflits dans les transports et ceux organisés par la CWU et Unite sont ceux qui ont le plus clairement changé la situation politique, ils n’ont pas été les seuls. À partir du 5 septembre, des avocats criminalistes – pas un groupe de travailleurs dont on s’attendrait à ce qu’ils soient des militants actifs – ont entamé une grève indéfinie pour exiger une augmentation de 25 % de leurs honoraires. Les gouvernements qui se sont succédé ont réduit de 30 % au cours des 15 dernières années les frais d’aide juridique en matière criminelle. L’impact a été plus marqué sur les nouveaux venus dans la profession qui peuvent s’attendre à un revenu médian de 12 200 £ par an pour les longues heures à un taux horaire de 6,40 £ – en dessous du salaire minimum.
Il y a également eu un certain nombre de débrayages non officiels, y compris par des travailleurs d’entrepôt d’Amazon dans un certain nombre de localités à travers la Grande-Bretagne. Unite et le syndicat GMB organisent des travailleurs chez Amazon et ce dernier syndicat se prépare à une action sur l’un de ses site.
Des motifs d’espoir
L’une des choses remarquables au sujet des piquets de grève de cet été, c’est le nombre de jeunes travailleurs qui y participent pour la première fois, remettant en question l’image et la réalité que les syndicats seraient chose du passé. Lors d’un grand rassemblement organisé par la CWU, l’un des intervenants a déclaré qu’il était confiant parce que cela signifiait que l’avenir du mouvement syndical était entre leurs mains.
Les piquets de grève ont aussi été les plus nombreux autant que je ne m’en souvienne depuis des décennies . Aucun signe que les gens soient intimidés par les lois antisyndicales qui limitent officiellement les piquets au nombre de six. Et ils ont eu lieu dans des zones où ils n’ont pas eu lieu depuis des décennies – dans un cas apparemment depuis la grève générale de 1926. Ce dynamisme militant est important parce que le combat contre l’inflation pour obtenir des augmentations de salaires satisfaisantes est susceptible d’être long.
Une autre dynamique positive émanant en particulier du CWU a été le lancement, en collaboration avec un certain nombre de campagnes locales et quelques députés travaillistes de gauche, de la campagne Enough is Enough (Assez, c'est assez), qui vise non seulement à obtenir des augmentations de salaire équitables pour les travailleurs, mais aussi à réduire les factures d'énergie, à mettre fin à la pauvreté alimentaire, à offrir un logement décent à tous et à taxer les riches [8].8
Plus de 300 000 personnes sont signé dans les jours qui ont suivi son lancement. Cette initiative a rencontré un enthousiasme à la mesure du dégoût causé par les attaques des conservateurs et des patrons, mais aussi de la frustration face à l'échec du Labour sous Starmer à fournir un quelconque leadership.
La Grande-Bretagne est traditionnellement un pays où les syndicats, dans l'ensemble, laissent au parti travailliste ce qu'ils considèrent comme de la politique, qu'il soit au gouvernement ou dans l'opposition. Les membres des syndicats ont invités à ne pas mener d'actions militantes de peur d'empêcher l'élection d'un gouvernement travailliste. Mais face à la profondeur de la crise actuelle et aux nouvelles attaques à attendre très rapidement de la part de Liz Truss, un changement d’au moins une partie du mouvement syndical ne saurait tarder.
5 septembre 2022
- 1Depuis lors, les chiffres se sont légèrement améliorés certaines années, notamment chez les femmes travaillant dans le secteur public, mais pas suffisamment pour inverser le déclin.
- 2Il y a trois syndicats importants ici : United Voices of the World, IWGB et IWW.uk.
- 3Keir Starmer est le chef du parti travailliste d'opposition. Il a demandé à ses principaux députés de ne pas rejoindre les piquets de grève des syndicats et n'a pas soutenu les grèves.
- 4Communiqué sur les menaces de lois antigrèves https://freeourunions.wordpress.com/2022/08/23/new-briefing-on-threatened-new-anti-strike-laws/.
- 5Ils décidèrent d’actions plus tôt vis à vis de quelques compagnies de chemins de fer.
- 6Les Trades Councils réunissent des militants de différents syndicats notamment au plan local.
- 7Ecouter le discours de Mick Lynch https://www.youtube.com/watch?v=aFvEIDzEBb0 et celui très politique de l’invité Bernie Sanders https://www.youtube.com/watch?v=vC4KR1FLbLs.
- 8Phil Hearse “Million say ‘enough is enough’, as Tories plan massive attack” (Un miillion dit « assez c’est assez » a lors que les Tories lancent une attaque massive). https://internationalviewpoint.org/spip.php?article7791