L’Internationale redevient une perspective

Pour raconter le XVIe Congrès de la IVe Internationale, on pourrait commencer en parlant de la reconstitution de sa section russe, une sorte de retour aux sources : la IVe Internationale fut fondée à l’initiative de Léon Trotsky en 1938, dans le sillage de la lutte, et de la défaite, de l’Opposition de gauche au stalinisme, détruite en Russie au cours des années 1920 et 1930. On pourrait poursuivre en remarquant la présence de nombreuses organisations latino-américaines, à commencer par le courant Marea Socialista, qui intègre le Parti socialiste uni du Venezuela de Chávez et qui a proposé de renforcer l’unité politique et l’unité d’action des courants internationaux pour répondre collectivement à la proposition d’une Ve Internationale lancée par le président vénézuélien. On pourrait insister en soulignant l’importance de la naissance du Nouveau Parti Anticapitaliste en France qui, quelles que soient ses contradictions et ses difficultés de jeunesse, constitue la principale nouveauté de la politique européenne à côté des dynamiques qui, sous d’autres latitudes politiques, traversent la gauche allemande.

Pourtant, pour donner le sens du succès représenté par le XVIe Congrès mondial de la IVe Internationale — qui s’est achevé le 28 février à Ostende, en Belgique, sur la Mer du Nord — nous préférons citer trois éléments :

► D’abord, la participation. Les délégués, les observateurs, les invités venant d’une bonne quarantaine de pays, ont permis de développer un débat alimenté par la présence de tous les continents, de l’Australie au Canada, de l’Argentine à la Russie, de la Chine à la Grande-Bretagne, du Congo aux États-Unis. Réussir à réunir durant cinq jours, dans un même lieu, de manière totalement autofinancée et sans un quelconque support institutionnel, une telle quantité d’organisations n’est pas une chose facile.

► Ensuite, le fait que pour la première fois le nouveau Comité international, élu lors de ce congrès, compte une présence de femmes supérieure au 40 %. Et les jeunes y sont en grand nombre. Le Comité international est maintenant un organisme « fédéral », c’est-à-dire que chaque réalité nationale dispose de ses propres représentants. Il n’y a pas de « rééquilibrages » des organes centraux — l’histoire a enseigné à ce courant international qu’il ne peut pas y avoir de ligne politique imposée d’en haut ni, encore moins, de parti « guide » — la composition du Comité international témoigne donc d’un renouvellement générationnel, d’un changement de mentalités et d’une nouvelle réalité politique et sociale.

► Le troisième élément ce sont les retombés politiques et organisationnelles majeures, tournées vers le futur. En effet, le congrès était tourné vers l’Est, vers l’Asie, avec un rôle fondamental de l’organisation philippine, la présence, déjà mentionnée, des Russes (Mouvement socialiste Vperiod), celle du Parti polonais du travail (PPP) invité, l’orientation du groupe de Hong Kong en Chine et de la nouvelle organisation japonaise en construction vers la création de sections de l’Internationale. Mais surtout avec la présence importante et décisive du Parti du travail du Pakistan (LPP, Labour Party Pakistan), une organisation considérable, dont le congrès national, en janvier, culminait par un rassemblement de plus de dix mille travailleurs, paysans et, surtout, des femmes.

Renouveau

Pour la IVe Internationale ce fut un renouveau, le signe du dépassement des difficultés des années 1990 et de la première décennie du XXIe siècle. Après une série de défections ou de scissions et une perte de perspectives, la discussion a tourné autour de la possibilité ou, au moins, de la volonté d’envisager une « nouvelle Internationale » — fruit d’un processus politique possible, amorcé même, par les choix réalisés en France, par les présences, comme celle des Pakistanais ou par le débat qui se déroule en Amérique latine. Cette discussion a fourni une nouvelle impulsion et une nouvelle sève au débat interne. Le processus politique qu’il faut regarder avec attention est celui de la construction de « nouveaux partis anticapitalistes », larges et avec une influence de masse, compris comme « la réponse actuelle à la crise du mouvement ouvrier et à la nécessité de sa reconstruction ». Une perspective qui a son caractère international organique, sans pour autant se traduire de manière automatique par une « ligne » qu’il faudrait suivre partout servilement.

Une perspective, il faut le souligner, qui coïncide avec l’envie et le projet de renforcer ce courant politique qui a maintenant a plus de soixante-dix ans, mais qui fait encore preuve d’une vitalité certaine. Comme en témoigne sa capacité de consacrer une session des débats — et d’approuver une nouvelle résolution — au changement climatique, considéré comme une des principales nouveautés du siècle qui s’ouvre et un terrain de bataille décisif du conflit « capital-travail ». Du reste, cette attention aux nouvelles thématiques et aux nouveaux sujets de conflit avait été révélée déjà au congrès précédent avec l’approbation d’une résolution sur le mouvement altermondialiste et sur la question LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels). Il n’y a pas tellement d’organisations marxistes révolutionnaires capables d’intégrer — ni même, qui aspirent à — dans leur programme des questions qui furent à ce point controversées dans l’histoire du mouvement ouvrier. Au contraire, il n’y en a aucune autre.

Évidemment il faut garder le sens des proportions : nous parlons dans diverses parties du monde de petites organisations politiques, parfois de petits groupes, même si généralement il s’agit de collectifs militants insérés dans leur réalité nationale, sociale et politique. Mais le fait d’appartenir à un cadre international a permis de préserver jusqu’à présent une certaine vitalité et une capacité de maintenir le fil et la discussion commune. Et donc de répondre présents aux rendez-vous, tel celui de la possible convocation par le gouvernement vénézuélien d’un débat pour une Ve Internationale. Le caractère propagandiste de cette proposition ni la complexité d’une invitation venant d’un chef de gouvernement n’a échappé à personne. Mais en même temps, ce qui a été souligné à plusieurs reprises, l’hypothèse confère une nouvelle crédibilité et une nouvelle visibilité à la conception de l’Internationale, au fait que cette dimension soit décisive pour affronter la mondialisation capitaliste et sa crise. Et ce n’est pas un hasard si, à côté de la proposition de Chavez, en existe une autre, promue par les Américains de Znet et que, parmi ses premiers signataires, on voit Noam Chomsky, Michael Albert, Vandana Shiva, Michael Löwy, John Pilger et bien d’autres.

Le congrès a donc décidé de participer à ce débat en maintenant intacte sa conception de l’Internationale, c’est-à-dire d’un organisme fondé sur un programme, une perspective commune (le dépassement du capitalisme), la démocratie interne, l’efficacité sociale et l’indépendance absolue par rapport aux gouvernements. En même temps, l’appel de Marea Socialista de tenir une rencontre internationale à Caracas a été accueilli positivement. De même, la question des mouvements sociaux a été au centre de la discussion, avec l’engagement pour le « sommet » de Cochabamba sur le réchauffement climatique, convoqué par le président bolivien Evo Morales ; les divers Forum sociaux — celui des Amériques à Asunciòn, le Forum social européen à Istanbul et le Forum mondial, en 2011, à Dakar — ; le sommet euro-latino-américain à Madrid en mai prochain et celui contre l’OTAN à Lisbonne en novembre 2010. Une nouvelle impulsion a aussi été donnée à l’Institut de Formation et de Recherche d’Amsterdam, qui s’appuiera sur deux nouveaux centres « régionaux », dont l’importance symbolique saute aux yeux : celui de Manille et celui d’Islamabad.

Sur le plan européen, outre l’importance mentionnée accordée aux sommets de Madrid et de Lisbonne, il s’agit de remettre en mouvement le processus de convergence de la gauche anticapitaliste qui, au-delà de formules et de formes, doit permettre d’avancer la réflexion commune et, surtout, d’initier des campagnes politiques communes. À ce propos, le congrès s’est prononcé en faveur de l’organisation de conférences thématiques permettant de discuter diverses questions en vue de prendre des initiatives communes. Le premier rendez-vous sera dédié à la crise économique et en particulier à la manière de s’opposer efficacement à trois de ses aspects : les licenciements, les attaques que subissent les systèmes des retraites et celles visant les services publics. ■

Salvatore Cannavò