La guerre que les gouvernements de l'OTAN ont déclenchée contre la Serbie s'intègre à la fois dans une nouvelle étape de la crise qui a déchiré l'ancienne Yougoslavie et dans les recompositions géostratégiques qui affectent les relations entre grandes puissances, notamment l'Union européenne et les États-Unis, ainsi que leurs institutions (ONU, OTAN...) depuis la chute du mur de Berlin.
C'est pourquoi elle a suscité dans les milieux de gauche deux types dominants de réactions unilatérales : celles qui résultaient d'abord du rejet de la répression exercée par le pouvoir serbe depuis 1989 au Kosovo et plus largement des politiques de nettoyage ethnique qui ont ravagé la Croatie et la Bosnie depuis 1991: c'est dans ce courant que la guerre de l'OTAN a puisé son support populaire comme guerre "morale", exploitant abusivement des analogies historiques inadéquates; un autre ensemble de mobilisation a réagi d'abord au précédent d'une guerre de l'OTAN dans le contexte du "nouvel ordre mondial", à son hypocrisie et à ses enjeux géostratégiques internationaux.
Même si le rejet de l'OTAN et celui du régime de Milosevic ne se situent évidemment pas sur le même plan, ce double rejet de l'un et de l'autre brisait le faux dilemme d'avoir à choisir un "camp" réactionnaire. Loin d'atténuer la résistance aux politiques impérialistes, l'axe critique envers le régime serbe permettait de trouver une écoute chez ceux et celles qui percevaient l'impasse et le caractère contre-productif de cette guerre du point de vue de ses objectifs affichés (contre les nettoyages ethniques). Enfin, le fait que Milosevic dirige un parti qui se dit " socialiste " imposait, plus explicitement que dans le cas de l'Irak, que notre critique à l'égard de sa politique s'exprime en toute clarté, en même temps que nous condamnions la guerre de l'OTAN.
C'est pourquoi ces deux axes critiques et la défense du droit d'autodétermination des Kosovars offraient des points de repères progressistes. Ils ne donnaient pas pour autant de réponse aux Kosovars sur la façon de défendre le droit d'autodétermination face à la violence agressive de l'État serbe.
Face à la nécessité de ne pas glisser sur une position "pacifiste" indifférente au sort du peuple kosovar, nous avons soutenu le droit de légitime défense des Kosovars en refusant de renvoyer dos-à-dos le terrorisme de l'État serbe et la lutte armée de l'UCK. Mais l'orientation politique de celle-ci après l'éviction d'Adem Demaci, et sa faiblesse organique, ne nous permettait pas pour autant de nous appuyer sur elle dans la double lutte contre les nettoyages ethniques et contre la guerre de l'OTAN. Nous étions donc réduits à nous battre pour l'arrêt des bombardements et la recherche d'un accord qui permette en priorité le retour des populations expulsées - protégées donc par une force multinationale.
L'arrêt de la guerre et le retour des réfugiés ont été obtenus dans le cadre d'un compromis réinsérant l'ONU et la Russie dans la procédure, tout en permettant aux troupes de l'OTAN d'occuper le Kosovo. Un tel accord, noué entre le pouvoir de Belgrade et les grandes puissances et excluant la résistance kosovare revêt nécessairement un contenu conflictuel et réactionnaire que nous devons analyser et combattre en soutenant le droit des peuples yougoslave et kosovar à prendre en main leur sort.
Les conséquences de la guerre et nos tâches en Yougoslavie et dans les Balkans
L'accord, qui a arrêté les attaques de l'OTAN et permis le retrait de l'armée et de la police serbe, débouche sur une occupation militaire du Kosovo principalement par les troupes de l'OTAN et sur l'instauration d'un protectorat par les grandes puissances sous mandat de l'ONU.
Le retour massif et rapide des populations kosovares albanophones expulsées a donné une légitimité initiale à la présence de la force d'interposition internationale - alors qu'il s'agit de la moindre des réparations d'une guerre qui a catalysé (et non empêché) les pires nettoyages ethniques commis par les forces serbes. Certes, du point de vue des Albanais du Kosovo, le protectorat brise le joug serbe. Mais il est aux antipodes de ce que prétendent instaurer les Accords de paix ("un Kosovo multiethnique et tolérant") et il n'envisage pas de reconnaître le droit de la population kosovare à se prononcer sur son propre sort.
La Kfor (force multinationale d'interposition au Kosovo) se déclare incapable de protéger les minorités non albanaises qui fuient massivement la province: tout ceci peut alimenter dans l'opinion publique des doutes croissants sur les buts réels (ou au moins sur "l'efficacité" par rapport aux buts présumés) de la guerre et du protectorat. Celui-ci est à la fois , conflictuel avec Belgrade et avec les forces indépendantistes kosovares. D'un côté, il maintient formellement la souveraineté serbe sur la province et les frontières yougoslaves, ce qui est associé à la possibilité du retour des forces armées de Belgrade; mais, en pratique, il officialise l'usage du Mark au Kosovo, au détriment du Dinar yougoslave.
D'autre part, le pouvoir des grandes puissances se heurte aux aspirations indépendantistes de l'UCK (Armée de libération du Kosovo) et à sa volonté de contrôler les institutions de la province; il instaure un "administrateur" du Kosovo comme au temps des colonies et prévoit que la présence de ses troupes durera sans doute "des années voire des dizaines d'années". Un tel protectorat exclut pour l'instant la partition ethnique. Mais l'entrée et la réorganisation de milices paramilitaires serbes liées à Belgrade dans le nord de Mitrovica sous contrôle français peut encore déboucher sur un engrenage de partition ethnique. Les différentes forces politiques de la résistance kosovare demandent que soient constituées, dans un Kosovo en paix, une police et une armée issues de la décision des Kosovars eux-mêmes. C'est une exigence légitime, comme l'est celle d'une auto-administration démocratique au lieu d'un " protectorat " de l'ONU.
La présence durable de troupes et organisations étrangères sera à l'origine, comme en Bosnie, de très grandes inégalités sociales, de corruption, de dépendance, en même temps que d'accélération des privatisations source des mêmes désastres mafieux que dans l'Albanie voisine. Notre objectif est d'aider la société civile kosovare et en particulier ses jeunes et ses travailleurs, hommes et femmes, à prendre en main son avenir, sa défense et ses institutions, au plus vite, dans un cadre démocratique. Le développement de liens internationaux, notamment au plan syndical, dans la continuation d'International Workers Aid pour la Bosnie, sera essentiel dans ce cadre.
Droit d'autodétermination des Kosovars; respect des minorités et solidarité entre peuples des Balkans
Les réticences envers la défense de ce droit s'appuient sur la crainte qu'il ne débouche sur une fragmentation croissante et la construction d'États éthniquement purs. Mais l'approche sélective du droit d'autodétermination ou son rejet implique nécessairement l'acceptation de la loi du plus fort et des choix arbitraires des grandes puissances.
Notre défense intransigeante du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne signifie pas l'adhésion à une solution universelle qui serait "à chaque peuple son État". Mais elle signifie que ce sont les peuples eux-mêmes qui doivent en juger dans un contexte donné, évolutif. La défense de ce droit est inséparable d'une lutte pour le pluralisme politique et ethnique, contre toutes les politiques de nettoyage ethnique et pour l'égalité de traitement de toutes les communautés.
Les Albanais constituaient 80 de la population du Kosovo. Après la mort de Tito, dès 1989, le premier acte de Milosevic fut de supprimer le statut d'autonomie dont bénéficiait le Kosovo dans la Fédération yougoslave. A la place fut institué un véritable régime d'apartheid. Un système de "préférence nationale" à l'embauche a été instaure pour les Serbes.
La seule solution politique et démocratique revient au peuple du Kosovo : s'autodéterminer, décider par une consultation démocratique le destin qu'il choisit - l'indépendance, s'il le souhaite. Le peuple kosovar doit pouvoir s'autodéterminer c'est-à-dire redéfinir librement par lui-même son régime interne, ses rapports avec les autres peuples, son statut, son avenir, ses relations avec le pouvoir de Belgrade, par un acte de décision librement consentie, une consultation démocratique. Une fédération ne peut être viable que si elle est acceptée librement par chacune des parties contractantes: indépendance ou autonomie, c'est au peuple du Kosovo dans son ensemble de décider, y compris en garantissant les droits des minorités au sein du Kosovo (Serbes, Turcs, Roms).
Un tel processus est la seule garantie pour que toutes les communautés définissent des règles et des institutions afin de vivre ensemble et à égalité, alors que l'exacerbation des tensions et la volonté d'imposer le pouvoir d'une minorité mènent assurément à la guerre et à l'épuration. En septembre 1991, les autorités clandestines du Kosovo organisèrent un référendum. La participation de la population atteignit 87% et 99% des votants se prononcèrent en faveur d'une république souveraine, en laissant ouverte la question des liens avec les États voisins. Ce choix fut confirmé dans toutes les élections ultérieures organisées par la société parallèle kosovare albanaise. Ibrahim Rugova, élu président, se prononça en faveur de l'indépendance, même s'il divergeait sur les moyens d'y parvenir. Après la déportation de masse des Albanais du Kosovo organisée par Milosevic, il est clair que la revendication d'un Kosovo indépendant est aujourd'hui massivement souhaitée par les Kosovars. Nous soutenons cette aspiration légitime. Personne n'a le droit de leur imposer le maintien dans une fédération yougoslave dirigée par le régime qui a organisé l'épuration.
C'est à l'échelle balkanique que des solutions équitables et des droits réciproques peuvent être réalisés pour tous les peuples concernés. C'est pourquoi nous défendons à la fois le droit d'autodétermination des Kosovars dans le respect de toutes les minorités et la nécessité des liens entre les peuples et travailleurs de cette région pour qu'émergent à cette échelle des rapports de solidarité, d'égalité sociale, culturelle, politique et de coopération.
Risques d'explosions balkaniques
Or la guerre de l'OTAN n'a en rien résolu, mais plutôt aggravé, les risques d'explosions balkaniques (ce qui était son souci premier). Loin de faciliter le renversement de Slobodan Milosevic sur la base d'une clarification politique et d'une critique progressiste de sa politique, la guerre de l'OTAN a plus que jamais brouillé les cartes et rendu encore plus problématique l'émergence d'une opposition cohérente et progressiste.
Milosevic a consolidé son pouvoir en jouant sur toutes les cordes : l'appel à des mobilisations anti-bureaucratiques qui lui ont initialement permis d'affermir son pouvoir contre ses rivaux - et l'appui sur des mécanismes bureaucratiques et clientélistes de contrôle des entreprises ; la référence au passé titiste antifasciste et yougoslave - et la rupture radicale avec ce passé dans l'alliance avec les courants nationalistes serbes de traditions anticommunistes ; le soutien des aspirations et politiques sécessionnistes des minorités serbes de Croatie et de Bosnie, s'appuyant sur un ultra-nationalisme d'extrême-droite et ses milices paramilitaires - puis le soutien aux "plans de paix" en rupture avec ses ex-alliés. Il est ainsi apparu socialement plus protecteur que ses opposants libéraux et plus modéré que son extrême-droite, tout en reprenant une partie du programme de celle-ci.
Milosevic n'est ni Hitler ni antifasciste. Son alliance politique et programmatique avec le Parti radical de Seselj et ses milices est criminelle. Comme est criminelle l'incorporation de courants et d'orientations d'extrême-droite au régime de Tudjman en Croatie. Et sur ce plan les dissymétries dans le traitement médiatique et politique de Milosevic et de Tudjman renvoient très largement effectivement à des complaisances envers ceux qui se revendiquent du libéralisme et de l'anticommunisme...
Prendre le contre-pied de cette dissymétrie hypocrite et soutenir Milosevic comme " progressiste " n'est pas plus pertinent. Seul et désarmé, le peuple kosovar a été victime d'une véritable épuration ethnique mise en œuvre par les milices serbes ultras, sinistrement célèbres en Bosnie. Dans l'année 1998 les exactions des forces serbes ont chassé de leurs habitations environ 200 000 Kosovars et, en une semaine, après l'intervention de l'OTAN, 400 000 Kosovars ont été déportés aux frontières. A l'ombre de l'intervention de l'OTAN, Milosevic a aggravé son agression contre les Albanais du Kosovo. On ne peut pas dire qu'on ne savait pas, qu'on ne connaissait pas la nature du régime de Milosevic, après des années de guerre en Croatie et en Bosnie, après les mas-sacres de Srebrenica.
Le régime de Milosevic doit être combattu pour ses pratiques barbares et son idéologie basée sur la séparation ou la domination ethnique, aussi dangereuse que toutes les idéologies racistes et xénophobes du même type. Pour se maintenir au pouvoir, ce régime a enfourché le cheval du nationalisme grand-serbe qui visait à rassembler tous les Serbes dans le même État par les moyens du nettoyage ethnique de territoires. Ces actes relèvent de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Les responsables doivent être traduits devant le Tribunal pénal internationale de la Haye.
Il revient à la population yougoslave, notamment serbe - et non pas à l'OTAN - de dresser elle-même le bilan final des drames auxquels l'a conduit la politique de Milosevic. L'inculpation de Milosevic et le conditionnement de l'aide économique poussent bon nombre d'anciens partisans de la "Grande Serbie" à se "blanchir" dans des campagnes "radicales" pour la démission de Milosevic qui tiennent lieu de programme. Ils peuvent s'appuyer sur l'aspiration à la paix et à recevoir des crédits occidentaux pour reconstruire un pays détruit - ainsi que sur les désillusions accumulées envers le régime de Milosevic. Mais l'amertume envers la politique de l'OTAN est également très profonde, rendant incertains les résultats des élections. La grande masse des réfugiés serbes du Kosovo, de Croatie et de Bosnie risque de fournir la base électorale du Parti radical d'extrême-droite.
Nous dénonçons la façon dont la population serbe a été doublement prise en otage d'abord par la guerre, puis par l'étranglement économique (la population du Monténégro étant quant à elle soumise aussi à un étrangle-ment de la part de Belgrade). De même faut-il combattre le caractère sélectif - donc politique - des actions du TPI. Non pas en rejetant le TP1 ni l'inculpation de Milosevic, mais en exigeant la poursuite de tous les criminels et l'extension des actions pénales du droit international en direction de l'OTAN c'est-à-dire des gouvernements impérialistes.
Les mécanismes d'ensemble de privatisation qui ont accéléré l'éclatement de la fédération titiste mais aussi le maintien d'une forte coalition au pouvoir entre le parti de Milosevic et le Parti radical de Seselj continueront à produire leurs effets désagrégateurs, notamment au Monténégro. La perte du Kosovo renforce une offensive politique de Milosevic, aîné de Seselj, vers la Bosnie. Elle pourrait déboucher sur la relance d'une action militaire dans le but d'une partition de la Bosnie-Herzégovine - proposée en contre-partie d'un abandon définitif de toute ambition sur le Kosovo.
Parallèlement, les risques d'éclatement de la Macédoine demeurent tant qu'elle n'a pas répondu de façon satisfaisante aux revendications de sa population albanaise. C'est donc à l'échelle balkanique que nous devons développer des solidarités et des liens syndicaux, associatifs, féministes contre les politiques réactionnaires dominantes pour préparer par en bas une recomposition progressiste des liens entre peuples.
La conscience croissante de ces risques, des désastres non avoués de la guerre et de l'imbrication des questions nationales dans l'ensemble de l'Europe balkanique est à l'origine de la proposition du "Pacte de stabilité" signé à Sarajevo le 31 juillet 1999 avec les gouvernements de la région - sauf celui de la Serbie. Les gouvernements de l'OTAN vont offrit à leurs multinationales les moyens de reconstruire les infrastructures qui ont été détruites par leur guerre. Comme en Bosnie et ailleurs dans l'univers libéral, les pots-de-vin pour remporter les contrats de privatisation vont accompagner ce "Pacte" aux objectifs de "stabilisation" qui seront contredits par la logique socialement désagrégatrice et la poli-tique d'austérité sociale de la construction européenne libérale. C'est à cette logique-là qu'il s'agit de s'opposer à l'échelle de tout le continent.
Les conséquences de la guerre sur l'ordre mondial et nos tâches.
L'extension de l'OTAN, avec son néocolonialisme "humanitaire" et son militarisme est le bilan désastreux de cette guerre. Pourtant, même sur une échelle encore limitée, peut également émerger une " conscience citoyenne " antimilitariste et anti-impérialiste sur la base de l'exigence de contrôle des politiques gouverne-mentales mais aussi d'égalité dans le pouvoir et de respect des peuples.
Prétendant défendre le droit, la guerre de l'OTAN a impliqué une violation flagrante des droits démocratiques, même limités, des pays concernés. Les parlements ont été mis devant des faits accomplis. Dans quelques cas il y a eu même une violation de la constitution (c'est le cas de l'Italie dont la constitution interdit explicitement le recours à la guerre). Elle a constitué un véritable traumatisme en Allemagne.
Le contournement des procédures de contrôle parlementaire, de même que celui de l'ONU n'implique évidemment pas que les mêmes décisions de guerre prises par des parlements ou par l'ONU et le contenu particulier des Accords de paix seraient à nos yeux défendables. Mais c'est l'exigence même de contrôle public et la contestation radicale d'un ordre impérialiste qui sont enjeu. Il n'est pas anodin que des décisions de guerre (qui sont des formes particulièrement graves d'intervention) soient prises par ceux qui prétendent agir comme "communauté internationale" sans aucun droit de regard de la majeure partie des pays du monde et des opinions publiques. Bien que relevant toutes évidemment d'un ordre mondial dominé par les puissances impérialistes, ONU, OSCE et OTAN ne sont pas des institutions identiques sur ce plan.
A l'occasion de son cinquantième anniversaire, l'OTAN a redéfini sa raison d'être, ses buts stratégiques et ses critères de comportement, alors que la dissolution du Pacte de Varsovie aurait dû (et devrait) mettre sa dissolution à l'ordre du jour. Une relance des dépenses d'armement est de nouveau à l'ordre du jour dans toutes les régions du monde, avec toutes les conséquences inévitables sur le budget des États et la politique sociale. Mais l'ensemble de ces données est source de contestations - notamment cette logique immorale de guerre à zéro mort (pour l'OTAN).
Les États-Unis sont eux-mêmes en train de tirer des "bénéfices" de l'expérience du Kosovo en projetant des perfectionnements et un effort supplémentaire de recherche pour s'assurer des moyens encore plus sophistiqués et plus puissants. Par ailleurs, le Japon et l'Allemagne ont été placés devant un changement radical de l'attitude "pacifiste" adoptée après leur défaite dans la Seconde guerre mondiale.
Les pays de l'Union européenne sont en train d'opérer un tournant. S'ils ne veulent pas être surclassés par leurs alliés-rivaux, les États-Unis, ils doivent s'efforcer de réduire l'écart béant qui existe à l'heure actuelle au niveau militaire. Après la convergence monétaire, c'est la convergence militaire et la hausse des dépenses affectées à cet objectif qui sont à l'ordre du jour - alors même que se poursuit la logique restrictive du budget de l'Union.
Les fusions entre multinationales de l'armement, comme dans d'autres domaines, sont également des enjeux quant aux pouvoirs de décisions politiques des grandes puissances qui susciteront des inquiétudes croissante et une course aux armements dans le reste du monde, notamment en Chine.
En même temps, la défiance envers l'OTAN s'est également avivée dans les opinions publiques de la plupart des pays de l'Europe de l'Est et de l'Union européenne, en décalage avec les soutiens inconditionnels apportés par les gouvernements. Le bilan même de cette guerre, sous l'angle des désastres écologiques, matériels, humains et politiques, aidera à la priver de sa légitimité.
Notre condamnation de cette guerre est à la fois morale et politique. Elle découle de notre opposition aussi bien aux intérêts politiques et économiques des grandes puissances, qu'à la stratégie d'ensemble qu'elles ont concrètement déployée face à ses buts immédiats présumés : pacifier le Kosovo, défendre des droits humains. Les pseudo-négociations, les bombardements pour faire signer "un accord", la prise en otage de populations civiles, le protectorat pour empêcher le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tout cela relève de l'arrogance intrinsèque des grandes puissances.
Le fait qu'un pays comme la Turquie, où les droits humains et les droits d'une minorité nationale sont foulés aux pieds, ait collaboré directement avec l'OTAN en lui ouvrant ses bases aériennes est par lui-même suffisant pour démontrer le caractère parfaitement hypocrite de la propagande sur l'ingérence humanitaire.
Une discussion et des bilans systématiques de cette guerre dans les divers parlements européens devraient déboucher sur la remise en cause d'une politique de " sécurité " européen-ne passant dans le cadre de l'OTAN et sur une campagne internationale pour la dissolution de l'OTAN. Dans l'immédiat le pouvoir d'attraction de l'Union européenne reste considérable dans les pays d'Europe de l'Est et des Balkans ; les projets de regroupements balkaniques sont souvent perçus (ou présentés par les partis dominants) comme des dérivatifs pour retarder l'adhésion à l'UE. Nous devons refuser d'opposer le rapprochement des peuples balkaniques dans une communauté d'États et leurs liens avec l'Union européenne s'ils le souhaitent. Nous devons nous opposer à la logique de construction de l'Union européenne en forteresse libérale des pays riches.
Face aux dégâts de la guerre, les déclarations d'ouverture vers l'Est et les Balkans se sont multipliées. Mais elles sont contradictoires avec les budgets d'austérité et tournées vers des priorités militaristes qui vont plus que jamais réduire les programmes sociaux à la portion congrue. C'est dans une démarche coopérative, respectueuse du droit des peuples à décider d'eux-mêmes que doit se redéfinir une autre Europe.
Nous devons faire avancer cette perspective par le développement des liens européens, notamment dans l'ensemble balkanique avec les forces politiques, syndicales, féministes, jeunes qui résistent à toutes les formes de politiques réactionnaires. Mais dès aujourd'hui nous devons favoriser toutes les politiques d'aide à la reconstruction des pays dévastés par cette guerre - en exigeant qu'elle ne soit pas conditionnée à des politiques "d'ajustement structurel" et qu'elle puisse faire l'objet d'un contrôle public pluraliste.
Déclaration du CEI de la IVe Internationale, septembre 1999