L'Amérique latine reste une région secouée par des rébellions populaires et des processus politiques de transformation. Dans différentes parties de la région, la même tendance à relancer les soulèvements qui ont marqué le début du nouveau millénaire se vérifie. Ces soulèvements se sont atténués au cours de la dernière décennie et ont retrouvé de l'intensité ces dernières années.
La pandémie a partiellement interrompu cette escalade de mobilisations qui a neutralisé la courte restauration conservatrice de 2014-2019. Cette période de coups d'État renovés n'a pas réussi à désactiver le protagonisme des mouvements populaires.
La rébellion de 2019 en Équateur a inauguré la phase actuelle de protestations qui a répété le schéma traditionnel de rayonnement. La Bolivie, le Chili, la Colombie, le Pérou et Haïti ont été les principaux foyers d'affrontements récents.
Les effets politiques de cette nouvelle vague sont très variés. Ils ont bouleversé la carte générale des gouvernements, recréant l'attractivité du progressisme. Cet aspect a prévalu dans la majeure partie la de la zone géographique . Début 2023, les présidents de ce type dominent dans les pays qui rassemblent 80 % de la population latino-américaine (Santos ; Cernadas, 2022).
Ce scénario a également facilité la continuité des gouvernements harcelés par l'impérialisme américain. Après avoir subi d'innombrables assauts, les présidents diabolisés de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua restent en place.
Le cycle de coups d'État militaires et institutionnels parrainé par Washington au Honduras (2009), au Paraguay (2012), au Brésil (2016) et en Bolivie (2019) a également été partiellement contrecarré. Le récent coup d'État au Pérou (2023) fait face à une opposition héroïque dans la rue.
Cette rébellion a entravé, jusqu'à présent, l'intervention déguisée des marines dans des pays dévastés comme Haïti. La même lutte populaire a infligé de lourdes défaites aux violations tentées par les gouvernements néolibéraux recyclés de l'Équateur et du Panama.
Mais cette grande intervention d'en bas provoque une réaction plus virulente et programmée des classes dirigeantes. Les secteurs enrichis ont étudié l'expérience passée et montrent moins de tolérance pour toute remise en cause de leurs privilèges. Ils ont lancé une contre-offensive d'extrême-droite pour mater le mouvement populaire. Ils aspirent à reprendre avec plus de violence la restauration conservatrice ratée de la dernière décennie. Ce scénario complexe nécessite d'évaluer les forces en présence.
Émeutes à effet électoral
Plusieurs soulèvements au cours des trois dernières années ont eu des traductions électorales immédiates. Les nouvelles directions de la Bolivie, du Pérou, du Chili, du Honduras et de la Colombie sont nés de grands soulèvements qui ont imposé des changements de gouvernement. Les manifestations de rue ont forcé à des élections qui ont conduit à des victoires pour les candidats progressistes contre leurs adversaires d'extrême droite.
Cette séquence a été vérifiée pour la première fois en Bolivie. Le soulèvement a réussi à affronter les gendarmes et à renverser la dictature. Añez a jeté l'éponge lorsqu'elle a perdu ses derniers alliés et les secteurs intermédiaires qui accompagnaient initialement son aventure.
La gestion corrompue de la pandémie a renforcé cet isolement et dilué la continuité civile tentée par les candidats de centre-droit. La rébellion d'en bas a imposé le retour du MAS au gouvernement et plusieurs responsables du putsch sont jugés et emprisonnés. La conspiration s'est poursuivie dans le bastion de Santa Cruz et il est actuellement décidé si elle persistera ou sera écrasée par une réaction officielle énergique.
Une dynamique similaire s'est produite au Chili à la suite du grand soulèvement populaire qui a enterré le gouvernement Piñera. L'étincelle de cette bataille a été le coût du transport, mais le rejet de ces 30 pesos d'augmentation a conduit à un exploit impressionnant contre 30 ans d'héritage pinochetiste.
Cette vague a conduit à deux victoires électorales qui ont précédé celle de Boric sur Kast. La forte augmentation de la participation électorale, avec des slogans antifascistes dans les quartiers populaires, a permis cette réussite dans le pays emblématique du néolibéralisme régional.
En raison de l'importance du Chili comme symbole du thatchérisme, l'accession d'un président progressiste, dans le cadre de l'Assemblée constituante avec une grande présence populaire dans les rues, a suscité d'énormes attentes.
Une séquence plus vertigineuse et inattendue a été enregistrée au Pérou. La lassitude populaire avec les présidents de droite a émergé dans des manifestations spontanées menées par des jeunes privés de leurs droits. Ce soulèvement faisait suite au drame sanitaire de la pandémie, qui a intensifié l'incompétence de la bureaucratie au pouvoir.
Castillo est devenu le destinataire du mécontentement populaire et le Fujimorisme n'a pas pu contrecarrer son arrivée à la Casa de Gobierno. Le discours redistributif du syndicalisme enseignant a créé l'espoir d'en finir avec la succession accablante des gouvernements conservateurs.
En Colombie, la rébellion massive a contraint l'establishment à démissionner pour la première fois de sa gestion directe de la présidence. Plusieurs millions de personnes ont participé à des manifestations massives. Des grèves massives se sont heurtées à une répression féroce et ont réussi à empêcher une réforme régressive de la santé. Comme au Chili, elles se sont ensuite étendus pour exprimer l'énorme malaise accumulé au fil des décennies de néolibéralisme.
Ce ras-le-bol s'est traduit par la défaite électorale d'Uribismo et de l'ultra-droite improvisée qui a tenté d'empêcher la victoire de Petro. Avec cette victoire, un dirigeant de centre-gauche accède à la présidence, évitant le terrible sort de l'assassinat subi par ses prédécesseurs. Il est accompagné d'une représentante, d'ascendance africaine, des secteurs les plus opprimés de la population.
Le triomphe de Xiomara Castro au Honduras s'inscrit dans la même veine. Sa victoire a récompensé la lutte soutenue contre le coup d'État que l'ambassadeur américain avait approuvée en 2009. Ce coup d'État a lancé le long cycle latino-américain de loi et de coup d'État judiciaire parlementaire.
L'avantage de 15 points que Xiomara a obtenu sur son adversaire a neutralisé les tentatives de fraude et de proscription. Dans un contexte dramatique de pauvreté, de trafic de drogue et de criminalité, la lutte populaire héroïque aboutit à une première femme présidente. Xiomara a commencé son administration en abrogeant les lois de gestion secrète de l'État et l'octroit de zones spéciales à des investisseurs extérieurs.
Mais elle doit composer avec la présence étouffante d'une grande base militaire américaine (Palmerola) et d'un ambassadeur de Washington qui intervient tout naturellement dans les débats internes sur les implantations paysannes et les lois de réforme du système électrique (Giménez, 2022).
Des victoires d'un autre genre
Dans d'autres pays, la montée des dirigeants progressistes n'a pas été le résultat direct des protestations populaires. Mais cette résistance s'est opérée sur fond de mécontentement social et d'incapacité des groupes dominants à renouveler la domination de leurs candidats.
Le Mexique a été le premier cas de ce type. López Obrador est arrivé à la présidence en 2018, dans une rude confrontation avec les castes du PRI et du PAN soutenues par les principaux groupes économiques. AMLO a profité de l'usure des administrations précédentes, de la division des élites et de l'obsolescence du maitien par la fraude. Mais il a agi dans un contexte de moindre impact des précédentes mobilisations des enseignants et des électriciens.
Au Mexique, les syndicats ont été très touchés par la réorganisation de l'industrie et n'ont pas été déterminants dans le tournant politique actuel. AMLO entretient une relation ambiguë avec la référence historique cardéniste, mais il a inauguré une administration très éloignée de ses prédécesseurs néolibéraux.
En Argentine, l'arrivée de Fernández (2019) n'a pas non plus été le résultat immédiat d'une action populaire. Il ne reproduit pas l'arrivée de Néstor Kirchner (2003) à la Casa Rosada en pleine rébellion généralisée. Auparavant, le droitier Macri avait essuyé un revers retentissant dans la rue lorsqu'il avait tenté d'introduire une réforme des retraites (2017). Mais il n'a pas fait face au soulèvement général périodique qui secoue l'Argentine.
Le principal mouvement de travailleurs sur le continent se situe dans ce pays. Sa combatvité a été très visible dans les 40 grèves générales menées depuis la fin de la dictature (1983). La syndicalisation est en tête des moyennes internationales et est liée à l'organisation en grève des piqueteros (chômeurs et travailleurs informels)
La lutte de ces mouvements a permis de pérenniser les aides sociales de l'État que les classes dirigeantes ont accordé sous la grande crainte d'une révolte. Les nouvelles formes de résistance -liées à la combativté antérieure de la classe ouvrière- ont facilité le retour du progressisme au gouvernement.
Au cours des trois dernières années, la déception générée par les promesses non tenues de Fernández a conduit à un grand rejet, mais avec des manifestations limitées. Il y a eu des victoires importantes de nombreux syndicats, des concessions fréquentes du gouvernement et des mobilisations dans les rues, mais l'action du mouvement populaire a été contenue.
Au Brésil, la victoire de Lula a été un exploit extraordinaire, dans un cadre de relations sociales défavorables aux secteurs populaires. Depuis le coup d'État institutionnel contre Dilma, le contrôle des rues a été capturé par les secteurs conservateurs qui ont oint Bolsonaro. Les syndicats ont perdu leur rôle principal, les mouvements sociaux ont été harcelés et les militants de gauche ont adopté des attitudes défensives.
La libération de Lula a encouragé la reprise de l'action populaire. Mais cette impulsion n'a pas suffi à renverser l'adversité du contexte, ce qui a permis à Bolsonaro de conserver une masse importante d'électeurs. Le PT a renoué avec la mobilisation pendant la campagne électorale (notamment dans le Nord-Est) et revitalisé ses forces lors des fêtes de victoire.
Dans un contexte de grande division des groupes dominants, lassés des emportements de l'ex-capitaine, et du leadership rassembleur de Lula, la défaite de Bolsonaro a créé un scénario de reprise potentielle de la lutte populaire (Dutra, 2022). La crainte de cette percée a poussé le haut commandement militaire à opposer son veto à la non reconnaissance du verdict des urnes qu'encourageait le bolsonarisme.
Mais la bataille contre l'ultra-droite ne fait que commencer, et pour mater ce grand ennemi il est impératif de regagner la confiance des travailleurs (Arcary, 2022). Cette crédibilité a été érodée par la déception suscitée par le modèle de pactes avec le grand capital que le PT a développé dans ses administrations précédentes. Maintenant, une nouvelle opportunité se présente.
Trois batailles pertinentes
D'autres situations d'intense résistance populaire dans la région n'ont pas abouti à des victoires électorales progressistes, mais à des défaites majeures pour les gouvernements néolibéraux.
En Équateur, la première victoire de ce type a été enregistrée contre le président Lasso qui a tenté de reprendre les privatisations et la déréglementation du travail, ainsi qu'un plan d'augmentation des tarifs douaniers et alimentaires dicté par le FMI. Cet agression a précipité la confrontation avec le mouvement indigène et sa nouvelle direction radicale qui promeut un programme énergique de défense du revenu populaire.
Mi 2022, cet affrontement a recréé la bataille menée en octobre 2019 contre l'agression lancée par Lenin Moreno pour augmenter le prix du carburant. Le conflit s'est réglé avec les mêmes résultats que la lutte précédente et avec une nouvelle victoire pour le mouvement populaire.
La gigantesque mobilisation de la CONAIE est entrée à Quito dans un climat de grande solidarité qui a neutralisé la pluie de gaz lacrymogène déclenchée par les gendarmes.
En 18 jours de grève, le mouvement indigène expérimenté a vaincu la provocation du gouvernement en imposant la libération du leader Leónidas Iza (Acosta, 2022). La CONAIE a également obtenu l'abrogation de l'état d'exception et l'acceptation de ses principales revendications (gel des carburants, obligations d'urgence, subventions aux petits producteurs) (López, 2022).
Le gouvernement a manqué de munitions lorsque son discours insultant contre les Indiens a perdu toute crédibilité. Il a du céder à un mouvement qui démontra une fois de plus sa grande capacité à paralyser le pays et à neutraliser les attaques contre les acquis sociaux.
Une autre victoire de même importance a été remportée au Panama au milieu de l'année, lorsque les syndicats d'enseignants ont convergé avec les transporteurs et les producteurs agricoles, refusant l'augmentation officielle de l'essence, de la nourriture et des médicaments. L'unité forgée pour développer cette résistance a lié la communauté indigène à un mouvement de protestation qui a paralysé le pays pendant trois semaines. Les marches de protestation ont été les plus importantes de ces dernières décennies.
Cette réaction sociale a fait plier un gouvernement néolibéral qui a dû revenir sur ses plans d'ajustement. Le président Carrizo n'a pas pu satisfaire les entrepreneurs qui ont exigé une plus grande dureté contre les manifestants.
Cette victoire a été particulièrement significative dans un isthme qui a connu une croissance fulgurante au cours des deux dernières décennies, profitant des profits générés par l'administration du Canal pour les groupes dominants. Les inégalités sont vertigineuses, dans un pays où les 10 % des familles les plus riches ont des revenus 37,3 fois supérieurs aux 10 % des plus pauvres (D'Leon, 2022).
L'invasion américaine de 1989 a imposé un schéma néolibéral qui complète cette asymétrie par des niveaux scandaleux de corruption. La fraude fiscale à elle seule équivaut à la totalité de la dette publique (Beluche, 2022). La victoire dans les rues a infligé une sévère défaite au modèle que les élites centraméricaines présentent comme la voie à suivre pour tous les petits pays.
Le troisième cas d'une extraordinaire résistance populaire sans débouchés électoraux se vérifie en Haïti. Les gigantesques mobilisations ont de nouveau occupé le centre de la scène en 2022. Elles ont affronté les politiques de pillage économique mises en œuvre par un régime géré depuis les bureaux du FMI. Cette institution a conduit à l'augmentation du coût du carburant qui a déclenché les protestations, dans un pays encore déchiré par le tremblement de terre, l'exode rural et la surpopulation urbaine (Rivara, 2022).
Les manifestations de rue se sont déroulées dans un vide politique absolu. Il n'y a pas eu d'élections depuis six ans avec une administration qui se passe du pouvoir judiciaire et législatif. L'actuel président survit grâce au simple soutien apporté par les ambassades des États-Unis, du Canada et de la France.
La mauvaise gestion actuelle est prolongée par l'indécision qui règne à Washington lorsqu'il s'agit de effectuer une nouvelle occupation. Ces interventions sous le couvert de l'ONU, de l'OEA et de la MINUSTAH ont été recréées maintes et maintes fois au cours des 18 dernières années avec des résultats désastreux. Les serviteurs locaux de ces invasions exigent le retour des troupes étrangères, mais l'inutilité de ces missions est évidente.
Ce type de contrôle impérial a en fait été remplacé par la généralisation de bandes paramilitaires qui terrorisent la population. Elles agissent en étroite complicité avec les mafias commerciales (ou gouvernementales) qui se disputent le butin en litige, en utilisant les 500 000 armes illégales fournies par leurs complices de Floride (Isa Conde, 2022). L'assassinat du président Moïse n'était qu'un échantillon du désastre généré par des gangs gérés par différents groupes de pouvoir.
Ces organisations ont également tenté d'infiltrer les mouvements de contestation pour briser la résistance populaire. Elles sèment la terreur mais ne sont pas arrivées à confiner la population chez eux. Elles n'ont pas non plus pu recréer des attentes dans une autre intervention militaire étrangère (Boisrolin, 2022). La rébellion continue, tandis que l'opposition cherche des moyens de forger une alternative pour surmonter la tragédie actuelle.
Etudes axées sur la résistance
L'enchaînement des résistances au cours des trois dernières années confirme la persistance en Amérique latine d'un contexte prolongé de luttes, soumis au schéma habituel des hauts et des bas. Les succès et les revers sont limités. Il n'y a pas de victoires historiques, mais il n'y a pas non plus de défaites comme celles subies pendant les dictatures des années 1970.
Cette étape peut être caractérisée de différents dénominations. Certains analystes observent un long cycle de contestation du néolibéralisme (Ouviña, 2021) et d'autres soulignent la prééminence des actions de résistance populaire qui déterminent les cycles progressistes (García Linera, 2021).
Ces approches hiérarchisent correctement le rôle de la lutte et l'attraction conséquente des sujets populaires. Elles offrent des perspectives qui dépassent le mépris fréquent des processus qui se déroulent par en bas. Dans ce second type de regards prédominent une grande méconnaissance de la lutte sociale et une recherche biaisée des cours géopolitiques par en haut. Ils étudient en particulier comment se résolvent les conflits dans le domaine exclusif des pouvoirs, des gouvernements ou des classes dominantes.
Ce dernier point de vue tend à prévaloir dans les caractérisations des cycles progressistes comme des processus simplement opposés au néolibéralisme. Son incidence politique démocratisante, ses projets économiques hétérodoxes ou son autonomie par rapport à la domination américaine, sont mises en lumière.
Mais avec cette démarche, les différentes positions des groupes dominants sont évaluées sans enregistrer les liens de ces stratégies avec les politiques de contrôle ou de soumission des majorités populaires. Elles omettent cet élément clé car elles ne valorisent pas la centralité de la lutte populaire dans la détermination du contexte latino-américain actuel.
Cette distorsion est très visible dans l'utilisation biaisée de catégories inspirées de la pensée de Gramsci. Ces notions sont prises pour évaluer comment les classes capitalistes parviennent à articuler consensus, domination et hégémonie. Mais on oublie que cette cartographie du pouvoir constituait pour le communiste italien un élément complémentaire de son évaluation de la résistance populaire. Cette rébellion était le pilier de sa stratégie de conquête du pouvoir par les opprimés pour construire le socialisme.
Une mise en oeuvre actualisée pour l'Amérique latine de cette dernière approche nécessite de privilégier l'analyse des luttes populaires. Les modalités utilisées par les puissants pour étendre, préserver ou légitimer leur domination enrichissent, mais ne remplacent pas, cette évaluation.
Comparaisons avec d'autres régions
En enquêtant sur la résistance des opprimés, on perçoit les singularités latino-américaines de ces luttes. Ces dernières années, l'action populaire a présenté des similitudes et des différences avec d'autres régions.
En 2019, une forte tendance à l'émergence d'une nouvelle vague de protestations a été observée dans diverses parties de la planète, menée par des jeunes indignés, de France, d'Algérie, d'Égypte, d'Équateur, du Chili ou du Liban.
La pandémie a brusquement interrompu cette irruption, générant une période de peur et de confinement de deux ans. Ce reflux a été à son tour accentué par le poids d'un négationnisme de droite qui remettait en cause la protection sanitaire. Dans ce cadre, s'est relevée la difficulté d'articuler un mouvement global de défense de la santé publique centré sur l'élimination des brevets vaccinaux.
Après cette période dramatique de confinement, les protestations ont tendance à réapparaître, suscitant les mises en garde du pouvoir qui souligne la proximité des rébellions post-pandémiques (Rosso, 2021). Ils craignent surtout l'indignation générée par les prix élevés du carburant et des denrées alimentaires (The Economist, 2022). Cette dynamique de résistance comprend déjà une recrudescence significative des grèves en Europe et de la syndicalisation aux États-Unis, mais le rôle moteur de l'Amérique latine reste un fait marquant.
Partout les sujets de cette lutte rassemblent une grande diversité d'acteurs, avec une importance non négligeable de la jeunesse travailleuse précaire. Ce secteur souffre d'un degré d'exploitation plus élevé que les salariés formels. Il souffre de la précarité de l'emploi, du manque de prestations sociales et des conséquences de la flexibilité du travail (Standing, 2017).
Pour ces raisons, il est particulièrement actif dans les combats de rue. Il a été privé des domaines traditionnels de négociation et fait face à un interlocuteur patronal très diffus. Dans différents pays, il est poussé à imposer ses revendications par l'intermédiaire de l'État.
Les migrants, les minorités ethniques, les étudiants endettés sont des acteurs fréquents de ces luttes dans les économies centrales, et la masse des travailleurs informels occupe une centralité similaire dans les pays périphériques. Ce dernier segment n'intègre pas le prolétariat traditionnel des usines, mais fait partie (au sens large) de la classe ouvrière et de la population qui vit de son propre travail.
Les piqueteros en Argentine constituent une partie de ce secteur qui a forgé son identité en bloquant les rues, compte tenu de la perte d'emplois dans les lieux qui centralisaient leurs revendications. De cette bataille sont nés les mouvements sociaux et les différentes variétés de l'économie populaire. Un rôle tout aussi pertinent est joué par les secteurs paysans qui ont forgé le MAS en Bolivie et les communautés indigènes qui ont créé la CONAIE en Équateur.
Les liens de ces mouvements de lutte latino-américains avec leurs homologues d'autres parties du monde ont perdu de leur visibilité en raison de la détérioration des instances internationales de coordination. La dernière grande tentative de cette jonction ont été les Forums sociaux mondiaux, parrainés au cours de la dernière décennie par le mouvement altermondialiste. Les Sommets des peuples, alternatifs aux réunions de gouvernements, de banquiers et de diplomates, ont perdu leur incidence. La bataille contre la mondialisation néolibérale n'a plus cette centralité et a été remplacée par des programmes populaires plus nationaux (Kent Carrasco, 2019).
Certes, deux mouvements mondiaux très dynamiques persistent : le féminisme et l'écologie. Le premier a remporté des succès très significatifs et le second réapparaît périodiquement avec des pics de mobilisation inattendus. Mais le champ commun des campagnes mondiales qu'offraient les Forums Sociaux n'a pas trouvé de remplaçant équivalent.
La grande vitalité des mouvements de lutte en Amérique latine tient à de multiples raisons. Mais son profil politique progressiste, loin du chauvinisme et de l'intégrisme religieux, a été très significatif. Dans la région, il a été possible de contenir les tendances réactionnaires parrainées par l'impérialisme, de générer des affrontements entre peuples ou des guerres entre nations opprimées.
Le Pentagone n'a pas trouvé le moyen d'induire en Amérique latine les conflits sanglants qu'il a réussi à déclencher en Afrique et en Orient. Il ne pourrait pas non plus installer une annexe comme Israël pour perpétuer ces tueries ou valider la terreur persistante des djihadistes.
Washington a été le promoteur invariable de ces monstruosités pour tenter de maintenir son leadership impérial. Mais aucune de ces aberrations n'a prospéré jusqu'à présent dans son arrière-cour en raison de la centralité que maintiennent les organisations de lutte populaire.
Pour cette raison, l'Amérique latine demeure une référence pour d'autres expériences internationales. De nombreuses organisations de la gauche européenne cherchent par exemple à imiter la stratégie d'unité ou les projets redistributifs développés dans la région (Febbro, 2022). Mais tous les peuples du continent font actuellement face à un dangereux ennemi d'extrême droite, que nous analyserons dans le prochain texte.
12 janvier 2023
Claudio Katz est Économiste, chercheur au CONICET, professeur à l'UBA, membre de l'EDI.
Traduit par fourth.international de Punto de Vista Internacional
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