Solidarité avec la révolution soudanaise !

Depuis le 13 décembre 2018, le Soudan vit un soulèvement populaire impressionnant, qui ne cesse de se développer, avec pour premier slogan « Tasgut bas » (le renversement, c’est tout !).

Les habitants de la ville d’Ad-Damazin (capitale de l’État du Nil Bleu) suivis par ceux d’Atbara au nord-est du pays le 19 décembre, ont été les premiers à s’insurger contre le triplement du prix du pain intervenant sur fond de mesures d’austérité drastiques, d’inflation et d’une corruption massive impulsées par le pouvoir. Puis les manifestations ont gagné le reste du pays et la capitale Khartoum, exigeant le renversement du régime. Malgré la répression qui a déjà fait plusieurs dizaines de morts, des milliers de blessés, de torturés, le soulèvement s’est massifié et s’est auto-organisé en profondeur, développant une imagination extraordinaire pour proposer quotidiennement des initiatives pacifiques.

Ce mouvement se dresse contre le pouvoir monopolisé par le président Omar el-Béchir, militaire qui a pris le pouvoir en 1989 pour ne plus le lâcher, avec son entourage corrompu, ses divers appareils de sécurité et son parti le Congrès National (anciennement Font National Islamiste). Cette clique n’a cessé de s’approprier les richesses du pays et de réduire les libertés démocratiques et les droits des femmes, et d’opprimer les minorités – el-Béchir est inculpé de crimes de guerre, crime contre l’humanité et génocide par la Cour pénale internationale de La Haye concernant la répression au Darfour. Cela a abouti à la sécession du Soudan du Sud en 2011, où se concentraient les richesses pétrolières, et le Soudan s’est enfoncé depuis dans le marasme économique. Récemment, el-Béchir a tenté de sauver son régime à bout de souffle en se rapprochant à la fois de la monarchie d’Arabie saoudite, du dictateur égyptien al-Sissi, de la Russie de Poutine, de Bachar al-Assad et du gouvernement d’extrême droite israélien. Salah Gosh, le chef des services de renseignements soudanais, a pu également se rendre en France à l’automne pour rencontrer un responsable du parti de Macron. En même temps, le régime soudanais met en œuvre avec zèle les programmes économiques antipopulaires du FMI : coupes dans les services publics, privatisations et hausse des prix de base.

Le pouvoir avait déjà été contesté dans la rue les années précédentes, en particulier par les étudiants, mais on assiste aujourd’hui au basculement du pays dans un processus révolutionnaire du type de ceux qui ont émergé dans la région arabe en 2011. L’organisation du soulèvement a été impulsée en premier lieu par l’Association des Professionnels soudanais (APS), composée de réseaux de médecins, d’enseignants et d’autres corps de fonctionnaires et de professions libérales. Ceux-ci ont gardé les principes et la mémoire du syndicalisme de lutte alors que les syndicats étaient mis sous la coupe totale du régime, et du militantisme progressiste durement réprimé sur de longues décennies (rappelons que le Parti Communiste soudanais a été un des plus massifs du monde arabe). Ils ont su conjuguer cette mémoire et laisser une place de premier plan à la jeunesse mais aussi aux femmes, ce qui permet une forte inventivité et la massivité nécessaires dans la situation actuelle.

Sous cette impulsion, la révolution s’est dotée d’une direction politique et organisationnelle plurielle nommée Forces de la Liberté et du Changement, avec un document fondateur du même nom qui pose les bases d’une rupture démocratique avec le régime et ses politiques. Cette coordination publie des communiqués hebdomadaires présentant un agenda quotidien de mobilisations, mais aussi des directives quotidiennes, quartier par quartier, prenant en compte les aspects techniques et de sécurité. Des Comités de résistance à la base se sont créés, s’inscrivant dans cette direction collégiale. La révolution s’est donné pour objectif la grève générale « politique » avec des moyens pacifiques, seule à même, selon elle, de renverser ce pouvoir, et entraînant dans la foulée une trève déclarée par l’opposition armée. Si le caractère élargi de cette direction à divers syndicats ou partis limite pour l’instant les aspects sociaux de son programme, la jonction avec le mouvement ouvrier organisé commence, elle a ainsi repris les revendications des travailleurs du port de Port-Soudan en grève contre la privatisation du terminal à conteneurs qui devrait être racheté par une compagnie des Philippines.

La IVe Internationale exprime son entière solidarité avec ce formidable soulèvement du peuple soudanais, et exige l’arrêt de la répression et la libération des détenus. Nous lui souhaitons la pleine réussite de son objectif de chute d’un régime autocratique qu’il subit depuis trop longtemps. Nous espérons que cette dynamique contribuera à l’élan des luttes populaires dans des pays comme l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Irak et pourra avoir des répercussions très positives dans les autres pays concernés par la vague révolutionnaire de 2011 et subissant aujourd’hui le joug des contre-révolutions. Nous appelons toutes les forces révolutionnaires et progressistes, toutes et tous les militant·es qui défendent dans le monde les droits démocratiques et sociaux à soutenir le peuple soudanais, et à se lier à ses activistes qui luttent pour faire vaincre et prospérer le soulèvement pour l’émancipation du peuple soudanais dans l’ensemble de ses composantes.

* Cette déclaration a été adoptée à l’unanimité par la session plénière du Comité International de la IVe Internationale le 4 mars 2019.

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