Le basculement climatique capitaliste et nos tâches

Cette résolution a été adoptée par 95,65 % des mandats et 4,35 % abstentions.

1. Le basculement climatique en cours n’est pas le produit de l’activité humaine en général mais du paradigme productiviste développé par capitalisme et imité par d’autres systèmes qui se prétendaient alternatifs à celui-ci. Face au danger d’une catastrophe sociale et écologique sans précédent et irréversible à l’échelle humaine des temps, le système, incapable de remettre en cause sa logique fondamentale d’accumulation, s’engage dans une fuite en avant technologique dangereuse et sans issue.

Le basculement climatique en cours n’est pas le produit de l’activité humaine en général mais principalement du fait que le système capitaliste, guidé par le profit et le surprofit à court terme, a bâti et continue de bâtir son développement non seulement sur l’exploitation de la force de travail mais aussi sur le pillage des ressources naturelles, notamment les réserves finies et non renouvelables de combustibles fossiles à bas prix.

 

► (i) Dans les dernières décennies du XIXe et au début du XXe siècle, des propositions cohérentes de systèmes énergétiques alternatifs basés sur l’utilisation de l’énergie solaire ont été écartées par les lois de la rentabilité capitaliste ou torpillées sous la pression des groupes charbonniers.

 

► (ii) Après 1945, pour pérenniser leurs surprofits, les monopoles du pétrole et des secteurs dépendant de lui ont étouffé de nombreuses alternatives techniques et imposé des modes de transport, de consommation et d’aménagement du territoire dictés par la seule volonté de vendre une quantité toujours croissante de marchandises, notamment d’automobiles et d’autres biens de consommation individuelle de masse.

 

► (iii) Au cours des 40 ans écoulés, en dépit d’un faisceau d’évidences de plus en plus convaincantes, les avertissements des scientifiques ont été ignorés par les gouvernements et les médias bourgeois. Ceux-ci ont au contraire relayé les campagnes de désinformation des lobbies capitalistes alors que, dans le même temps, la mondialisation néolibérale de la production et des échanges faisait exploser les émissions de gaz à effet de serre.

 

► (iv) En ce début du XXIe siècle, les causes du réchauffement sont parfaitement documentées, le danger est connu et reconnu par tous les gouvernements, les solutions techniques existent, et la gravité de la situation augmente à chaque nouveau rapport des experts. Faute de politique volontariste, ceux-ci projettent que la hausse de la température moyenne pourrait dépasser +6°C d’ici 2100, par rapport au XVIIIe siècle. Or, pour une hausse de +3,25°C (par rapport à la période pré-industrielle), située à peu près au milieu des projections du GIEC, les inondations côtières, selon certaines estimations, feraient entre 100 et 150 millions de victimes d’ici 2050, les famines jusqu’à 600 millions et la malaria 300 millions, tandis que la pénurie d’eau pourrait frapper jusqu’à 3,5 milliards de personnes supplémentaires. Mais le capitalisme continue malgré tout à utiliser principalement les combustibles fossiles, y compris les sources non conventionnelles (huiles lourdes, sables et schistes bitumineux) ainsi que les énormes réserves de charbon à bas prix. La logique d’accumulation constituant son fondement, le système s’est lancé dans des fuites en avant productivistes qui impliquent des technologies dangereuses : développement du nucléaire, manipulations génétiques visant à accroître la production néfaste d’agrocarburants, « charbon propre » avec capture-séquestration de Gigatonnes de CO2 dans les couches géologiques profondes. Pour le capital, les sources d’énergie renouvelables ne sont qu’un nouveau champ pour l’accumulation de valeur, ce qui explique que leur mise en oeuvre peut prendre des formes particulièrement destructrices et vient en complément de l’approvisionnement par les fossiles, pas en remplacement de ceux-ci.

La seule limite du capital, c’est le capital lui-même (Marx). La folle course de ce système qui accumule richesse et surconsommation à un pôle, pauvreté et pénurie à l’autre, menace de précipiter une catastrophe humaine et écologique irréversible à l’échelle historique des temps, avec des dégâts irréparables infligés aux écosystèmes, notamment à la biodiversité. Alors que le seuil de dangerosité, bien inférieur à +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, est déjà franchi en de nombreuses régions (Etats insulaires, pays andins, régions arctiques, zones semi-arides…) les plans adoptés ou en débat au niveau des puissances impérialistes annoncent un réchauffement entre +3,2 et +4,9°C, correspondant à une hausse du niveau des mers comprise entre 60 cm et 2,9 mètres à l’équilibre (sans compter la dislocation des calottes glaciaires). Non seulement les Objectifs de Développement du Millénaire, qui sont insuffisants, ne seront pas réalisés, mais en plus des centaines de millions d’êtres humains sont exposés à une sérieuse dégradation de leurs conditions de vie. Les plus pauvres d’entre eux sont menacés dans leur existence même, du fait notamment des risques d’inondation côtière, de la tension sur les ressources en eau douce et de la baisse de la productivité agricole attendue dans les régions tropicales.

 

2. La stabilisation du climat ne se produira pas spontanément du fait de l’épuisement des ressources fossiles. Celle-ci sont amplement suffisantes pour provoquer le basculement climatique. La stabilisation du climat au niveau le moins dangereux possible nécessite une diminution draconienne de la consommation d’énergie, donc de la production matérielle. En même temps, de l’énergie et d’autres ressources sont nécessaires pour assurer le droit au développement de trois milliards d’hommes et de femmes qui vivent dans des conditions indignes de leur humanité et qui sont les premières victimes du réchauffement. Le système capitaliste est incapable de relever ces deux défis séparément. Les relever simultanément équivaut pour lui à la quadrature du cercle. Des mesures anticapitalistes radicales sont indispensables pour mettre en œuvre, indépendamment des coûts, un plan de transition mondial vers un système énergétique économe et efficient, basé exclusivement sur les sources renouvelables, capable de satisfaire les besoins fondamentaux de l’humanité.

Selon le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), la stabilisation du climat au niveau le moins dangereux possible nécessite que les émissions mondiales de gaz à effet de serre culminent avant 2015 et diminuent de 50 % à 85 % d’ici 2050, par rapport à 2000. Au nom du principe de précaution, il s’impose d’adopter au minimum les plus draconiens de ces objectifs. En effet, les modèles climatiques n’intègrent pas, ou très imparfaitement, les phénomènes dits « non linéaires », notamment la dislocation des calottes glaciaires de l’Arctique et de l’Antarctique et la libération du méthane des sols gelés en permanence (pergélisol). Or, ces phénomènes, déjà perceptibles, sont susceptibles d’accélérer très fortement le basculement climatique et d’en accroître considérablement les effets négatifs dans les décennies qui viennent.

A ces contraintes physiques s’ajoutent d’autres contraintes sociales, politiques et techniques : 

 

► (i) Pour tenir compte des responsabilités historiques différenciées des pays impérialistes et des pays dominés, le GIEC estime que les premiers doivent réduire leurs émissions de 25 % à 40 % d’ici 2020 et de 80 % à 95 % d’ici 2050, par rapport à 1990, tandis que la courbe des émissions des seconds doit baisser de 15 % à 30 % par rapport aux projections, dans toutes les régions en 2050 et dans la plupart des régions (sauf l’Afrique) dès 2020. Ici aussi, les objectifs les plus draconiens doivent être adoptés comme un minimum, pour les raisons indiquées plus haut. 

 

► (ii) Vu leur responsabilité déterminante dans le réchauffement, la part de ces objectifs qui concerne les nations développées doit être réalisée par celles-ci à l’aide de mesures domestiques, c’est-à-dire par des réductions de leurs propres émissions. Ces réductions ne peuvent être remplacées ni par des achats de droits de polluer provenant d’investissements soi-disant « propres » dans les pays en développement ou en transition, ni par la plantation d’arbres (qui n’offre pas de solution structurelle), ni par la protection des sols ou des forêts existantes (la sauvegarde des sols et des forêts, nécessaire en soi, ne doit pas permettre aux pollueurs de continuer à polluer). Ces prétendus mécanismes de compensation et le marché des droits d’émission prévus par le Protocole de Kyoto se sont révélés parfaitement inefficaces sur le plan environnemental, même pour atteindre l’objectif, tout à fait insuffisant, de ces accords (une réduction des émissions de 5,2 % au cours de la période 2008-2012).

 

► (iii) Au nom de la justice climatique et de la réparation de leur dette écologique, les pays impérialistes sont tenus de transférer aux pays dominés les savoirs et les technologies permettant à ceux-ci de se développer en respectant les contraintes physiques de la stabilisation du climat. Ils sont tenus également de financer les mesures d’adaptation à la partie inévitable des changements climatiques, dont les populations pauvres des pays pauvres, principalement les femmes, sont les principales victimes.

 

► (iv) Du point de vue technique, les sources renouvelables permettent amplement de faire face aux besoins futurs de l’humanité. Cependant, du fait de la nécessité de changer de système énergétique, la réussite de la transition dans les 40 ans à venir est conditionnée par une importante diminution de la consommation d’énergie (50 % et plus dans les pays développés). Celle-ci implique à son tour une réduction significative de la production matérielle, de sorte que le problème clé est le suivant : il faut produire globalement moins, tout en répondant aux demandes légitimes de trois milliards d’êtres humains dont de nombreux besoins fondamentaux sont insatisfaits.

C’est une illusion totale de croire que ce faisceau de conditions pourrait être respecté en attribuant au carbone un prix qui intègre le coût des dégâts du changement climatique. La valeur est un indicateur purement quantitatif exprimant la quantité de travail humain abstrait mise en œuvre à un moment déterminé de développement du capital : elle est par définition incapable de prendre en considération les richesses naturelles, de tenir compte des besoins des générations futures, de faire la différence entre les travaux concrets utiles ou inutiles du point de vue humain et d’intégrer les nombreux paramètres quantitatifs ainsi que qualitatifs de la stabilisation du climat. Cette incapacité se traduit déjà en pratique dans le fait que les monopoles capitalistes pèsent de tout leur poids, et avec succès, pour empêcher que la facture du réchauffement leur soit imputée, de sorte qu’ils déterminent en fin de compte les rythmes et les formes de la politique suivie, en fonction de leurs intérêts. Sur le plan social, enfin, l’imposition d’un prix mondial du carbone ferait payer la facture du réchauffement aux travailleurs et aux pauvres, approfondissant du même coup les inégalités, entre Nord-Sud mais aussi au sein des sociétés du Nord et du Sud. 

Le capital est incapable de résoudre le problème clé car il est structurellement incapable de réduire la production matérielle globale tout en produisant davantage pour les besoins non solvables. Combiner le droit légitime au développement humain et la mise en œuvre planifiée, démocratique et rationnelle d’un programme de transition mondial vers un système énergétique économe et efficient, basé exclusivement sur les sources renouvelables, indépendamment des coûts, n’est possible qu’en recourant à des mesures anticapitalistes radicales. Ces mesures incluent notamment l’expropriation des secteurs de l’énergie et du crédit ; la réduction massive du temps de travail (vers la demi-journée de travail) avec baisse des cadences, sans perte de salaire et avec embauche compensatoire ; des ponctions significatives sur les bénéfices capitalistes ; la plus grande relocalisation possible de la production, notamment agricole, via un soutien à l’agriculture paysanne ; des initiatives publiques dans le domaine du logement et du transport, indispensables pour changer les modes de consommation ; la constitution d’un fonds mondial d’adaptation alimenté par les bénéfices des monopoles ; le refinancement public de la recherche, l’arrêt de sa subordination à l’industrie et le transfert gratuit des technologies propres vers les pays du Sud ; ainsi que des dispositifs de participation démocratique et de contrôle par les populations et les collectivités locales, à tous ces différents niveaux.

 

3. Héritage empoisonné de deux cents ans de développement capitaliste basé sur les combustibles fossiles, le basculement climatique concentre la crise de civilisation due au fait que le potentiel de destruction sociale et écologique de ce système l’emporte désormais sur sa capacité d’identifier les besoins humains et d’y répondre. La combinaison des crises économique, climatique et alimentaire dans le cadre de la loi de population capitaliste porte en elle la menace d’une catastrophe humaine majeure, voire d’une plongée dans la barbarie. 

Héritage empoisonné de deux cents ans de développement capitaliste, le basculement climatique constitue la manifestation la plus nette de la crise globale d’un système dont le potentiel de destruction sociale et écologique l’emporte désormais sur sa capacité d’identifier les besoins humains et d’y répondre. La croissance des forces productives est devenue croissance des forces destructives, non seulement parce que de plus en plus de technologies socialement et écologiquement destructrices sont déployées, mais aussi, globalement, parce que la logique capitaliste, en détraquant le climat, entraîne l’humanité vers un ensemble de difficultés aiguës. Le mode de production capitaliste implique une loi de population spécifique exprimant le besoin permanent d’une « armée de réserve industrielle ». Dans le cadre de cette loi et dans le contexte de l’épuisement historique du capitalisme du troisième âge, la combinaison des crises économique, climatique et alimentaire porte en elle la sourde menace d’une vague de « destruction créatrice » (Schumpeter) d’une ampleur sans précédent, impliquant non seulement l’élimination massive de forces productives matérielles et de richesses naturelles irremplaçables, mais aussi un risque majeur de destruction physique pour des centaines de millions d’êtres humains. Cette logique infernale est déjà à l’œuvre dans la convergence des fractions du grand capital investies dans l’agrobusiness, l’énergie, l’automobile et la pétrochimie qui, en se ruant sur l’appropriation de terres et l’exploitation industrielle de la biomasse comme ressource énergétique, accélèrent la ruine des petits paysans et l’exode rural, menacent les communautés indigènes et augmentent dramatiquement le nombre de sous-prolétaires victimes de la famine chronique. Faute d’une alternative d’ensemble, la dynamique interne du système le poussera toujours plus fortement sur la pente glissante d’une crise globale qui pourrait être d’une brutalité et d’une barbarie sans aucun précédent historique.

 

4. Le basculement climatique souligne à la fois l’urgence d’une alternative socialiste mondiale et celle d’une rupture radicale du projet socialiste avec le productivisme. La saturation du cycle du carbone et l’épuisement de ressources non renouvelables signifient en effet que, à la différence du passé, l’émancipation des travailleurs n’est plus concevable sans prise en compte des principales contraintes naturelles.

L’opposition à la croissance capitaliste, en soi, ne constitue ni un projet de société, ni une stratégie pour la mobilisation sociale large en faveur d’une autre société. La diminution de la production et de la consommation matérielles est immédiatement nécessaire à la stabilisation du climat parce que le capitalisme a entraîné l’humanité trop loin dans une voie sans issue. Mais elle ne préjuge en rien des possibilités de développement futures, une fois que le système climatique aura été stabilisé, d’une part, et elle ne constitue qu’un critère quantitatif de la transition nécessaire vers une économie sans carbone fossile, d’autre part. Sous peine de déboucher sur des conclusions anti-sociales, voire réactionnaires, ce critère quantitatif doit être combiné à des critères qualitatifs : redistribution des richesses, réduction du temps de travail sans perte de salaire, développement du secteur public, notamment. Si ceux-ci sont satisfaits, et pour peu qu’elle cible les productions inutiles ou nuisibles, la réduction de la production matérielle sera en réalité synonyme d’augmentation du bien-être, de la richesse et de la qualité de vie de l’immense majorité de l’humanité, via des investissements dans les secteurs sociaux, un autre aménagement du territoire, la gratuité des services vitaux et la reconquête du temps libre nécessaire à l’auto-activité, à l’auto-organisation et à l’autogestion démocratiques à tous les niveaux.

Le système capitaliste est inséparable de la croissance de la production et de la consommation matérielles, mais celle-ci constitue un effet, pas une cause. C’est la production de valeur, en tant que forme abstraite des valeurs d’échange, qui entraîne la tendance permanente à l’accumulation sans limites de la richesse à un pôle, et provoque en même temps l’accumulation de misère à l’autre. Une politique climatique qui ne prendrait pas en compte cette double réalité serait vouée à l’échec. Le point crucial et le levier de l’alternative anticapitaliste restent donc fondamentalement ceux que le projet socialiste a définis : la mobilisation des exploités et des opprimés contre un système basé sur la course au (sur)profit, la propriété privée des moyens de production, la production de marchandises, la concurrence et le salariat. Mais ce point crucial et ce levier ne suffisent plus à définir l’alternative. La saturation du cycle du carbone constitue en effet la démonstration la plus évidente et la plus globale du fait que, à la différence du passé, l’émancipation des travailleurs n’est plus concevable sans prise en compte des principales contraintes naturelles : limites des stocks de ressources non renouvelables à l’échelle historique, vitesse de reconstitution des ressources renouvelables, lois de conversion de l’énergie, conditions de fonctionnement des écosystèmes et des cycles biologiques, rythmes de ceux-ci.

Il ne suffit pas d’affirmer que le socialisme doit intégrer les questions écologiques. Le véritable défi consiste plutôt à créer les conditions pour que le projet socialiste soit compatible avec l’écologie globale du super-écosystème terrestre. Le développement ne peut être conçu seulement dans le but de satisfaire les besoins humains réels démocratiquement déterminés, mais il doit l’être aussi en fonction de sa soutenabilité par l’environnement, et en acceptant de surcroît que la complexité, les inconnues et le caractère évolutif de la biosphère confèrent à cette entreprise un degré d’incertitude irréductible. La notion de « maîtrise humaine sur la nature » doit être abandonnée. Le seul socialisme réellement possible désormais est celui qui satisfait les besoins humains réels (débarrassés de l’aliénation marchande), démocratiquement déterminés par les intéressés eux-mêmes, en prenant soin simultanément de s’interroger prudemment sur l’impact environnemental de ces besoins et la manière dont ils sont satisfaits.

Penser l’intrication du social et de l’écologique implique en premier lieu de dépasser la vision cloisonnée, utilitariste et linéaire de la nature comme la plateforme physique à partir de laquelle l’humanité opère comme le magasin, où elle puise les ressources nécessaires à la production de son existence sociale, et comme la décharge, où elle entrepose les déchets de cette activité. En réalité, la nature est tout à la fois la plateforme, le magasin, la déchetterie et l’ensemble des processus vivants qui, grâce à l’apport extérieur d’énergie solaire, font circuler la matière entre ces pôles en la réorganisant constamment. Les déchets et leur mode de dépôt doivent donc être compatibles en qualité comme en quantité avec les capacités et les rythmes de recyclage par les écosystèmes, afin de ne pas détraquer le bon fonctionnement de la biosphère. Or, ce bon fonctionnement dépend du nombre et de la diversité des opérateurs biologiques, ainsi que de la qualité et de la complexité des multiples chaînes de relations qui les unissent, l’équilibre des flux déterminant en fin de compte l’approvisionnement de l’humanité en ressources.

Penser l’intrication du social et de l’écologique implique en deuxième lieu de tirer les leçons du constat qu’un mode de production ne se définit pas seulement par ses rapports de production et de propriété mais aussi par ses filières technologiques, qui sont modelées par ses choix énergétiques. Le changement climatique le montre clairement : les sources énergétiques utilisées par un mode de production et les méthodes employées pour convertir l’énergie afin de satisfaire les besoins humains (en aliments, en chaleur, en mouvement et en lumière) ne sont pas neutres socialement mais ont un caractère de classe marqué. Le système énergétique capitaliste est centralisé, anarchique, gaspilleur, inefficient, intensif en travail mort, basé sur des sources non renouvelables, et orienté vers la surproduction tendancielle de marchandises. La transformation socialiste de la société nécessite sa destruction progressive et son remplacement par un système décentralisé, planifié, économe, efficient, intensif en travail vivant, basé exclusivement sur les sources renouvelables et orienté vers la production de valeurs d’usage durables, recyclables et réutilisables. Cette transformation ne concerne pas seulement la « production » d’énergie au sens étroit mais l’ensemble de l’appareil industriel, l’agriculture, les transports, les loisirs et l’aménagement des territoires. Le défi énergétique/climatique impose de concevoir la révolution socialiste non seulement comme destruction du pouvoir d’État bourgeois, création d’un État prolétarien qui commence à dépérir dès sa formation et instauration progressive de l’autogestion par les masses, mais aussi comme amorce d’un processus de destruction du vieil appareil productif capitaliste et de remplacement par un appareil alternatif, mettant en œuvre d’autres sources énergétiques, d’autres technologies et d’autres filières au service de buts démocratiquement déterminés. Ce bouleversement historique extrêmement profond peut commencer dans un pays ou un groupe de pays mais ne peut prendre toute son ampleur et s’achever qu’après la victoire de la révolution socialiste au niveau mondial, une fois que l’abolition des principales inégalités de développement aura permis de satisfaire le droit fondamental de chaque être humain à une existence digne de ce nom. Il postule en effet la réalisation préalable de l’autonomie énergétique, notamment de l’autonomie alimentaire des différents pays. Loin d’être synonyme d’arrêt du développement humain, il implique un progrès important des sciences et des techniques ainsi que de la capacité sociale de les mettre en œuvre démocratiquement, avec la participation active de toutes et tous, dans le cadre d’une culture du « prendre soin avec prudence» de la biosphère pour laquelle l’apport des communautés indigènes sera précieux.

Le marxisme révolutionnaire considère que, une fois satisfaits les besoins humains fondamentaux, le développement qualitatif de l’humanité prendra le pas sur le développement quantitatif. Cette conception est cohérente avec celle de Marx, pour qui la vraie richesse réside dans le temps libre, les relations sociales et la compréhension du monde. La perspective d’un communisme utilisant exclusivement les sources d’énergie renouvelables, principalement solaires, s’inscrit dans la continuité de cette pensée non productiviste tout en l’approfondissant et en tirant des conclusions nouvelles en termes de revendications, de tâches et de programme. Cet approfondissement justifie l’usage du concept nouveau d’écosocialisme. Expression concentrée du combat commun contre l’exploitation du travail humain et contre la destruction des ressources naturelles par le capitalisme, l’écosocialisme ne procède pas d’une vision idéaliste et chimérique sur « l’harmonie » à établir entre l’humanité et la nature mais de la nécessité matérialiste de gérer les échanges de matière entre la société et l’environnement en maîtrisant consciemment, collectivement et démocratiquement la tension entre les besoins humains et le bon fonctionnement des écosystèmes.

 

5. Nos tâches

 

5.1. Sensibiliser les militants des mouvements sociaux pour conscientiser les masses et contribuer à construire une mobilisation de masse sur le climat. Le combat sur le climat requiert en priorité la construction de rapports de forces sociaux. Face à l’urgence et à la politique criminelle des gouvernements capitalistes, nous œuvrons dans tous les pays à la construction d’un puissant mouvement de masse unitaire, coordonné à l’échelle mondiale. Ce mouvement doit être conçu comme un maillage des résistances sociales existant sur différents terrains, avec actions convergentes coordonnées et manifestations occasionnelles pluralistes, sur une plateforme minimale commune. Son but doit être de contraindre les gouvernements à viser au minimum les réductions d’émission les plus radicales avancées par le GIEC, dans le respect du principe des « responsabilités communes mais différenciées », des droits sociaux et démocratiques ainsi que du droit de toutes et tous à une existence humaine digne de ce nom. La mobilisation de masse en défense du climat est une tâche ardue du fait notamment du double décalage spatial et temporel entre le phénomène et ses effets. Un ample travail d’information sur le réchauffement et sur ses impacts est nécessaire. Il doit viser en particulier les équipes militantes des différents mouvements sociaux et des formations politiques de gauche, car celles-ci jouent un rôle décisif pour établir le lien concret entre la menace climatique globale et les problèmes sociaux particuliers, et en déduire des stratégies permettant de combiner lutte sociale et lutte environnementale.

 

5.2. Construire un courant de gauche, qui lie la lutte sur le climat et la justice sociale. La mutation nécessaire ne peut être gagnée sans la mobilisation et la participation active des exploités et des opprimés qui constituent l’immense majorité de la population. La politique climatique capitaliste rend cette participation impossible parce qu’elle est inacceptable sur le plan social. Elle implique en effet le renforcement de la domination impérialiste, de la concurrence et de la violence capitalistes ; donc de l’exploitation, de l’oppression, de l’inégalité sociale, de la concurrence entre travailleurs, de la violation des droits et de l’appropriation privée des ressources. En particulier, cette politique n’apporte aucune réponse au défi majeur de l’emploi, des salaires et des acquis des millions de travailleurs occupés dans les secteurs gros émetteurs de gaz à effet de serre. De ce fait, elle ne peut que se heurter à des résistances sociales légitimes. Les grandes ONG environnementales tentent de radicaliser les objectifs climatiques des gouvernements en refusant de voir que cette radicalisation entraîne du même coup l’accentuation des attaques anti-sociales. C’est une voie sans issue. Nous défendons la nécessité d’une lutte combinée sur le climat et la justice sociale. Au sein du mouvement large, nous œuvrons à la constitution d’un pôle de gauche qui lie ces deux dimensions et qui plaide par conséquent contre les recettes basées sur les instruments de marché, l’accumulation, la domination néocoloniale et la fuite en avant technologique. Ce pôle cherche à regrouper des éléments des gauches syndicale, écologiste, altermondialiste, féministe, tiers-mondiste, la gauche des « décroissants », les organisations de la gauche radicale, des scientifiques critiques, etc.

 

5.3. Mener la lutte idéologique contre le néo-malthusianisme vert, en défense des pauvres et des droits des femmes. Par sa nature de problème global et l’ampleur des catastrophes qu’il est susceptible de provoquer, le réchauffement favorise le développement de toute une série de courants idéologiques qui, sous couvert d’écologie radicale, tentent de réhabiliter les thèses de Malthus en les emballant dans un discours apocalyptique aux forts accents religieux. Ces courants trouvent un écho au plus haut niveau dans certains secteurs des classes dominantes, où la disparition de quelques centaines de millions d’êtres humains est plus facile à imaginer que celle du capitalisme. De ce fait, ils font peser une menace potentiellement sérieuse sur les pauvres en général, tout particulièrement sur les femmes. La lutte contre ces courants constitue une tâche importante, que nos organisations doivent assumer en tant que telles et en lien avec le mouvement des femmes. Le niveau de la population est évidemment un paramètre de l’évolution du climat, mais il s’agit de combattre catégoriquement l’idée fausse que la croissance démographique serait une cause du changement climatique. La transition démographique est largement entamée dans les pays en développement, et progresse plus vite que prévu. Il est souhaitable qu’elle se poursuive, mais cela passe par le progrès social, le développement de systèmes de sécurité sociale, l’information des femmes et leur droit à contrôler leur propre fécondité (y compris le droit à l’avortement dans de bonnes conditions). Il s’agit forcément d’une politique de long terme. Sauf à recourir à des moyens barbares, aucune politique de contrôle de la population ne permet de répondre à l’urgence climatique.

 

5.4. Introduire la question du climat dans les plateformes et les luttes des mouvements sociaux. Dans la perspective d’une mobilisation large enracinée dans les luttes existantes, nous agissons pour que la défense du climat devienne une préoccupation majeure des mouvements sociaux et qu’elle trouve une traduction concrète dans leurs plateformes de revendications, sur tous les terrains. Par exemple : 

► la lutte pour la paix : la production d’armes et l’emploi des armes constituent une folie inacceptable au regard du changement climatique… qui est lui-même une cause possible de conflits supplémentaire ;

 

► la lutte contre la pauvreté, pour le droit au développement et la protection sociale : la capacité d’adaptation au changement climatique est directement proportionnelle au niveau de ressources et de développement. L’inégalité sociale accroît la vulnérabilité et handicape la mutation énergétique ;

 

► la lutte des femmes : l’adaptation au changement climatique renforce l’importance et l’urgence des revendications spécifiques des femmes pour l’égalité des droits, pour une prise en charge sociale des enfants, contre la double journée de travail, pour le droit à l’avortement et à la contraception ; 

 

► la lutte pour l’emploi : réduire radicalement la consommation d’énergie, réaménager le territoire, les villes, prendre soin de la biodiversité, développer les transports publics et substituer les sources renouvelables aux fossiles offre un gigantesque réservoir d’emplois de qualité ;

 

► la lutte pour l’accès à la terre, à l’eau et aux ressources naturelles, ainsi que pour une agriculture organique paysanne : les communautés rurales pratiquant une agriculture organique intensive en main-d’œuvre connaissent les moyens d’augmenter la teneur des sols en matière organique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur ;

 

► la lutte contre la mondialisation et la libéralisation des marchés agricoles : cause de ruine des populations rurales, de famine, d’exode rural et/ou de pillage des écosystèmes, la libéralisation de ces marchés est aussi une importante source d’émissions, directes (transport des produits d’exportation) et indirectes ;

 

► la lutte pour le droit d’asile : face à l’accroissement du nombre de réfugiés environnementaux, notamment climatiques, la liberté de circulation est indispensable et constitue la seule réponse digne de l’humanité ;

 

► les luttes des communautés indigènes pour leurs droits : par leur savoir et leur mode d’exploitation des écosystèmes, notamment forestiers, ces communautés sont les mieux à même de préserver et développer les puits de carbone ;

 

► la lutte contre la flexibilité et la précarisation du travail, contre l’allongement du temps de travail : les horaires coupés, flexibles, les campagnes capitalistes en faveur de la mobilité accrue de la main-d’œuvre, contraignent les salariés à l’usage de la voiture. La production « just in time » est une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports. La réduction du temps de travail est une condition nécessaire à l’éclosion à une échelle de masse de comportements alternatifs en matière de consommation et de loisirs ;

 

► la lutte contre les privatisations, pour un secteur public de qualité dans les domaines des transports, de l’énergie et de l’eau. Un secteur public de transport gratuit et de qualité peut seul concilier le droit de toutes et tous à la mobilité et la réduction des émissions. La libéralisation de la production d’électricité complique l’introduction sur le réseau des sources renouvelables intermittentes. Seule une entreprise publique ne travaillant pas pour le profit peut relever le défi consistant à supprimer en deux ou trois décennies la totalité des émissions dans le secteur du logement.

 

 

5.5. Tracer la perspective d’un plan anticapitaliste global de reconstruction sociale et écologique. Dans ce cadre, mettre en avant des revendications liant concrètement la lutte pour le climat et la lutte pour la satisfaction des droits sociaux, en particulier le droit à l’emploi. Les directions des grandes confédérations syndicales internationales accompagnent la politique climatique capitaliste en échange de la possibilité pour elles d’en négocier certaines modalités. Cette orientation se concrétise dans la proposition d’un « Green Deal » basé sur l’illusion que les technologies vertes permettront de résorber le chômage et donneront l’impulsion à une nouvelle onde longue de prospérité et d’expansion capitaliste. Les bureaucraties syndicales intègrent les impératifs productivistes et de rentabilité capitalistes ainsi que les outils de la politique climatique dominante : aides publiques aux entreprises « vertes », « fiscalité écologique », Mécanisme de Développement Propre, marché des droits d’émission, voire soutien à l’énergie nucléaire et aux agrocarburants. Cette politique risque de rendre le mouvement syndical co-responsable des catastrophes. Elle sème la division parmi les travailleurs à l’échelle internationale, et entre secteurs au sein des différents pays. Pour relever le défi, il ne suffit pas que des secteurs syndicaux participent aux mobilisations environnementales : la lutte pour le climat doit s’enraciner dans les luttes des exploités eux-mêmes, s’intégrer dans le combat de la gauche du mouvement ouvrier pour une alternative anticapitaliste. Pour cela, il s’agit de sortir d’une vision étriquée axée uniquement sur la redistribution des richesses pour contester la conception même de la richesse et la manière dont les richesses sont produites, c’est-à-dire le mode de production dans ses fondements. A la politique des directions syndicales bureaucratiques, nous opposons la perspective d’un plan anticapitaliste global de reconstruction sociale et écologique. Ce plan inclut la défense et le renforcement du secteur public (en particulier dans les secteurs des transports et de l’énergie), le droit à l’emploi, à la protection sociale et au revenu comme droits fondamentaux, la reconversion collective et sous contrôle ouvrier des travailleurs des entreprises inutiles ou nuisibles, la réduction radicale du temps de travail sans perte de salaire avec baisse des cadences et embauche compensatoire, la création d’emplois verts dans des entreprises publiques et la gratuité des services de base. A partir de ce cadre, nous intervenons dans les luttes, notamment autour des restructurations industrielles dans les secteurs écologiquement non soutenables (automobile par exemple), pour proposer des issues concrètes au choix infernal entre la poursuite de la production et la destruction de l’emploi. Nous exigeons des gouvernements qu’ils créent des emplois publics écologiquement utiles dans des secteurs tels que l’isolation des maisons, les transports en commun et le déploiement des sources d’énergie renouvelables indépendamment des coûts.

 

5.6. Le transfert massif de technologies propres vers les pays dominés et le financement de l’adaptation aux effets du changement climatique dans ces pays requièrent un partage des avoirs et des savoirs à l’échelle mondiale, donc des ponctions substantielles sur les profits capitalistes. Le sauvetage du climat nécessite un partage des avoirs et des savoirs, à l’échelle mondiale. Il doit donc être lié à :

 

► l’annulation de la dette du tiers-monde et la restitution aux peuples des avoirs que les dictateurs de pays du Sud ont placés dans les banques occidentales ;

 

► la levée du secret bancaire, la suppression des paradis fiscaux, l’imposition des patrimoines, la taxation des mouvements spéculatifs, etc. ;

 

► l’augmentation substantielle des budgets des pays impérialistes consacrés à l’aide publique au développement ;

 

► la création, en plus de cette aide, d’un fonds mondial unique pour l’adaptation des pays en développement aux effets inévitables du changement climatique et pour le transfert des technologies propres vers le secteur public de ces pays, sans conditions financières ;

 

► l’alimentation de ce fonds par une ponction sur les profits et les surprofits des secteurs économiques les plus responsables du changement climatique (secteur pétrolier, charbonnier, automobile, production d’électricité, notamment) ;

 

► la suppression du régime des brevets dans la santé et dans les technologies permettant de produire des biens de consommation et des services essentiels (transports, industrie légère, eau et énergie, communications) afin que toutes les populations de la planète puissent accéder aux biens fondamentaux ;

 

► un système de compensation financière pour les pays du Sud qui renoncent à exploiter leurs ressources en combustibles fossiles.

 

5.7. Les émissions des pays dominés ne pourront pas dévier de 30 % au moins par rapport aux projections si le modèle capitaliste de développement n’est pas remis en cause. La contribution des pays dominés à la stabilisation du climat au niveau le moins dangereux possible n’est possible que par un développement endogène, répondant aux besoins de la grande masse de la population, donc lié à une réforme agraire en faveur de l’agriculture paysanne et à une réorientation de la production vers le marché intérieur. Concilier droit au développement humain et stabilisation du climat nécessite donc des mesures contre les classes dominantes locales, qui tirent prétexte du droit au développement pour tenter de refuser toute entrave à la combustion des combustibles fossiles, pillent des ressources naturelles, s’approprient les forêts, jouent les intermédiaires pour la vente des crédits de carbone, produisent des agrocarburants et exportent des denrées agricoles ou des produits industriels à bas prix pour les marchés des pays développés. Pour empêcher qu’ils servent à alimenter ce modèle de développement socialement et écologiquement nuisible, les fonds et moyens technologiques mis à disposition des pays du Sud doivent être placés sous le contrôle démocratique des populations ainsi que de leurs mouvements sociaux.

 

5.8. Les peuples indigènes, en défendant leur mode de vie et leur type de relation avec l’environnement, jouent un rôle de premier plan dans la lutte pour la protection de la forêt, donc du climat et de l’environnement en général. Les peuples d’Amérique latine, en particulier, défendent une conception liée à leur civilisation ancestrale aux antipodes de la vie prônée par l’idéologie bourgeoise — ils retiennent qu’ils ne sont pas propriétaires de leur terre, mais qu’ils lui appartiennent, une notion qui résume l’axe central de leur philosophie, inspirée par le respect de la Terre, ce qui explique pourquoi ils appellent leur territoire la Mère Terre, la Pacha Mama. Ils soignent, entretiennent et cultivent un autre modèle de vie, communautaire et solidaire, intensément lié à la nature. Ainsi, l’organisation socio-politique des peuples originaires sur leur territoire ne se limite pas aux frontières imposées par les impérialistes. Les menaces qui pèsent sur leur mode de vie, leurs structures sociales, leurs ressources naturelles, leurs peuples, à travers les innombrables invasions de leurs territoires constituent une violation de leurs droits inaliénables, ce qui les amène à s’organiser et résister aux saccages des transnationales mis en place dans le cadre des traités ou des accords de libre échange ou de l’ Initiative pour l’Intégration de l’Infrastructure Régionale Sud-américaine (IIRSA) de ces dernières décennies. Leurs revendications doivent être soutenues et il faut s’opposer à toute occupation de leurs territoires par les industries extractives, à toute construction d’usines hydroélectriques, de voies de chemins de fer ou de routes, de barrages… sans consentement préalable des peuples. A un moment où la question environnementale occupe clairement un rôle et une place stratégique dans la lutte anticapitaliste, la construction d’une alliance entre les mouvements de travailleurs des villes et des campagnes et les peuples premiers constitue un des plus grands défis de notre époque. L’enjeu de ces combats est aussi le sauvetage des dernières forêts tropicales qui jouent un rôle majeur dans le système climatique.

 

5.9. S’opposer à la fuite en avant technologique et intégrer tous les grands défis écologiques dans une perspective de développement vraiment soutenable. L’histoire du capitalisme est jalonnée de crises environnementales « résolues » sans vision écologique d’ensemble, par la mise en oeuvre de réponses technologiques partielles subordonnées aux impératifs de rentabilité, dont les effets environnementaux néfastes apparaissent plus tard. Résoudre la crise climatique/énergétique en suivant la même méthode d’apprenti sorcier risque d’avoir des conséquences encore plus redoutables, en particulier dans trois domaines : le recours accru au nucléaire et aux organismes génétiquement modifiés ainsi que le stockage géologique du CO2 dans le cadre d’une nouvelle vague d’exploitation de la houille. S’opposer à ces réponses capitalistes est une tâche des plus importantes. Il faut les dénoncer comme des symboles de la folie de la croissance capitaliste sans limites, comme la tentative absurde du système de sauter par-dessus sa propre tête pour maintenir malgré tout l’accumulation génératrice de profit. D’une manière plus générale, le défi climatique fédère toutes les questions environnementales. La riposte doit donc intégrer tous les grands défis écologiques, notamment : 

► (i) la défense de la forêt tropicale dans le respect des droits des communautés indigènes qui vivent de ses ressources (puits de carbone) ; 

► (ii) la défense de la biodiversité ; 

► (iii) la gestion rationnelle et publique des ressources en eau ; 

► (iv) la lutte contre l’empoisonnement de la biosphère par les quelque 100 000 molécules issues de la pétrochimie, qui n’existent pas dans la nature et donc certaines ne peuvent être décomposées par ses agents réducteurs ; 

► (v) l’élimination des gaz destructeurs de l’ozone stratosphérique et leur remplacement par des composés n’ayant pas d’autre impact écologique dangereux ; (vi) la lutte contre la pollution atmosphérique et ses conséquences pour la santé humaine (asthme, maladies cardiovasculaires,) ainsi que pour les écosystèmes (acidification, ozone troposphérique).

 

5.10. Dénoncer le fossé entre les plans capitalistes et le diagnostic de la situation par les scientifiques. Nouer des liens avec des scientifiques critiques. Poser les questions de la propriété du savoir et du rôle social de la recherche. La prétention des gouvernements qui tentent de faire croire que leur politique climatique capitaliste et libérale est fondée sur « la science » doit être combattue vigoureusement. Pour ce faire, il s’agit de dénoncer le gouffre séparant les objectifs des gouvernements des conclusions que le principe de précaution impose de tirer des rapports du GIEC. Cette dénonciation implique d’assimiler l’essentiel de l’expertise scientifique tout en critiquant les présupposés idéologiques et sociaux dominants qui sont véhiculés par la grande majorité des experts. La gauche doit nouer des relations avec des scientifiques, les inviter à communiquer leur expertise aux mouvements sociaux, les interpeller à partir de ceux-ci sur leur positionnement politique général, les pousser à s’exprimer sur la contradiction entre les solutions rationnelles globales que demande la lutte contre le réchauffement, d’une part, et l’ultra-cloisonnement des sciences au service de la rationalité capitaliste partielle, d’autre part. Vu la place prise par l’expertise scientifique dans l’élaboration des politiques, il est d’une importance non négligeable de nouer des relations entre les mouvements sociaux et des chercheurs critiques et humanistes. Dans ce cadre, nous développons un point de vue plus général sur le rôle de la science et de la recherche dans la lutte pour la stabilisation du climat dans la justice sociale. Nous ne refusons pas les solutions technologiques, ni les concepts de développement et de progrès. Nous plaidons au contraire pour que la recherche scientifique et technique soit libérée de l’emprise du capital afin que son potentiel puisse être mis massivement et rapidement au service du progrès dans l’efficience énergétique, la gestion rationnelle des ressources et le développement soutenable des sources énergétiques renouvelables. Nous exigeons le refinancement public massif de la recherche, l’arrêt des contrats qui lient les universités à l’industrie et au capital financier, la définition démocratique des priorités de la recherche en fonction de la transition, dans la justice sociale, vers une société sans combustibles fossiles.

 

5.11. Combattre la culpabilisation, mais assumer la sobriété énergétique dans la mesure du possible social. Les discours culpabilisants des gouvernements qui attribuent la responsabilité du réchauffement au comportement individuel de chacun escamotent l’inégalité sociale, la responsabilité du capitalisme, détournent l’attention des profonds changements structurels nécessaires, et pavent le chemin pour des mesures injustes telles que la « taxe carbone ». C’est une illusion de croire que le climat pourrait être sauvé par un mouvement de « contagion culturelle » contre la surconsommation, alors que plus de la moitié de l’humanité vit dans la sous-consommation chronique. Mais c’est une illusion également de miser sur d’hypothétiques percées scientifiques révolutionnaires pour ne pas mettre en question la surconsommation et les pratiques individuelles qui en découlent. Au lieu d’opposer les actions dans la sphère de la consommation aux changements structurels dans la sphère de la production, les premières doivent être conçues comme un moyen de faire prendre conscience de la nécessité des secondes. Les pratiques sociales alternatives, les campagnes et les mobilisations démocratiques, même minoritaires, qui contestent le productivisme et le consumérisme, peuvent jouer un rôle positif dans la formation de la conscience collective que des changements structurels sont nécessaires, aussi dans la sphère de la production, et que ces changements s’accompagneront d’une plus grande qualité de vie.

 

5 .12. Développer une pratique de secours populaire en cas de catastrophe. Le changement climatique accroît considérablement les risques de catastrophes frappant plus particulièrement les travailleurs et les pauvres, en particulier dans les pays en développement. Face à cette menace, nous devons nous préparer à intervenir avec les mouvements sociaux sur deux terrains différents : le terrain revendicatif consistant à mettre les Etats devant leurs responsabilités ; et le terrain des secours directs, populaires et solidaires, pris en charge par les populations locales et leurs organisations avec l’aide des réseaux militants au niveau mondial. L’expérience acquise dans les catastrophes naturelles montre en effet que ces secours populaires sont plus rapides, plus directement orientés vers les pauvres et les besoins réels et peu coûteux. De plus, ils sont favorables à l’éclosion d’autres rapports sociaux, de contestation de l’ordre établi.

Quarta Internazionale