Socialisme ou barbarie au seuil du XXIe siècle. (Manifeste programmatique de la Quatrième internationale)

Ce document a été adopté lors d'une réunion du Secrétariat unifié de la Quatrième internationale, en 1992. Il est le produit de mois de discussion au sein de cette organisation mondiale et de ses organisations affiliées, et d'un long processus de réécriture et de correction, à partir d'un projet original, soumis au Congrès mondial de la Quatrième internationale en 1991.

Le monde est à la croisée des chemins. Les connaissances et les forces productives existantes permettra ient de satisfaire les besoins matériels et culturels élémentaires de tout(e)s les habitant(e)s de la planète. Mais la faim et le manque de logements s'étendent même aux pays les plus riches. Des millions d'êtres humains meurent de maladies guérissables. Résultat de l'infanticide des bébés de sexe féminin et d'autres formes de discrimination à leur encontre, cent millions de femmes manquent à la population mondiale d'aujourd'hui.
 
L'écart se creuse entre les riches et les pauvres. En 1960 il était de 1 à 60. En 1990, il est de 1 à 150 entre les 20 %les plus riches et les 20 % les plus pauvres des habitant(e)s de la planète.

Avant tout, la survie physique de l'humanité est menacée par l'accumulation d'armes nucléaires, biologiques et chimiques, ainsi que par une détérioration de plus en plus prononcée de la biosphère.

Mais, malgré une contestation continue par d'amples luttes de masse sous des formes encore particulières dans chacun des trois secteurs de la réalité mondiale: les pays impérialistes, les pays du "Tiers-monde" et les pays de l'Est le système capitaliste, qui est le principal responsable de ces maux, semble moins contesté dans son ensemble qu'il ne l'était depuis des décennies. L'idée qu'il a remporté définitivement la victoire sur le socialisme faussement identifié avec les sociétés sous domination bureaucratique en URSS et en Europe de l'Est est largement répandue.

Cela est avant tout dû à la crise de crédibilité du socialisme en tant qu'objectif social global aux yeux des masses, crise qui se développe au moins depuis le début des années 80.Elle résulte de la prise de conscience par ces masses de la faillite pratique du stalinisme-post-stalinisme, de la social-démocratie, et du nationalisme populiste dans le"Tiers-monde".

La forme concrète prise par la chute des dictatures bureaucratiques à l'Est, sans une avancée en direction du socialisme, y contribue puissamment.

Cette crise bloque à son tour, dans l'immédiat, la solution des problèmes brûlants auxquels l'humanité est confrontée, conférant aux mouvements massifs de contestation un caractère essentiellement fragmentaire et discontinu.

En dernière analyse, ces problèmes ne pourront être résolus que si le caractère aliéné et aliénant du travail humain est dépassé de manière décisive, si la grande majorité des hommes et des femmes deviennent maîtres et maîtresses de leur destin dans la production, la consommation et la cité. A cette fin, ils doivent conquérir le pouvoir de décider consciemment, librement, démocratiquement, de leur destinée. Voilà le sens d'une société autogérée et d'une civilisation supérieure. Voilà pour nous le contenu essentiel du socialisme.

I. L'enjeu

1. Montée des dangers

Malgré les mesures de réduction des arsenaux nucléaires, la course aux armements se poursuit. Les armes accumulées finissent par être utilisées avec toutes les conséquences barbares qui en découlent. Depuis 1945, il y a eu plus de 100 guerres dites locales qui ont coûté 20 millions de morts. L'agression brutale de l'impérialisme contre l'Irak en 1991 a révélé toutes les conséquences barbares de cette course aux armements. L'existence d'énormes stocks d'armes nucléaires, le développement des armes biologiques et chimiques, la prolifération de centrales nucléaires susceptibles de se transformer en autant de fusées nucléaires, même en cas de guerres "conventionnelles", impliquent un risque de destruction physique du genre humain.

Les menaces de réchauffement progressif de l'atmosphère, de destruction de la couche d'ozone, de dévastation des forêts tropicales et des zones tempérées, d'empoisonnement des océans et des réserves d'eau douce, de pollution de l'air, de destruction progressive de la couche d'humus des terres cultivables, d'élimination massive d'espèces vivantes qui disparaissent à présent à un rythme mille fois supérieur à la "normale"; d'étouffement des villes et de dégradation des campagnes: tout cela se conjugue pour saper les bases de survie physique de l'humanité.

Des peuples entiers risquent de basculer vers la famine, non parce que la productivité agricole mondiale serait trop faible, mais parce qu'elle est trop élevée pour garantir des profits suffisants à l'agroindustrie et aux gros cultivateurs des paysle s plus riches. Dans ces derniers, l'Etat accorde des primes pour une réduction systématique des emblavures "afin de soutenir les prix", au risque de supprimer les réserves céréalières de toute l'humanité lorsque quelques mauvaises récoltes se succèdent.

La longue dépression que traverse l'économie internationale depuis le début des années 70 produit sur les conditions d'existence des peuples de presque tous les pays du "Tiers-monde" des effets d'ores et déjà désastreux. Selon un rapport officiel des Nations-Unies, il y a un milliard de pauvres même définis de manière par trop restrictive.

Dans les métropoles impérialistes, les effets de la crise, même s'ils sont de plus en plus apparents, ont été jusqu'à présent freinés par les conquêtes arrachées au cours des décennies précédentes de luttes ouvrières (notamment en matière de protection sociale) et par la force sociale que représente la classe ouvrière. Il y a néanmoins une montée en flèche du chômage : plus de 40 millions de chômeurs dans les pays les plus riches, contre 10 millions au début des années70. Des millions de nouveaux pauvres y représentent, selon les pays, entre 10% et 35 % de la population.

Précarité, marginalisation, insécurité croissantes dans la société se traduisent sur le terrain politique par des tendances à l'Etat fort, à la restriction des libertés démocratiques et des droits syndicaux, comme par une montée du racisme, de la xénophobie, des attaques contre les droits des femmes et des homosexuel(le)s, et la résurgence d'une extrême-droite néo-fasciste. Le recours systématique à la torture et au terrorisme d'État sont le fait de plus de soixante pays dans le monde, parmi lesquels des pays impérialistes. Dans le Tiers-monde, la lutte contre la répression y compris les enlèvements et les disparitions, donne un sens plus large au combat pour les libertés démocratiques aujourd'hui. Symbole de cette dégradation: plus de 150 ans après que l'abolition officielle de l'esclavage, il y a de nouveau des millions d'esclaves dans le monde.

Certes, les exploités et opprimés ne se laissent pas entraîner passivement vers des cataclysmes qui mettent en question leur avenir et jusqu'à leur survie. Des millions d'hommes et de femmes ont participé ces dernières années aux mobilisations contre la guerre, les armes nucléaires et le militarisme, pour la défense de l'environnement, pour le droit à l'avortement, pour l'autodétermination des nationalités opprimées, contre le racisme et le néofascisme, contre l'austérité et le chômage, contre l'impérialisme, la faim et le fléau de la dette qui accablent le "Tiers-monde", contre les privilèges et les dictatures bureaucratiques.

Nous luttons pour une issue globale à la crise qui sauvegarde les chances d'émancipation sociale de l'humanité et satisfasse pleinement l'objectif des droits de l'homme et de la femme, non seulement leurs droits civiques et politiques, mais aussi tout droit à l'emploi, à un niveau de vie décent, à la dignité, à la santé, à l'éducation, au logement.

Ni la jungle capitaliste ni une quelconque dictature bureaucratique ne peuvent répondre à ce défi. Une issue socialiste, internationaliste à la crise de civilisation passe par leur renversement. Cette possibilité est fondée sur le potentiel de combat et d'innovation du prolétariat et des opprimés.

Ce qui est illusoire, c'est plutôt l'idée selon laquelle de patients sacrifices et de sages réformes suffiraient à conjurer les périls. Jamais par le passé les prêches réformistes n'ont suffi à empêcher les crises, à éviter les guerres ou à contenir les explosions sociales. A l'avenir, ils ne les empêcheront pas plus. La résignation a toujours coûté infiniment plus cher que la lutte.

2. Pas d'atterrissage en douceur de la dépression

Ceux qui, grisés par le boom de l'après-guerre, misaient sur un capitalisme pacifique et social, garantissant le plein-emploi et la hausse constante des revenus réels, ont déjà vu leurs illusions s'effondrer. Ceux qui misent aujourd'hui sur une sortie en douceur de la dépression, moyennant patience et sacrifices accrus de la part des exploités, ne saisissent pas le lien intime entre les dangers qui nous menacent et la logique intrinsèque de l'économie de marché généralisée, qui est l'essence même du capitalisme :concurrence exacerbée sans égard aux effets sur l'ensemble de la société; poursuite sans frein du profit et de l'enrichissement privé à court terme sans considération pour les coûts humains de cette course folle et pour les blessures qu'elle inflige à la nature; extension des comportements compétitifs et agressifs dans les relations entre individus, groupes sociaux, Etats; égoïsme et corruption généralisés, guerre de tout(e)s contre tout(e)s, et "malheur aux faibles et aux vaincus!"

La dépression longue est le résultat de cette logique impitoyable de l'économie capitaliste. Elle n'exclut pas des phases de reprise de l'activité économique. Mais ces reprises impliquent un transfert accru du coût de la crise sur le "Tiers-monde" et sur les plus démunis dans les métropoles. Elles ne parviennent même pas à faire reculer le chômage dans les pays riches eux-mêmes. L'étirement de la dépression dans la durée signifie déjà un calvaire sans fin pour les misérables et les laissés pour compte.

Si pendant les premières décennies d'après-guerre les récessions ont eu moins d'ampleur que pendant les cinquante années précédentes, elles tendent à s'aggraver depuis les années 70. L'économie capitaliste internationale ne réussit pas à dépasser le dilemme: ou bien inflation aggravée, ou bien crises de surproduction aggravées. Un nouveau krach bancaire-financier du type 1931, s'il reste improbable, n'est plus exclu.

C'est le développement d'une technologie soumise aux impératifs de la concurrence et du profit, ou à l'incurie bureaucratique, et non la perversité prétendument intrinsèque et incontrôlable de la technologie ou de la science en elles-mêmes, qui risque de nous entraîner vers des désastres majeurs. C'est la subordination de la science à des impératifs étroits de rentabilité à court terme qui provoque 'emballement technique apparemment irrésistible et l'essor de technologies intrinsèquement dangereuses. Avec le capitalisme, triomphe dans tous les domaines la combinaison d'une rationalité partielle, fragmentaire, et d'une irrationalité globale de plus en plus explosive.

Même s'il est illusoire de croire aux effets automatiquement bénéfiques du progrès scientifique, il faut reconnaître que l'humanité n'a pas besoin de moins de science, de moins de raison, de moins de technique, mais au contraire de plus de science réconciliée avec la conscience de ses intérêts sociaux à long terme, d'une technique soumise à l'intelligence et à l'éthique collective des producteurs(trices) associé(e)s, qui implique l'objectif: émancipation et solidarité humaines universelles. Elle n'a pas besoin d'un retour à des superstitions et des mythes obscurantistes.

La lutte pour la réalisation des droits de l'homme et de la femme sur tous les continents est au coeur de ce combat. Dans une société où le principe souverain est le respect de la propriété capitaliste et de la priorité du profit, il est impossible de garantir à toutes et à tous la jouissance pleine et entière des droits démocratiques et sociaux fondamentaux. Le mouvement ouvrier doit retourner contre la bourgeoisie la campagne pour les droits de l'homme et de la femme, se faire le défenseur le plus résolu des libertés démocratiques. Mais il ne pourra gagner confiance et autorité que s'il applique dans ses propres rangs les mêmes principes et s'il ne s'accommode d'aucune violation de ces droits dans les pays où il est au gouvernement.

Des intérêts puissants s'opposent au désarmement universel généralisé, empêchent d'arrêter la pollution de l'air, des mers et des continents, de supprimer la faim, la misère et l'anxiété désespérante de la vie quotidienne, de vaincre les antidotes meurtriers contre cette anxiété tels que l'alcoolisme et la drogue.

Il est illusoire d'imaginer un capitalisme sans crises périodiques de surproduction - véritables affronts à l'humanité, compte tenu des milliards d'êtres dont les besoins les plus élémentaires ne sont pas satisfaits. Il est illusoire d'imaginer un capitalisme sans chômage, sans pauvreté, sans discriminations à l'égard des femmes, des jeunes, des vieux, des immigrés, des minorités nationales, sans racisme ni xénophobie. Le mode de production capitaliste ne parviendra pas plus demain qu'hier à les éviter.

L'internationalisation croissante des forces productives entraîne une tendance vers l'internationalisation du Capital. Elle implique surtout une globalisation croissante des problèmes centraux de l'humanité, qui ne peuvent plus être résolus qu'à l'échelle planétaire par l'avènement d'une Fédération Socialiste Mondiale.

Mais malgré sa large hégémonie temporaire sur la scène politique mondiale, l'impérialisme est incapable de maîtriser cette globalisation. Déchiré par la concurrence interimpérialiste qui s'aggrave en période de dépression, prisonnier de l'Etat national qui se survit, contesté par des secteurs importants de la population mondiale, l'impérialisme ne peut actuellement écraser ses propres populations comme le fit le fascisme hier. Mais l'Etat fort se développe et un bouillon e culture raciste, pré-fasciste surgit.

Face à ces tendances, l'aveuglement n'est pas permis :refuser de voir aujourd'hui ces dangers est tout aussi irresponsable, est tout aussi lâche, que ce ne l'était avant Auschwitz et après Hiroshima.

3. La catastrophe déjà en marche dans le "Tiers-monde"

Les périls qui pèsent sur l'humanité se manifestent d'ores et déjà au g rand jour dans les pays dépendants. La barbarie y est déjà à l'oeuvre. Il est inadmissible de juger le capitalisme dans le miroir des seules conditions d'existence qui prévalent pour une petite minorité de la population du globe la bourgeoisie, les classes moyennes et les couches salariées les mieux loties des pays les plus riches.

A quelques exceptions près, les pays du "Tiers-monde" ont connu un déclin désastreux du niveau de vie moyen au cours de la dernière décennie, ce qui a abouti à des conditions d'existence infra-humaines.

Les phénomènes de paupérisation absolue dépassent quelquefois ceux des années 30 et sont de moins en moins amortis par le maintien d'une agriculture de subsistance. Le pouvoir d'achat des salarié(e)s est souvent réduit de l'ordre de 50%.Dans les pays les plus pauvres, la consommation de calories de la moitié la plus démunie de la population tombe au niveau des camps de concentration nazis d'avant 1940. Le chômage endémique y atteint jusqu'à 40,5 % de la population potentiellement active .

Dans ces pays, quinze millions d'enfants meurent chaque année de faim, de sous-alimentation, de manque de soins. Tous les cinq ans, cette hécatombe silencieuse fait autant de victimes que la seconde guerre mondiale, y compris l'Holocauste et Hiroshima. L'équivalent de plusieurs guerres mondiales contre les enfants depuis 1945 : voilà le prix de la survie du capitalisme international.

Les ressources pour nourrir, soigner, loger et éduquer ces enfants existent pourtant bel et bien à l'échelle mondiale. A condition de ne pas les dilapider dans les dépenses d'armement. A condition de les redistribuer au bénéfice des plus défavorisés. A condition de ne plus confier leur répartition à l'esprit de gain des trusts chimiques, pharmaceutiques, agro-alimentaires, à la soif d'enrichissement des fabricants d'armes.

Une exportation délibérée de la pollution s'opère des métropoles impérialistes vers les pays du "Tiers-monde", qui deviennent une poubelle à bon marché pour les déchets industriels dangereux non recyclables. La terre consacrée pendant des millénaires à produire la nourriture de base des paysans est de plus en plus utilisée pour des cultures commercialisées, destinées à l'exportation. Il en résulte une désertification croissant e, une destruction accélérée des forêts tropicales, un déplacement vers ces pays des industries particulièrement dévastatrices, qui créent rapidement des désastres écologiques pires encore que ceux dont sont déjà affligés les pays riches.

La chasse aux devises destinées à financer le service de la dette, le développement systématique de cultures d'exportation, accentuent la tendance à la sous-alimentation et à la famine. A présent, les pays pauvres sont exportateurs nets de capitaux à destination des pays riches, sans compter les effets de la détérioration des termes de l'échange, de la corruption, des détournements de fonds et de crédits publics par les classes possédantes des pays du "Tiers-mo nde" pour leur enrichissement privé. Synthèse de la dépendance et du sous-développement, le carcan de la dette accable avant tout les pauvres par mi les pauvres.

La lutte contre le paiement de la dette, pour son annulation immédiate et totale capital dû et intérêts , commence au quotidien par l'opposition aux politiques d'austérité salariale, qui exercent une pression terrible sur le pouvoird'achat, aux coupes sombres dan s les budgets publics d'éducation et de santé ordonnées par le FMI, au démantèlement du secteur public, et aux dégâts écologiques liés à la pénétration sauvage du capital.

Les travailleurs, les paysans, les déshérités des villes et des bidonvilles résistent à cette détérioration insupportable de leurs conditions de vie. En Amérique latine, en Asie et en Afrique se succèdent des vagues de grèves, des occupations de terres, des révoltes paysannes, des explosions urbaines de populations paupérisées et marginalisées, des luttes communautaires, mais aussi des succès électoraux, des grèves générales, des efforts d'organisation politique et syndicale sur une base indépendante de l'Etat et de la bourgeoisie, ainsi que des efforts pour constituer des foyers de résistance armée.

4. La crise en Union soviétique et dans les pays de l'Est

Cette crise mûrissait depuis des années. La politique de Mikhaïl Gorbatchev ne l'a pas provoquée, mais seulement révélée au grand jour.

E n URSS et en Europe orientale, cette crise s'est surtout manifestée par un ralentissement de la croissance économique, par un retard technologique de plus en plus prononcé par rapport aux pays impérialistes, par une stagnation et une régression sociales, par l'apparition à grande échelle d'une nouvelle pauvreté, par une crise morale et idéologique profonde, par la perte de crédibilité totale des institutions politiques.

A cela se sont joints le déclin prononcé de la motivation du travail, l'absence croissante d'engagement politique, le repli d'importants secteurs de masse vers le conformisme et la vie privée ce qui a incontestablement prolongé la durée de la dictature bureaucratique. Ces tendances furent compensées seulement d e façon partielle et insuffisante par une renaissance de l'auto-confiance ouvrière au seul niveau de l'entreprise, etpa r la renaissance d'une opinion politique autonome dans certains"mini-milieux".

Cette crise ne fut ni une crise du capitalisme ni une crise du socialisme.

Le capitalisme présuppose que non seulement la force de travail mais encore les grands moyens de production soient des marchandises, qui s'achètent et se vendent sur le marché. Il présuppose que le capital-argent soit le point de départ et le point d'aboutissement de la reproduction. Tout cela n'a pas caractérisé l'économie de l'ex URSS.

Le socialisme, quant à lui, est indissociable d'un niveau élevé de productivité du travail et de satisfaction des besoins de consommation des masses. Il présuppose la démocratie la plus large pour le plus grand nombre, une libre confrontation des opinions, l 'indépendance des organisations de masse envers les partis et l'Etat, l'exercice du pouvoir par les masses elles-mêmes, l'autogestion. Le socialisme n'a jamais existé dans ces pays. Ce n'est pas le moindre crime de Staline que d'avoir associé la notion de socialisme à des monstruosités bureaucratiques telles que la dictature policière, le Goulag, les inégalités croissantes, la corruption généralisée, la mise sous tutelle de la jeunesse, de la science et de la création littéraire et artistique.

Ces pays ne représentaient pas davantage une quelconque variété de capitalisme. Leur crise est spécifique des sociétés de transition post-capitalistes sur lesquelles s'est abattue la chape écrasante d'une couche bureaucratique privilégiée et parasita ire, qui a usurpé le pouvoir des travailleurs. Elles étaient marquées par une contradiction de plus en plus explosive entre un potentiel de progrès social d'une part, et le chaos économique, les inégalités, l'oppression et la corruption résultant de la dictature bureaucratique, d'autre part.

Pour sauver son pouvoir politique, source et fondement de ses privilèges, la bureaucratie peut entreprendre des réformes. Malgré des succès initiaux, les tentatives réformatrices de Tito, Khroutchev, Mao, Deng, ont toutes abouti à une impasse. Les efforts de Gorbatchev ont connu le même sort. Mais elles ont favorisé à la fois une différenciation sociale profonde, y compris au sein de la bureaucratie, avec l'apparition de forces politiques et sociales favorables au capitalisme et un réveil d'activité de masses à la base, sans précédent en URSS depuis la contre-révolution stalinienne.

La manière dont les masses en Europe orientale et en URSS ont réagi à la crise croissante dans ces pays s'est graduellement modifiée à partir de la fin des années 70, du début des années 80. Les socialistes révolutionnaires se sont aperçus avec retard à s'apercevoir de cette modification. Ils se sont, du même fait, trompés quant aux possibilités d'une issue rapide de cette crise favorable au socialisme.

Un facteur important qui explique ce changement de comportement des masses réside sans doute dans la répression, qui s'est abattue dès ce moment sur la "contestation" dans ces pays, tant la contestation ouvrière que la contestation intellectuelle. Cette répression a décapité le potentiel socialiste, par exemple, présent dans Solidarnosc en 1980-81.

Mais aux effets de cette répression se sont joints les résultats objectifs de la crise systémique aggravée dès cette époque : non seulement la détérioration des conditions d'existence des masses mais encore une prise de conscience généralisée de la banqueroute de l'"économie de commandement". Celle-ci fut identifiée avec le socialisme à tort vu l'emploi par les tenants du régime du concept de "socialisme réellement existant" et la propagande impérialiste qui caractérisait aussi ces pays comme "socialistes".

Le fait que le mouvement ouvrier international ne se soit pas mobilisé pour appuyer les luttes anti-bureaucratiques entre 1953 et 1981 a contribué à ce que les masses de ces pays aient cherché l'appui idéologique et matériel de la bourgeoisie plutôt que du prolétariat international, au moment où la dictature bureaucratique s'est effondrée.

Du coup, la continuité qui va de la révolte ouvrière en RDA de 1953, des mobilisations ouvrières en Pologne et de la révolution hongroise de 1956, au "printemps de Prague" de 1968-69 et au potentiel socialiste autogestionnaire de l'explosion de Solidarnosc en Pologne en 1980-81, a été rompue.

Les masses en Europe de l'Est et en URSS n'ont plus abordé les crises d'effondrement des dictatures staliniennes et post-staliniennes en 1989-1991 avec une quelconque initiative politique de classe. Elles ont, sur le plan politique, et dans l'immédiat, laissé le champ libre à des fractions de la bureaucratie, y compris des fractions pro-capitalistes, et aux "libéraux" de la petite et moyenne bourgeoisie pour qui l'"économie de marché" est le moyen de s'engager dans l'accumulation primitive du capital.

En outre, en supprimant les libertés démocratiques élémentaires et la liberté individuelle, les régimes bureaucratiques ont conduit à une revalorisation aux yeux des masses de l'ensemble des institutions étatiques bourgeoises, identifiées avec la démocratie.

Mais les premières tentatives de privatisation économique, les ouvertures au capital international et le début de restauration du capitalisme se font inévitablement sous le signe d'une politique d'austérité et d'inégalité aggravée, qui risquent de transformer pareille restauration en une véritable catastrophe , avec des dizaines de millions de personnes projetées dans la régression et la misère sociale et culturelle. Plus les régimes en place poussent dans ce sens, plus la résistance des masses s'accentuera, spécialement parmi les travailleurs. On peut s'attendre aussi à une large résistance aux tentatives d'attaquer les conditions sociales des femmes, spécialement en ce qui concerne le droit à l'avortement.

Face à ces résistances, les tenants de la libéralisation économique à outrance, loin de l'associer à la poursuite d'une ouverture démocratique, seront tentés de recourir à une nouvelle restriction des libertés démocratiques, voire à la répression autoritaire, si le rapport de forces le permet. La généralisation et la consolidation de ces libertés exige un pouvoir ouvrier et populaire institutionnalisé. En l'absence d'un tel pouvoir, et vu l'ampleur que prendra la résistance de masse, ces pays connaîtront une longue période d'instabilité chaotique, au cours de laquelle les conditions d'une victoire des travailleurs pourraient mûrir petit à petit.

Mais il faudra du temps et beaucoup d'expérience de luttes avant que les travailleurs ne conquièrent leur indépendance politique de classe et le niveau de conscience nécessaires pour une telle victoire.

5. La transition vers le socialisme exclut la domination du marché

Devant la gravité de la crise en URSS et en Europe orientale, d'importants secteurs de la population travailleuse, tant à l'Est qu'à l'Ouest, se résignent à l'idée que la domination du marché constitue un moindre mal par rapport à la gabegie bureaucratique. De là à prôner le "socialisme de marché" il n'y a qu'un pas, franchi par les idéologues réformistes et néo-réformistes de par le monde.

L'idée de "socialisme de marché" est pourtant un contresens. Dans une société authentiquement socialiste, les producteurs librement associés détermineront eux-mêmes ce qu'ils produisent, comment ils produisent, et comment leurs produits sont répartis, du moins dans leurs proportions principales. La gestion démocratique de l'économie, la détermination consciente et collective des priorités et des moyens de les satisfaire, sont incompatibles avec le règne du marché et de la concurrence.

Avant l'avènement d'une société d'abondance, c'est à dire de satisfaction de tous les besoins objectifs, tout système économique est toujours sous la contrainte d'une pénurie relative des ressources productives. Cela signifie que certains besoins sont satisfaits aux dépens d'autres. Ceux qui contrôlent le surproduit social classes ou couches dominante sont le pouvoir de décider en dernière instance des priorités dans l'emploi des ressources encore relativement rares.

Dans la société capitaliste, ces décisions dépendent des grandes firmes et des grandes fortunes, c'est-à-dire des impératifs du profit et de l'accumulation du capital privé. Les "lois du marché" sont réfractées par ces contraintes et ces impératifs. On construit des résidences secondaires luxueuses alors qu'il y a des millions de "sans-logis", dans les pays dits riches. Il y a 1,7 milliards de personnes quine disposent pas d'eau courante, alors qu'il y a des centaines de milliers de piscines privées rien qu'en Californie. On investit massivement pour produire des gadgets de moins en moins utiles, voire nuisibles, alors que les besoins élémentaires de plusieurs milliards d'être humains restent non satisfaits.

Dans l'économie dominée par la bureaucratie soviétique et des formations analogues, les priorités dans l'emploi des ressources étaient déterminées de manière arbitraire et imposées de manière despotique, ce qui a conduit à des disproportions et des gaspillages énormes et croissants.

Dans une économie socialisée, gérée par lesproducteurs-consommateurs-citoyen(ne)s eux(elles) mêmes, ces priorités seront démocratiquement déterminées par les masses laborieuses. Les besoins à satisfaire avant les autres ainsi précisés seront à la base du plan. La planification socialiste démocratique est indispensable pour assurer que ces priorités soient respectées. Elle doit éviter que les tendances de développement économique ne découlent de "lois économiques" qui s'imposent spontanément derrière le dos des producteurs(trices). Elle doit assurer que ces tendances soient consciemment déterminées, notamment en matière d'emploi, de durée et d'intensité du travail, d'égalité croissante, de priorités pour la santé, l'éducation, la sauvegarde de l'environnement, la culture. C'est ce rapport entre autogestion démocratiquement planifiée et satisfaction des besoins de consommation qui rend une économie authentiquement socialiste supérieure à l'économie capitaliste, y compris sous sa forme "d'économie sociale de marché". Cela s'articule avec une combinaison de formes diverses de propriété, socialisée non-étatique des grands moyens de production et d'"échange", coopérative et privée pour les plus petits.

Les producteurs(trices) libéreront un énorme potentiel de motivation du travail créateur, inventif, de gestionnaires responsables et économes, lorsqu'ils se rendront compte en pratique qu'ils ont le pouvoir de s'assurer des biens et des services de haute qualité, distribués sans entraves. Dès lors, l'"esprit d'entreprise" dans le sens rationnel du terme, qui en régime capitaliste et sous le règne du marché n'est le propre que d'une petite minorité de propriétaires privés s'étendra à la grande majorité des producteurs(trices).

S'appuyant sur l'énorme potentiel de l'informatique, animée en outre par la possibilité d'une réduction radicale de la journée et de la semaine de travail, et d'une socialisation croissante du travail domestique, intégrant toutes les préoccupations écologiques, l'économie socialiste autogérée et démocratiquement planifiée pourra ainsi s'avérer qualitativement plus efficace, plus rationnelle et plus humaine que l'économie capitaliste la plus avancée.

L'expérience yougoslave a confirmé d'une façon dramatique que l'autogestion ouvrière et l'économie de marché, s'excluent à long terme.

Les travailleurs pouvaient y bénéficier d'importantes prérogatives au niveau de l'usine, y compris celle de licencier leur directeur. Mais si le sort de l'usine dépend de sa performance sanctionnée par le marché, qui dépend à son tour d'une foule de facteurs indépendants de la volonté des travailleurs (entre autres, l'état technologique initial, le degré de monopolisation des produits vendus, l'accès différencié au crédit, l'accès non moins différencié aux devises permettant d'importer outillage, matières premières, pièces de rechange), les travailleurs peuvent se trouver pénalisés par le marché quels que soient leurs efforts. Leur entreprise peut même être acculée à la banqueroute. Que reste-t-il alors de l'autogestion, si ce n'est le "droit" des travailleurs de se licencier eux-mêmes?

Dans la transition entre le capitalisme et le socialisme, un recours aux mécanismes marchands reste nécessaire et utile dans les secteurs qu'une insuffisante socialisation objective du travail prépare mal à la propriété collective : artisanat, certains secteurs de la distribution et des services, etc. Il peut contribuer à éliminer la pénurie en brisant des monopoles qui n'incitent pas à prendre suffisamment en compte les besoins des consommateurs dans l'agriculture, et le commerce de détail, à condition toutefois que des monopoles privés ne se substituent pas au monopole d'Etat.

Mais ce recours n'est positif que dans le cadre d'une orientation consciente vers le dépérissement graduel des relations marchandes, et surtout joint au règne d'une démocratie socialiste pluripartiste qui laisse dans tous ces domaines les pouvoirs décisionnels aux les mains des masses.

L'emploi d'un étalon monétaire stable, le fonctionnement partiel et provisoire du marché doivent s'insérer dans une économie démocratiquement dirigée, c'est-à-dire dans un ensemble de décisions politiques veillant à ce que les mécanismes marchands partiels n'accentuent pas les inégalités sociales, n'opèrent pas de transferts au détriment des couches les plus démunies de la population, n'entament pas le système de protection sociale qui assure à tous les citoyen(ne)s la satisfaction de leurs besoins de base, ne dégradent pas les conditions des femmes, particulièrement vulnérables comme travailleuses et comme consommatrices. Cela suppose un renforcement des mécanismes de la démocratie socialiste, du contrôle public sur tous les rouages de la vie économique et sociale.

Sans un pouvoir politique réellement exercé par les travailleurs, le renforcement même partiel de critères marchands, loin de favoriser la transparence et la démocratisation, accentue la bureaucratisation et la corruption de l'appareil d'Etat, et le risque d'expropriation politique du prolétariat par des couches privilégiées.

Tous ces problèmes ne pourront être résolus à l'aide de schémas pré-établis et de formules simplistes. Les socialistes révolutionnaires les aborderont avec un esprit ouvert non-dogmatique, sachant apprendre des expériences pratiques, ajustant progressivement leurs positions en fonction de celles-ci, en dialogue constant avec d'autres courants progressistes et avec les secteurs les plus combatifs des masses.

La construction du socialisme est une oeuvre de longue haleine. Elle est un véritable laboratoire historique dans lequel aucune voie royale n'est tracée d'avance. Aucune infaillibilité papale ne peut la guider. Les erreurs y sont inévitables.

La capacité des masses à corriger celles-ci grâce à la démocratie socialiste la plus large, et la détermination des révolutionnaires de conformer leur pratique strictement à leurs principes, sont la garantie principale que ces erreurs n'entraveront pas la marche du progrès.

6. Travail salarié, travail aliéné

La bourgeoisie se vante couramment, surtout dans les pays impérialistes, d'avoir réussi à "intégrer" les salarié(e)s à la fois comme consommateurs(trices) et comme citoyen(ne)s. Le constat est sujet à caution, même s'il correspond partiellement à la réalité. La longue suppression des libertés démocratiques dans les pays sous domination bureaucratique, et l'incapacité des bureaucratie à satisfaire les besoins des masses en matière de biens de consommation de qualité, ont versé de l'eau au moulin de la propagande bourgeoise à ce propos.

Cependant, à la lumière de l'expérience des dernières décennies, il apparaît incontestable que le capitalisme, même le plus riche et le plus "éclairé", est incapable d'intégrer les salarié(e)s en tant que producteurs(trices). Le travail salarié est condamné à rester un travail aliéné. Il est soumis aux impératifs des "performances" sanctionnées par le profit. Cela implique que la masse des salarié(e)s reste soumise à l'insécurité de l'emploi et donc de l'existence, au chômage périodique sinon chronique, à la peur de la perte de l'emploi, aux aléas de la maladie et de l'invalidité, à la réduction de revenus en période de retraite.

L'inégalité sociale est fatalement liée au salariat. Que les salaires soient bas ou élevés, ils ne servent qu'à la consommation courante ou future. Ils ne produisent pas des fortunes qui permettent de vivre sans travailler. Cela reste le propre des propriétaires du capital.

Du même fait, il y a aliénation au niveau de la satisfaction de besoins essentiels, comme le logement, la santé, l'accès aux connaissances et à la culture. L'inégalité sociale qui marquele régime capitaliste est aussi une inégalité devant la maladie et devant la mort.

Mais le travail salarié est avant tout un travail aliéné et aliénant en tant qu'activité, c'est-à-dire en tant que travail lui-même. Pour pouvoir les subordonner aux impératifs du profit, le Capital doit soumettre les salarié(e)s à un contrôle social au cours du processus de production. Il doit contrôler l'emploi de leur temps, subordonner l'organisation et le rythme du travail aux besoins de la production de la plus-value. Les producteurs(trices) restent esclaves des machines et du chronomètre, non seulement à l'atelier mais aussi de plus en plus au bureau et dans le secteur des services. Même lorsque de nouvelles formes d'organisation du travail sont substituées à la chaîne, et que les "cercles de qualité" et le travail en petites équipes s'implantent ce qui ne concerne encore qu'une minorité d'entreprises les salarié(e)s ne sont guère maître(esse)s du processus de production. Ils ne déterminent ni ce qu'ils produisent, ni comment ils le produisent, ni à qui leur production est destinée. Ils restent des esclaves de la machine, dominés par une hiérarchie de grands et de petits chefs, sous une forme brutale ou subtile.

La production et les profits qui en découlent restent des buts en soi. Le travail, l'activité productive, n'est pas un moyen de réaliser toutes les potentialités créatrices de la personne humaine. Il n'est qu'un moyen de gagner de l'argent.

Quoi d'étonnant que la grande majorité des salarié(e)s, aliéné(e)s par la nature même de leur travail, soient dès lors des êtres frustrés et aliénés aussi dans le domaine de la consommation, qu'ils soient des consommateurs(trices) largement passifs au cours de leurs loisirs, qu'ils subissent la substitution progressive de la culture de l'image à la culture des signes, qu'ils aient souvent recours à l'alcool sinon à la drogue pour noyer la fatigue, l'ennui, l'absence de perspectives et d'espoir.

Une société ne peut être une société d'hommes et de femmes libres si elle n'est pas fondée sur le travail libre et désaliéné, c'est-à-dire sur l'abolition du salariat.

L'aliénation universelle des hommes et des femmes entraîne également leur aliénation d'avec la nature. Le fait de vivre dans des milieux artificiels engendre une opacité croissante de l'interaction entre l'humanité et la nature y compris dans la conscience humaine.

Elle englobe également une aliénation de la nature humaine elle-même, une négation de l'être humain comme être social et politique, qui développe par priorité des rapports de plus en plus riches avec d'autres êtres humains, qui ne subordonne plus cet élan à l'accumulation irrationnelle d'un supplément de biens matériels de moins en moins utiles.

La désaliénation du travail n'est ni un vu pieux ni une chimère. Elle est l'aboutissement du mouvement réel d'opposition à toute forme d'exploitation et d'oppression qui croît au sein même de la société existante, fût-ce sous une forme encore fragmentaire.

Les socialistes révolutionnaires n'abordent pas ce mouvement réel avec des positions préétablies. Ils ne le jugent pas selon qu'il soit "récupérable" ou non par l'ordre établi, "gradualiste" ou non-gradualiste. Vu sa nature émancipatrice, il a le potentiel de frapper à la racine même de la société bourgeoise (grèves actives!). La tâche des socialistes révolutionnaires, c'est de se rendre compte de ce potentiel, de le stimuler par leur apport et leurs initiatives pratiques, politiques, et théoriques. Ils s'efforcent avant tout de l'unifier progressivement jusqu'à ce qu'il s'attaque au désordre bourgeois dans son ensemble.

II. Les obstacles à surmonter

7. La crise de crédibilité du socialisme

La résistance des exploité(e)s et des opprimé(e)saux méfaits du capitalisme, de l'impérialisme et des dictatures bureaucratiques ne cesse de se manifester. Mais elle est pour le moment marquée par les conséquences de la crise générale de crédibilité de la perspective et du projet socialistes, qui s'accentue depuis au moins une décennie.

Cette crise de crédibilité se nourrit fondamentalement de la prise de conscience, tant par les masses que par leur avant-garde, de la faillite pratique parallèle du stalinisme, du gradualisme social-démocrate et du nationalisme populiste dans le "Tiers-monde". Le résultat est qu'il n'y a plus dans la conscience des masses un "modèle de société" global de rechange par rapport au capitalisme.

Cela ne remet pas seulement en question les références à la révolution d'octobre dans la conscience de masse, mais aussi la référence à l'espoir d'avant et d'après 1914 de réaliser une société non-capitaliste sans classes par la voie de l'accumulation de succès électoraux et de réformes successives. Dès lors, beaucoup de luttes de masse tendent à se fragmenter. Les travailleur(eusse)s y participent souvent en tant que citoyen(ne)s, voire en tant qu'individus, sans s'identifier au mouvement ouvrier.

Les femmes ne se sont jamais identifiées aussi fortement avec les organisations ouvrières traditionnelles, parce que ces dernières ont ignoré les problèmes spécifiques des femmes pendant des décennies, leurs directions à prédominance masculine adoptant presque toujours des attitudes paternalistes et méprisantes. C'est pourquoi les femmes engagées aujourd'hui dans les luttes sont moins susceptibles d'être démoralisées par cette crise de crédibilité. C'est le cas également des nouvelles générations comparées aux anciennes.

La crise de crédibilité des perspectives socialistes n'est certes pas absolue. Elle touche davantage les pays qui connaissent un mouvement ouvrier traditionnel de masse, où ces masses ont connu de grandes déceptions au cours des décennies passées. Elle touche moins les pays à mouvement ouvrier relativement jeune, sur lequel ne pèsent pas les défaites du passé : Brésil, Afrique du sud, Corée du sud. Elle est moins prononcée dans le sud asiatique.

Mais ses effets plus ou moins débilitants n'en sont pas moins présents partout, fût-ce dans des proportions différentes. Pour le comprendre, il faut en saisir les deux causes fondamentales.

D'une part, à partir du début des années 80, se sont combinées dans la conscience des masses la perception des crimes récents du stalinisme (répression de Solidarnosc ,crimes du régime de Pol Pot au Kampuchéa; invasion d'Afghanistan; répression de la place Tien An-Men, etc.) Dans la même période s'est développée la capitulation honteuse de la social-démocratie gouvernante (France, État espagnol, Portugal, Grèce, Suède, Finlande, Pays-Bas, Saint-Domingue, Vénézuela, Australie, Nouvelle-Zélande, etc.) devant la politique d'austérité et de réduction des salaires directs et indirects.

Dans ces conditions, l'attachement de toute manière fort relatif à ces partis traditionnels épouse de moins en moins l'espoir de les utiliser comme instruments de lutte pour une société socialiste. Il prend essentiellement la forme d'un choix de moindre mal soumis d'ailleurs à des fluctuations électorales de plus en plus amples.

Mais d'autre part, les masses elles-mêmes n'ont pas non plus déclenché au cours de cette décennie des luttes d'ensemble à dynamique anti-capitaliste, comparables à celles des années 60et 70. Il n'y a plus eu une seule révolution victorieuse depuis la révolution nicaraguayenne en 1979. Il n'y a plus eu dans les pays impérialistes une seule grève générale prolongée ou une seule explosion révolutionnaire depuis la révolution portugaise. Il n'y a plus eu à l'Est une seule montée de masse d'ensemble contre la dictature bureaucratique comparable à l'explosion de Solidarnosc en 1980-81.

Le scepticisme des masses quant à un "modèle global de société" n'est donc pas seulement nourri par la banqueroute des appareils staliniens, post-staliniens et réformistes. Il reflète aussi une prise en considération instinctive de la détérioration des rapports de force à l'échelle mondiale aux dépens du prolétariat, détérioration qui est incontestable, bien que plus réduite que ne prétendent des idéologues de diverses inspiration. Cette perception freine à son tour un engagement socio-politique d'ensemble de ces mêmes masses.

8. Société de consommation et privatisation

La longue expansion économique après la deuxième guerre mondiale dans les métropoles, et ses retombées partielles dans des pays dépendants semi-industrialisés, ont été marquées par une expansion de la consommation de biens durables des classes moyennes et des couches supérieures du prolétariat. En fait, le logement, l'équipement électroménager et l'automobile, souvent achetés à crédit, c'est-à-dire par un gonflement universel de l'endettement, expliquent en bonne partie ce "boom". La transformation des habitudes et des murs à laquelle a abouti la "société de consommation" entraîne une "privatisation" et un repli sur soi croissant de la part des individus.

Il faut se garder de condamner en bloc ce développement de la consommation chez des secteurs des masses populaires. Sa portée libératrice, notamment pour les femmes, hier encore presque toutes astreintes à de pénibles travaux ménagers, est incontestable. L'idée que l'accès à un minimum de confort serait un signe d'embourgeoisement est profondément réactionnaire. Jamais les socialistes n'ont prôné l'ascèse. L'homme et la femme ne sont pas condamnés à produire leur pain à la sueur de leur front.

La reproduction de cette superstition chez certains courants écologistes radicaux n'est pas davantage justifiée. Ce n'est pas vrai que les ressources font défaut pour assurer à tout(e)s les habitant(e)s de la planète un minimum de confort. Il suffirait de planifier rationnellement l'emploi des ressources, de supprimer toute production de biens nuisibles, à commencer par les armes, d'éliminer tous les gros gaspillages, de stimuler de manière prioritaire la recherche de produits nouveaux compatibles avec les exigences écologiques, et de produits de substitution aux ressources naturelles rares. L'idée qu'il faille sacrifier délibérément les intérêts, voire la survie, des générations présentes, sous prétexte de ne pas mettre en danger celle de générations futures, est une idée inhumaine.

Mais les effets positifs d'un développement de la consommation dans certaines couches populaires ont eu comme corollaires des phénomènes négatifs qui érigent de nouveaux obstacles sur le chemin de l'émancipation.

Le contrôle de la production des biens de consommation durables par le Capital conduit à accroître considérablement les gaspillages et l'emploi irrationnel des ressources. La consommation individuelle est stimulée systématiquement au dépens de la consommation collective (des services sociaux). La qualité des produits est systématiquement détériorée pour permettre leur remplacement de plus en plus rapide. Des "besoins" artificiels sont stimulés. Devant l'étalage de ces "produits nouveaux", une frénésie de surconsommation est encouragée. La manipulation des besoins parla publicité massive démasque le mythe de la "liberté du consommateur". Le "capitalisme tardif" a besoin d'un climat permanent de besoins insatisfaits qui engendre la frustration généralisée.

En outre, la privatisation croissante de la consommation prive les individus d'un tissu élémentaire de rapports humains. Le "chacun pour soi", qui est déjà source de déséquilibres, de crises, d'irrationalité croissante dans le domaine de la production, de l'emploi, de la répartition des revenus, étend maintenant ses méfaits aux domaines de la consommation et des loisirs.

En réduisant de manière croissante la communication orale et la vie en commun, en privant l'être humain de l'affection et de la sympathie qui naissent des collectifs petits et grands comme centres de vie, cette privatisation plonge l'homme et la femme dans la solitude et le cynisme. Ce sont des obstacles sérieux sur la voie d'une prise de conscience socialiste, d'un combat pour une société qualitativement meilleure. Ils ne sont pas insurmontables, mais ils sont réels. Il faut rechercher des stratégies concrètes pour les surmonter.

Dans les pays du "Tiers-monde" l'aspiration à la "société de consommation" s'est surtout manifestée en milieu urbain, moins en fonction d'une croissances des revenus sauf pour une minorité fort réduite de la population qu'en fonction de la propagation du "modèle de consommation" des métropoles par les médias (radio, TV). En milieu rural, cette tendance est bien moins généralisée.

9. Le déclin des "contre-cultures"

La tendance à la privatisation et le déclin prononcé de modes de pensée et d'action collectifs qui y est associé ont eu comme effet le plus néfaste le déclin de la "contre-culture" ouvrière dans les pays plus industrialisés.

L'idéologie dominante de toute société de classe est l'idéologie de la classe dominante. Il est illusoire d'espérer que le prolétariat, privé de ressources matérielles suffisantes, puisse la supplanter au sein de la société bourgeoise. Mais qui dit "idéologie dominante" ne dit point "idéologie unique". Au sein du monde capitaliste coexistent l'idéologie bourgeoise hégémonique, l'idéologie d'anciennes classes dominantes, et la "contre-culture" ouvrière plus ou moins inspirée de valeurs socialistes.

Son étendue varie selon l'époque et de pays en pays. Mais lors de l'essor du mouvement ouvrier organisé, des années 90 du siècle passé jusqu'aux années 50 de ce siècle, elle était à son tour hégémonique au sein des salarié(e)s dans des nombreux pays impérialistes, et dans plusieurs pays semi-industrialisés. Cette "contre-culture" était fondée sur des valeurs de solidarité et de coopération. Elle influençait, inspirait, donnait perspective et espoir à des dizaines de millions d'êtres humains. Elle déterminait en bonne partie leur comportement quotidien.

Elle s'était institutionnalisée dans des réseaux d'organisations qui regroupaient enfants, jeunes, adultes, vieillards pendant presque toute leur vie: organisations de pionniers et de jeunesse; partis politiques; Maisons du peuple; organisations sportives; caisses d'assistance mutuelle diverses; organisations de retraité(e)s ; organisations féministes; fanfares et cercles dramatiques. Le syndicat de masse était la plus importante de ces organisations. Sans déterminer automatiquement une prise de conscience politique et un comportement électoral de classe, ce réseau puissant l'encouragea sans aucun doute.

Avec la privatisation résultant de la "société de consommation", ce réseau a commencé à se démanteler. Le mouvement syndical a été le moins touché. Mais les autres organisations ont toutes subi un déclin, quelquefois dramatique.

L'expression la plus nette est le déclin de la presse ouvrière. Jadis, quotidiens socialistes et communistes se diffusaient à des millions d'exemplaires. Aujourd'hui, les partis sociaux-démocrates les plus puissants comme le SPD, le PS autrichien, le Parti travailliste britannique, le PS français et celui de l'État espagnol, ne disposent même plus d'un quotidien.

Ce déclin de la contre-culture ouvrière n'a pas eu d'effet électoral immédiat. Il peut même coïncider pendant un certain temps avec une nouvelle croissance des votes en faveur des partis ouvriers traditionnels, essentiellement pour des motifs de "moindre mal". Mais il rend des secteurs de la classe ouvrière plus perméables à des motivations inspirées des idées réactionnaires. Le regain d'influence des idéologies des formations d'extrême-droite dans des secteurs, certes minoritaires mais non négligeables de la classe ouvrière, l'atteste, d'autant plus que les directions des organisations ouvrières traditionnelles leur font des concessions scandaleuses, à des fins électoralistes à courte vue.

Dans les pays du "Tiers-monde", la cohésion au sein de la communauté villageoise, même si elle est minée par le système des castes comme en Inde ou par une différenciation sociale croissante, a constitué elle aussi un contre-poids sérieux à la domination totale de l'idéologie et des valeurs prédominantes de la bourgeoisie.

Dans l'ex URSS et les autres pays dominés par une bureaucratie privilégiée, le déclin de la culture ouvrière et de ses valeurs propres a des sources spécifiques, avant tout le terrible discrédit que les dictatures stalinienne et post-stalinienne ont jeté sur le communisme, le marxisme, le socialisme, identifiés à tort mais dans les faits avec les méfaits de la dictature. Il en a résulté une profonde crise idéologique et morale qui sape, là aussi, dans une première étape, l'inclination des masses à s'opposer aux "valeurs" de l'idéologie bourgeoise.

Dans le vide ainsi créé pénètrent des tendances idéologiques réactionnaires et rétrogrades: la superstition; l'intégrisme religieux; le chauvinisme; le culte de la violence; le rejet ouvert des droits humains universels; le rejet de l'égalité des sexes et le mépris à l'égard des femmes; la xénophobie et surtout le racisme; le mépris voire la haine à l'égard d'une partie substantielle des habitant(e)s de la planète.

Il ne faut pas identifier le caractère néfaste du déclin des "contre-cultures", fondées sur la coopération et la solidarité collectives, avec un rejet du droit des individus au développement de leur personnalité propre. Ce qui s'oppose, ce n'est pas "collectivisme" et l'"individualisme". Ce qui s'oppose, c'est le collectivisme socio-économique qui crée le cadre matériel indispensable à l'émancipation de tous et de toutes, et l'individualisme bourgeois qui n'assure la possibilité matérielle de la liberté individuelle qu'à une toute petite minorité de la société.

10. Une nouvelle étape de la crise de direction ouvrière et ses racines objectives

La crise de l'humanité, c'est en dernière analyse la crise de la direction et de la conscience de la classe des salarié(e)s. La IVe Internationale l'a proclamé dès sa fondation, dans son Programme de transition. Rien de ce qui s'est produit depuis 1938 ne s'oppose pas à ce constat, bien au contraire.

Mais la crise de crédibilité du socialisme qui prévaut depuis une décennie ajoute une dimension nouvelle à cette crise de direction. L'affaiblissement prononcé de l'emprise des appareils traditionnels sur la classe ouvrière, surtout au sein des entreprises, sur les syndicats, sur les "nouveaux mouvements sociaux", qui est incontestable, ne débouche point sur l'avènement de nouveaux partis de masse à leur gauche, à quelques exceptions près, ni à un renforcement sérieux des organisations révolutionnaires.

Le scepticisme des masses par rapport à un projet global de société, différent de celui du capitalisme "social", tend à fragmenter les mouvements de protestation et de révolte. Cette fragmentation en réduit la durée. Elle facilite leur récupération, avant tout électorale, par l es appareils traditionnels .

Du même fait, la centralisation de l'expérience et l 'accumulation des cadres, voire le maintien d'un niveau moyen de militantisme, se trouvent entravées. A l'échelle mondiale, des centaines de milliers de militant(e)s, de cadres, de dirigeant(e)s exemplaires de luttes syndicales, féministes, anti-militaristes, de solidarité internationale, ont rompu avec les PC et la social-démocratie . Mais dans le contexte présent, beaucoup d'entre eux (elles) sont devenu(e)s progressivement sceptiques quant à la possibilité de substituer des organisations et des partis meilleurs aux organisations traditionnel(le)s. Ils (elles) se sont retiré(e)s vers des activités sectorielles ou ponctuelles, ou se sont replié (e)s sur la vie privée.

C'est une perte sérieuse pour la possibilité de construire rapidement de nouvelles organisations révolutionnaires plus fortes. C'est une perte sérieuse pour la classe dans son ensemble, car ces militants et cadres représentent souvent destrésors d' expérience.

Il faut cerner de plus près les causes objectives et subjectives de ce phénomène.

A partir des années 1 970, la classe ouvrière a vu ses conditions traditionnelles d'emploi, de travail, d'organisation et de combat au jour le jour graduellement modifiées, surtout dans les pays anciennement industrialisés. Il y a eu déplacement massif de l'emploi de l'industrie manufacturière et des mines vers le secteur des services. Il y a eu réduction partielle de la concentration ouvrière dans des entreprisesgéantes. Il y a réduction des formes d'organisation du travail basées sur la chaîne, qui facilitèrent un contrôleembryonnaire des délégations syndicales sur le rythme du travail.

Un aspect concomitant de ces transformations de l'économie capitaliste a été une féminisation progressive de la classe des salarié(e)s. La possibilité croissante pour les femmes d'obtenir ainsi un revenu indépendant marque incontestablement une étape ver s leur émancipation. Mais elle aggrave simultanément en général leurs conditions matérielles (double journée de travail), vu les difficultés qu'elles rencontrent de faire participer les hommes aux tâches domestiques, et l'absence d'un réseau satisfaisant d'institutions sociales prenant encharge une partie importante des occupations ménagères traditionnelles. Elle les soumet aux contraintes d'un travail de plus en plus aliénant et mécanisé, qui se généralise dans le secteur des services où elles sont employées majoritairement.

Elle est en outre marquée par un retard prononcé de la féminisation au sein des syndicats, ce qui accentue leurs difficultés à faire valoir leurs revendications propres et à développer un combat pour leur satisfaction.

Tout cela freine leur engagement militant permanent. En même temps, une nouvelle étape de la bureaucratisation des appare ilstraditionnels s'est accompagnée d'un renforcement de leurs liens avec les appareils étatiques ou para-étatiques. Ceux-ci s ontparfois devenus la base principale des partis ouvriers traditionnels, au détriment de leurs liens avec les travailleurs eux-mêmes.

Il s'en e st suivi un e crise croissante d'identification d'importants secteurs de la classe ouvrière avec le mouvement ouvrier organisé, ainsi qu'une crise crossante interne de celui-ci.

Les travailleur( euse)s ont été confronté(e)s à des conditions nouvelles auxquelles ils (elles) n'ont pas pu réagir rapidement ni spontanément. Ils se sont trouvés sur la défensive face à une offensive patronale généralisée, devant laquelle leurs organisations traditionnelles ont en grande partie capitulé.

Cela a engendré désorientation et désarroi. Il faudra du temps et des succès, du moins partiels, dans la riposte pour que ces effets subjectifs soient graduellement surmontés.

Petit à petit, la riposte ouvrière à l'offensive patronale s'ébauche. Elle prend même de nouvelles formes radicales: grève active, élargissement de l'action vers les consommateurs, parfois contestation de l'autorité de l'Etat.

Graduellement, le mouvement ouvrier se recomposera, ce qui s'appuyera sans doute sur une confluence progressive de secteurs combatifs des organisations de masse, des mi litantes pour les droits des femmes, des couches les plus lucides de la jeunesse et de secteurs de salarié(e)s aujourd'hui à l'extérieur de celles-ci, et de secteurs des nouveaux mouvements sociaux en voie de radicalisation.

L'essentiel pour les socialistes révolutionnaires est de surmonter la phase d'expériences ponctuelles et fragmentées, de réinsérer dans la riposte ouvrière les tendances et les valeurs de la solidarité interprofessionnelle généralisée, de l'étendre aux victimes les plus démunies de l'austérité :immigré(e)s, femmes, jeunes, chômeur(euse)s, retraité(e)s. Ceci pose la nécessité d'une réorganisation des structures permanentes et de nouveaux réseaux de lutte.

Mais la crise accentuée de la direction ouvrière se base aussi sur une nouvelle étape d e la dialectique des conquêtes partielles. L'accroissement indéniable du niveau de vie de larges secteurs de la classe ouvrière des métropoles et de secteurs plus réduits des pays semi-industrialisés au cours du "boom" d'après-guerre a accentué d es réflexes conservateurs au sens existentiel du terme : conserver l'acquis plutôt que l'étendre. Jusqu'à ce que l a longue dépression ait fait baisser le niveau de vie au point où ce réflexe ne joue plus, ou beaucoup moins, il faudra de nouveau du temps.

Finalement, la possibilité pour de nombreux "anciens combattants" de 1968 de s'insérer avec succès dans la société bourgeoise à partir de la deuxième moitié des années 70 possibilité qui diminuera fortement au cours des années 90 a p rivé la classe ouvrière d'appuis, les organisations révolutionnaires de cadres et de militants, ce quia affaibli l'une et les autres.

Mais il ne faut pas minimiser d'importantes tendances allant dans le sens contraire et qui favorisent à la longue la solution de la crise de conscience et de d irection révolutionnaire du prolétariat.

Les révolutionnaires ont toujours été une minorité au sein de la classe des salarié(e)s. Elle a toujours subi une forte influence d'idéologies bourgeoises et petites-bourgeoises, en fonction même de la manière contradictoire dont elle est insérée dans la société bourgeoise.

Mais aujourd'hui, les socialistes révolutionnaires engagent le combat difficile pour reformuler de manière convaincante la perspective socialiste, avec des atouts dont ne disposaient pas les deux ou trois générations précédentes. L'emprise de sa appareils traditionnels sur la classe s'est desserrée. Le caractère nuisible, inhumain, barbare, du régime capitaliste et de ses "valeurs" est plus largement perdu. Des secteurs jeunes s'orientent vers une "subversion" radicale.

Aux socialistes de prendre appui sur cette nouvelle donne pour engager un combat vital pour l'avenir du genre humain : celui de refaire du prolétariat le fer de lance d'une lutte anti-c apitaliste. Ce n'est pas un combat gagné d'avance. Ce sera un combat long et difficile, mais c'est possible. C'est un combat plus que jamais nécessaire.

III. Objectif: émancipation généralisée

11. L'objectif global

La solution radicale à la crise mondiale passe par la remise en cause de l'économie marchande généralisée, de la propriété privée des moyens de production e t d'échange, de la production orientée vers le profit, de la souveraineté des Etats nationaux, de la mainmise bureaucratique sur les systèmes de protection sociale. Elle s'inscrit dans la perspective d'une Fédération socialiste mondiale démocratique, pluraliste et autogestionnaire.

Le potentiel que recèle l'intelligence et la générosité humaine pourra s'épanouir sous un régime réellement socialiste et démocratique, où la science et la technologie seront au service des hommes et des femmes, et soumises à un contrôle public et critique. La culture et l'enseignement supérieur seront pour la première fois ouverts à tous et toutes. Il peut en résulter un essor de la création culturelle, la libération d'un gigantesque gisement d'énergies encore largement inexploré. Le développement scientifique pourra contribuer à libérer l'homme et la femme du fardeau du travail parcellaire, répétitif, mécanique, monotone, physiquement et psychiquement dévastateur. Mais il exigera une application créatrice et humaniste, c'est-à-dire inconcevable sans un comportement collect if responsable de producteurs(trices) librement associé(e)s sans une autogestion planifiée généralisée.

Une motivation différente du comportement économique pourra résulter petit à petit de l'intérêt de toutes et de tous à une réduction continue du travail mécanique répétitif, vécu par la plupart des producteurs(trices) comme u n travail forcé. L'avènement d'une nouvelle citoyenneté, établissant pour la première fois le contrôle de la société sur un appareil étatique et administratif appelé à dépérir, exige une réduction radicale de la journée de travail. La journée de travail de 4 heures éliminerait pratiquement la nécessité d'une bureaucratie professionnelle, et permettrait aux travailleurs de gérer eux mêmes la société. Sans elle, l'autogestion reste largement fictive. Cela aura un écho puissant dans le monde entier.

Cette mesure pilote de la révolution socialiste dans tout pays relativement industrialisé n'est pas une utopie. Elle a de solides bases objectives et subjectives.

Des sources conservatrices estiment à 50% au moins la part du potentiel productif mondial inutilisé, ou utilisé à des fins destructrices (production d'armes) et nocives. Avec l'emploi rationnel de ces ressources déjà existantes à des fins productives et utiles, respectant des impératifs écologiques, il serait possible de marcher vers l'abolition de la misère et du sous-développement dans le "Tiers-monde", sans réduire le niveau de vie moyen des travailleurs d'aucun pays, voire en l'augmentant partout.

Des minorités significatives remettent en cause déjà aujourd'hui "l'éthique du travail" et l'accumulation de biens matériels comme but suprême de la vie sociale. Pour des millions de travailleurs, travailler moins pour vivre autrement passe avant travailler plus pour consommer toujours davantage. Pour des millions d'hommes et de femmes qui prennent conscience des périls écologiques, la qualité de la vie, la protection de l'environnement, le respect d'une nature dont nous sommes partie prenante, la conquête de la dignité humaine, sont plus importants que l'accumulation illimitée de biens matériels.

L'objectif global que nous visons est la réalisation d'une émancipation généralisée des hommes et des femmes de toutes les formes d'exploitation, d'oppression, d'aliénation, de ségrégation qui pèsent sur eux et sur elles. Le socialisme sera pluraliste, pluripartiste, auto-gestionnaire, abolissant le travail salarié, il sera écologiste, féministe, internationaliste, pacifiste, multi-culturel, ou il ne sera pas.

Cela implique notamment qu'il réa lise toutes les exigences de la démocratie socialiste la plus large et que l'élection et le remplacement des gouvernements dépendent de véritables décisions libres donc avec choix entre diverses possibilités par le suffrage universel .

12. Seul le prolétariat peut construire une société sans classes

Les hommes et femmes salariés, c'est-à-dire tous ceux et toutes celles qui sont économiquement contraint(e)s de vendre leur force de travail, représentent la seule force sociale capable de paralyser et de renverser la société capitaliste et de construire une société fondée sur la coopération et la solidarité de la grande majorité de la population. C'est pourquoi la classe ouvrière ainsi définie est la colonne vertébrale de l'union de tous les exploité(e)s et opprimé(e)s dans la lutte pour le socialisme.

Il est vrai que, dans les pays anciennement industrialisés, la part des salarié(e)s travaillant dans la grande industrie manufacturière et dans les mines est en déclin par rapport à celle qui travaille dans le secteur dit des services.

Mais il ne faut pas généraliser de manière abusive le poids et les conséquences de ces transformations objectives et des effets subjectifs qu'elles engendrent parmi les travailleur(euse)s. Si d es bastions ouvriers traditionnels dans l'industrie automobile, la sidérurgie, les fabrications mécaniques, se sont affaiblis, ils n 'ont pas pour autant disparu. S'il y a eu déplacement massif de l'emploi vers les services, beaucoup de ceux-ci représentent en réalité des secteurs industriels (transports, télécommunications) et ont en outre fait surgir de nouvelles concentrations importantes des salarié(e)s. L'industrialisation, la mécanisation du travail, pénètrent dans des secteurs jadis moins combatifs comme la fonction publique et les banques, aptes aujourd'hui à paralyser l'économie capitaliste plus efficacement encore que les bastions ouvriers d'hier.

Plus nombreux et plus qualifié que jamais, le prolétariat mondial est fort à présent de plus d'un milliard d'êtres humains. La tendance dominante est celle d'une expansion et non d'une contraction du travail salarié de par le monde, y compris dans les pays les plus développés.

Cette croissance n'est certes pas homogène dans tous les pays, dans toutes les régions, dans tous les secteurs et dans toutes les branche s industrielles. L'essor dans tel pays ou secteur est accompagné d'un déclin relatif dans tel autre. Mais la résultante de ces mouvements va dans le sens du développement et non du déclin de la classe des salarié(e)s.

Pour aider le prolétariat à acquérir graduellement l'expérience et la conscience nécessaires pour mener à bien un combat anticapitaliste à des moments décisifs de crise pré-révolutionnaire et révolutionnaire, la démarche générale reste celle du pro gramme de transition: partir des préoccupations immédiates des masses pour les amener, à travers leur propre expérience d c lutte, à s'orienter vers le renversement du capitalisme. Elle implique aujourd'hui des revendications comme notamment le contrôle ouvrier/employé sur la production, la suppression totale du budget militaire, l'appropriation collective des banques et des grandes entreprises, un impôt confiscatoire sur les fortunes les plus grandes. De même, reste valable la politique du front unique ouvrier, notamment pour riposter aux attaques contre les libertés démocratiques, à la montée de l'extrême droite,etc .

Les revendications transitoires spécifiques doivent toujours partir des véritables préoccupations quotidiennes des masses pour qu'elles puissent se rendre compte par elles-mêmes de la nécessité de lutter pour le renversement du capitalisme et la conquête du pouvoir.

L'hétérogénéité du prolétariat existe depuis les origines du travail salarié . Elle s'accompagne de divisions qui résultent de la segmentation du marché du travail. Le développement inégal et combiné des forces productives, les desseins de la bourgeoisie et de ses Etats, se sont toujours conjugués pour la maintenir et la renforcer. Elle exprime à des degrés divers les différences de conditions et de revenus entre travailleurs(euses) de différentes origines ethniques et "raciales" entre vieux et jeune s, hommes et femmes, actifs et chômeurs, "nationaux" et immigrés,q ualifiés et non-qualifiés, manuels et intellectuels, d'un bout à l'autre de la planète.

La crise joue dans le sens d'un creusement des différences et des inégalités. L'explosion du chômage des jeunes dans de nombreux pays produit une couche sociale qui n'a jamais travail lé et se marginalise. Ensemble avec les travailleurs immigrés, les femmes expulsées du marché du travail et les défavorisés de tout genre, elle forme une couche sous-prolétarienne, à l'écart des traditions de solidarité ouvrière.

L'esquisse de ce qu'on appelle une société duale, ou plus morcelée encore dans les pays industrialisés, avec une fraction non protégée du prolétariat réduite à des conditions d 'existence précaires semblables à celles du XIXe siècle dans les métropoles et à celles du "Tiers-monde" actuel, correspond en outre à un projet délibéré du Capital visant à affaiblir durablement le mouvement ouvrier. Y opposer l'exigence d'une résorption du chômage par la réduction radicale du temps de travail sans réduction des salaires ni accélération des cadences est donc une tâche centrale du mouvement ouvrier.

Ce pendant, l'internationalisation des forces productives, l'avènement des sociétés multinationales, la troisième révolution technologique, oeuvrent, à la longue, en faveur d'une convergence graduelle des revendications, et d'une imbrication des luttes et des organisations.

Le prolétariat inclut l a masse des salariés agricoles qui sont plusieurs centaines de millions dans le monde. Leur poids social a pu décliner par rapport à la population active globale, tout en continuant à augmenter en chiffres absolus dansdes pays comme l'Inde, l'Indonésie, le Brésil, l'Egypte, le Pakistan ou le Mexique.

Par ailleurs, une frontière floue sépare et unit à la fois le prolétariat des villes et le semi-prolétariat des champs(paysans indépendants disposant de trop peu de terres pour pouvoir subsister toute l'année et obligés de s'adonner au travail salarié temporaire ), y compris les paysans pauvres. Le potentiel de mobilisation de ces classes et couches sociales s'est déjà exprimé dans des mouvements impétueux d 'occupations de terres, voire de leur mise en valeur productive. Elle s seront partie intégrante de la révolution socialiste dans les pays concernés.

De même, la masse importante des semi-prolétaires marginalisés des villes du "Tiers-monde" représente une des forces les plus explosives de rupture de l'ordre social. Elle peut servir de clientèle ou de masse de manoeuvre à des forces populistes réactionnaires. Mais, pour peu que les organisations ouvrières s'érigent en défenseurs systématiques de ces déshérités, prennent en charge leurs intérêts, stimulent et aident leur organisation autonome, le combat pour la "réforme urbaine" peut devenir, avec le combat pour la réforme agraire, une des forces motrices de la révolution permanente dans les pays sous-développés.

Dans plusieurs pays capitalistes clefs, notamment aux États-Unis, en Inde, au Mexique, en Argentine, en Egypte, en Iran, le prolétariat n'a pas encore conquis son indépendance politique de classe. Il demeure dans sa grande majorité enrégimenté politiquement par des forces populistes, voire bourgeoises traditionnelles. Dans ces pays, la lutte pour la conquête de cette indépendance politique reste la tâche primordiale.

13. Le prolétariat, ses alliés et les "nouveaux mouvements sociaux"

La paysannerie laborieuse des pays du "Tiers-monde" qui, malgré son déclin numérique graduel, compte toujours plus d'un milliard d'êtres humains, est l'alliée la plus importante du prolétariat dans sa lutte contre le règne du Capital. Ensemble avec une partie de la population marginalisée des villes et une fraction de la petite-bourgeoise, elle reste mobilisable pour des objectifs anti-impérialistes, partie intégrante sinon prioritaire des tâches d'émancipation dans ces pays.

Dans les dernières décennies se sont développés des mouvements sociaux, tels que les mouvements féministe, écologiste, pacifiste, antiraciste, de libération homosexuelle, en marge et parfois en contradiction avec le mouvement ouvrier. Ces mouvements répondent à des contradictions nouvelles ou aggravées par les conséquences de la crise, tant des sociétés capitalistes que sous domination bureaucratique. Ils expriment une prise de conscience plus profonde et plus vaste des multiples facettes de l'oppression. Ils ont réussi à intégrer à la lutte de très larges secteurs populaires.

La classe ouvrière et le mouvement ouvrier organisé doivent assumer pleinement ce combat. S'il n'en a pas été ainsi jusqu'ici, et si de ce fait, ces mouvements ont occupé le terrain de manière largement autonome, la responsabilité en incombe avant tout aux directions traditionnelles du mouvement ouvrier, et dans une moindre mesure à la faiblesse et aux retards d'intervention en la matière de la gauche révolutionnaire .

Tout en participant activement à ces mouvements et en étant conscients de leur potentiel anticapitaliste, nous luttons pour une alliance stratégique avec les luttes ouvrières et le mouvement ouvrier. En même temps, nous respectons l'autonomie légitime de ces mouvements sociaux qui ne sauraient être simplement intégrés dans le mouvement ouvrier en tant que tel.

Le prolétariat, allié à la paysannerie pauvre, est bien la seule force capable de jeter le s bases d'une société nouvelle basée sur la liberté et la solidarité universelles. Pourtant ,alors que la bourgeoisie est mieux organisée à niveau international qu'au siècle dernier, il n'existe plus d'Internationale ouvrière de masse. Cet aspect de la crise de direction politique prolétarienne pourra être surmonté grâce à l'apparition de nouvelles génération s militantes, à l'assimilation des expériences d'hier, à l'accumulation de nouvelles victoires susceptibles de redonner confiance, au rétablissement d'un dialogue trop longtemps interrompu entre les classes ouvrières des pays capitalistes et des sociétés de l'Est, à une réorganisation en profondeur du mouvement de masse et de son avant-garde politique.

14. La lutte contre l'oppression des femmes.

Le mouvement féministe répond à la plus vieille oppression que connaisse l'humanité. Il défend les intérêts de plus de la moitié des êtres humains. Il constitue une dimension essentielle de toute lutte pour l'émancipation humaine.

Les femmes constituent 53% de la population mondiale. En comptant aussi bien le travail domestique que le travail rémunéré, elles effectuent la majorité des heures du travail réalisées au niveau mondial. En revanche, quand il est rémunéré, le travail féminin est très largement sous-évalué par rapport à celui des hommes.

Les femmes sont en général exclues des responsabilités de pouvoir et de décision. Elles sont maintenues dans une position subordonnée. Elles n'ont même pas le contrôle de leur propre situation. C'est sur les femmes que retombe la responsabilité du soin des enfants et d'assurer la continuité du genre humain. Elles le font sans les moyens et les infrastructures nécessaires et, la plupart du temps, sans participation substantielle des hommes. Ceci les accule à une situation très vulnérable, économiquement et socialement, sujette à des dé gradations, à des menaces contre leur santé, aux violences et aux agressions sexistes .

Bien que leur condition varie de pays en pays et qu'un progrès significatif ait eu lieu sur le plan de la contraception et du droit à l'avortement, combiné avec une augmentation de l'emploi salarié dans les pays les plus développés , les femmes sont toujours victimes d'une surexploitation économique et d'une subordination sociale et politique dans le monde entier. Elles sont les premières frappées par tous les désastres: la sécheresse, la misère, la guerre, les mesures d'austérité économique, la dépression et le chômage. Elles constituent le secteur le plus vulnérable des masses laborieuses. Avec les enfants, elles représentent 85% de s dizaines de millions des réfugiés aujourd'hui à l'échelle de la planète.

La lutte contre l'oppression des femmes est donc une dimension fondamentale de la lutte pour l'émancipation sociale dans son ensemble. Il ne s'agit pas seulement d'une question de revendications démocratiques ou de droits civils, quelle que soit l'importance de cette dimension. L'abolition de l'oppression des femmes est nécessaire à toute lutte victorieuse pour une société meilleure.

Elle implique le droit absolu des femmes au contrôle de leur corps, au libre accès aux moyens contraceptifs, à l'avortement libre, à l'égalité complète au cours du travail comme dans la formation professionnelle et en matière de rémunération, à la liberté sexuelle, à la possibilité de vivre sans abus sexistes ni violences sexuelles et sexistes, à l'abolition de la responsabilité exclusive des femmes pour le travail domestique, au droit à un soutien matériel adéquat à la naissance et à l'entretien des enfants.

Nous soutenons et impulsons sans restriction la lutte et l'autoorganisation des femmes pour mettre fin à leur subordination. Nous reconnaissons sans réserve le droit des femmes à prendre en main leur propre destin. Cette bataille est partie prenante de la lutte pour le socialisme. Pas de libération des femmes sans socialisme, c'est-à-dire sans l'abolition de la propriété privé e à la fois capitaliste et patriarcale. Pas de socialisme véritable sans libération des femmes; tant qu'une moitié de l'humanité opprime l'autre, aucune des deux ne saurait être libre. Les révolutionnaires, femmes et hommes, luttent pour la féminisation de tous les organismes sociaux, y compris leurs propres organisations, le mouvement ouvrier lui-même et toutes ses organisations politiques et syndicales.

15. La lutte pour les droits des homosexuel(le)s

Dans différentes régions du monde, des homosexuels, hommes et femmes, se sont organisés de façon autonome en défense de leurs droits, contre la violence de l'État et de la rue, contre la répression idéologique, en réponse à l'hégémonie imposée des pratiques hétérosexistes.

Au delà de sa signification démocratique, la dynamique de la lutte de la libération des gays et des lesbiennes peut dépasser le cadre de l'égalité sexuelle. Elle constitue un défi aux préjugés les plus enracinés. Elle contribue au combat contre toutes sortes de divisions parmi les travailleurs. Elle peut représenter un défi à la famille patriarcale et à la division sexuelle du travail, qui sont les piliers de l'oppression des femmes et un élément de contrôle social, tant dans les pays capitalistes industrialisés que dans les pays dépendants ou dans les sociétés sous domination bureaucratique.

Le socialisme doit avoir comme objectif clairement formulé la libération de tous les êtres humains de la répression sexuelle qui déforme leur développement individuel. Voilà pourquoi les socialistes révolutionnaires concerné(e)s participent aux luttes des gays et des lesbiennes et tous et toutes devraient appuyer leurs revendications en faveur d'une protection légale intégrale contre toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

16. Sans socialisme, pas de lutte efficace pour la sauvegarde de l'environnement

Marx et Engels avaient perçu la tendance destructrice de l'économie capitaliste par rapport à la nature. Vers la fin de sa vie, Engels développait une vision nette du prix élevé que l'humanité risquait de payer pour une domination mécanique des forces naturelles. Mais ces germes d'une prise de conscience écologiste ne furent guère développés par le mouvement ouvrier organisé, ni par les théoriciens marxistes venant après Engels. Au contraire, le mouvement ouvrier, y compris dans sa branche révolutionnaire, s'est laissé gagner par une conception du socialisme qui écartait toute inclusion des coûts écologiques de son modèle économique.

Les socialistes d'aujourd'hui ont donc une dette réelle par rapport aux écologistes contemporains, y compris les partis dits verts, qui ont repris et élargi la conscience écologiste des socialistes du XIXe siècle. La révision de la doctrine socialiste dans ce sens est une oeuvre d'autocritique et de responsabilité indispensable.

Mais il est tout aussi indispensable de souligner la dérive gradualiste et néoréformiste des partis verts, qui découle comme celle des sociaux-démocrates, et des partis communistes staliniens et post-staliniens dans les métropoles, de leur tournant vers la Realpolitik et de leur participation à la gestion quotidienne de l'État bourgeois et de l'économie capitaliste. Cette dérive les rend de plus en plus inaptes à rester fidèles à leur credo écologiste initial. Il les rend de même inapte à comprendre que sans renversement du règne du Capital, aucune lutte d'ensemble efficace contre les menaces qui pèsent sur l'environnement naturel n'est possible.

Il est clair que l'obstacle principal pour résoudre de tels problèmes n'est pas le manque de connaissances scientifiques, mais le fait que la pollution continue à être plus profitable que d'autres choix plus écologiques. En outre, le rôle de l'impérialisme en maintenant les peuples du "Tiers-monde" dans la misère, et donc dans le besoin de solutions immédiates aux problèmes élémentaires de la survie et dans l'incapacité de tenir compte des générations futures contribue à créer des problèmes tels que la destruction des forêts tropicales, l'extermination illégale des espèces en danger ou les pratiques agricoles/horticoles qui favorisent la désertification.

Dans une société fondée sur la recherche du profit et la poursuite de l'enrichissement privé, dominée par la concurrence, l'égoïsme et la recherche de l'efficacité" économique à courte vue, les ressources sont employées sans égards pour les conséquences à long terme de leur utilisation, et a fortiori, pour les conséquences sur l'environnement. Il y aura toujours des entrepreneurs qui contourneront tout dispositif légal d'inspiration écologique, afin d'accroître leurs profits privés.

Toute législation qui cherche à réduire le coût écologique des productions courantes en faisant "payer les pollueurs" n'aura dans le meilleur des cas que des effets partiels. Dans la mesure où ces "pollueurs" sont des entreprises puissantes, elles transféreront en plus le poids de ce prix sur le dos des consommateurs.

Une lutte efficace contre la pollution, une défense systématique de l'environnement, une recherche constante de produits de substitut ion aux ressources naturelles rares, une stricte économie dans l'emploi de celles-ci, réclame donc que les décisions d'investissements et de choix des techniques de production soient arrachées aux intérêts privés et transférées à la collectivité qui les opère démocratiquement. Elle réclame également que des intérêts privés ne puissent pas interférer avec ces choix et ces priorités. Elle réclame donc l'avènement d'une société sans classes.

Mais c' est bien d'une véritable société socialiste démocratiquement régie qu'il doit s'agir et non de la simple suppression de la propriété privée des grands moyens de production e t d'échange et encore moins d'une société post-capitaliste sous la domination de la bureaucratie. L'expérience de l'ex URSS et d'autres pays à structure analogue démontre de man i ère tragique que la l'omnipotence, l'arbitraire, la gabegie, l'irresponsabilité bureaucratiques peuvent engendrer des catastrophes écologiques comparables à celles causées par le capitalisme.

L'explosion démographique dans le "Tiers-monde" est considérée par d'aucuns comme une des causes principales des menaces qui pèsent sur l'environnement. Ce raisonnement, fondé sur des extrapolations hâtives, est plus que sujet à caution.

En réalité, l'explosion démographique n'est ni fatalement durable, ni due à une quelconque fatalité éthnico-"raciale", voire " culturelle" .Elle es t fonction de la misère, ainsi que de l'absence d'une infrastructure convenable de protection sociale. Les enfants doivent remplacer cette infrastructure.

Elle est de même fonction de l'oppression des femmes, des grossesses qui leur sont imposées, de leur sous-alphabétisation, de leur éducation insuffisante dans le domaine du planning familial, de leur accès insuffisant aux moyens contraceptifs.

L'aile intégriste des Églises, avant tout le Vatican , mais pas seulement lui, portent une grave responsabilité à ce propos.

Il n'y aura pas de contrôle rationnel de la croissance démographique sans socialisme, et sans une avancée décisive vers la libération des femmes.

17. La lutte contre l'oppression nationale

La question nationale est l'une des plus explosives de la situation mondiale. Au delà même des colonies maintenues(Porto Rico, Antilles, Kanaky...), les pays du "Tiers-monde" ont connu une "décolonisation" qui n'a pas abouti à une véritable souveraineté nationale. Sous d es formes allant de la domination politico-militaire directe de l'impérialisme à la dépendance financière, technologique, culturelle, ils restent soumis à l'hégémonie impérialiste. Sous le fardeau de la dette, leur dépendance tend à s'aggraver à la suite des mesures deprivatisation-dénationalisation notamment celles imposées parle FMI. Sous prétexte de lutte contre le trafic de la drogue, l'impérialisme déploie de nouveau sa présence militaire directe en Amérique latine, et pourra le faire demain dans d'autres régions du monde. La maîtrise par les multinationales et les États impérialistes des moyens de communication audiovisuels, de la production et de la diffusion par satellite des programmes, est un moyen supplémentaire de manipulation culturelle.

Par ailleurs, le découpage colonial ou néo-colonial des États du "Tiers-monde" et la genèse spécifique de leurs élites dirigeantes, aussi bien celles nationalistes que celles mises e n place par l'impérialisme, ont débouché sur l'existence de nations morcelées et de minorités nationales ou ethniques opprimées.

Dans les métropoles impérialistes elles-mêmes, où le processus de formation des Etats-nations s'est étendu sur deux siècles sinon davantage, subsistent des nationalités opprimées(peuples indien, noir, latino et autres aux USA; Québécois, Irlandais, peuples opprimés de l'Etat espagnol, etc.). Dans certains cas, cette oppression nourrit de puissants mouvements de masse de libération nationale. Les tentatives de résoudre ces problèmes par une combinaison de mesures de répression brutale et de réformes politiques limitées se sont heurtées à la résistance des peuples concernés. L'idée selon laquelle ces questions trouveront une solution dans le cadre réaménagé de la Communauté européenne est une illusion. Il est vrai semblable au contraire que les déséquilibres économiques, sociaux, territoriaux, qui découlent de l'Acte unique, suscitent une résurgence de revendications nationales non ou m al résolues.

La crise actuelle dans l'ex URSS et en ex-Yougoslavie se traduit aussi par une explosion de revendications et de mouvements nationaux de masse. Ceux-ci expriment l'incompatibilité entre respect des droits démocratiques nationaux et dictature bureaucratique et policière, dont le chauvinisme est un élément constitutif. Les formes maintenues d'oppression nationale y éta cent et restent très variées. Les aspirations antibureaucratiques des masses ont souvent trouvé dans les revendications nationales une expression politique globale, qui conjugue des aspirations linguistiques, culturelles, économiques, écologiques, et l'exigence de la souveraineté et de l'indépendance nationales.

Les solutions politiques concrètes à la question nationale ne peuvent être définies de façon générale, mais seulement cas par cas, sur la base de principes.

Les socialistes révolutionnaires sont avant tout des internationalistes. Ils défendent toujours les intérêts communs des travailleurs et travailleuses de toutes les nationalités, sans les subordonner à des intérêts particuliers. Ils combattent le racisme, la xénophobie, le chauvinisme, la haine, le mépris et la discrimination ethniques, la répression et toute violence à l'égard d'un quelconque groupe national, "racial" ou ethnique, que elle qu'en soit la racine objective ou la motivation subjective.

Le point de départ de toute politique internationaliste véritable doit certes être la distinction radicale entre le nationalisme des opprimés et celui des oppresseurs, une opposition irréconciliable à ce dernier et une solidarité avec les lutte s des opprimés.

Cette attitude se traduit par la défense inconditionnelle du droit à l'autodétermination des nations opprimées, c'est-à-dire leur droit à être indépendantes ou à s'organiser souverainement dans un cadre fédéral ou confédéral avec d'autres nations, de manière librement consentie et librement réversible. A cette fin, il est indispensable que les travailleurs de la nation dominante manifestent leur solidarité intégrale avec la lutte de la nation opprimée, non seulement pur renforcer cette lutte, mais aussi pour affaiblir l'État de leur propre oppresseur de classe.

Il faut cependant établir une distinction entre le mouvement de masse en faveur du droit à l'auto-détermination, que nous soutenons sans conditions, et le nationalisme en tant qu'idéologie et doctrine politiques, y compris parmi les nationalités opprimées. En pratique, le nationalisme d'origine bourgeoise ou petite-bourgeoise a toujours nourri une dérive chauvine anti-démocratique à l'égard d'autres peuples. L'excuse est vite trouvée: garantir la sécurité de l'État nouvellement indépendant; garantir l'unité, l'homogénéité ou la survie de la nation; défendre ou récupérer ses "frontières naturelles" (historiques), etc. Ainsi, cette sorte de nationalisme se transforme rapidement en oppresseur et devient souvent expansionniste après avoir conquis l'indépendance étatique, comme l'exemple de la Yougoslavie l'illustre tragiquement.

De plus, les marxistes révolutionnaires s'opposent à toute idéologie nationaliste, même celle d'une nation opprimée, qui se fonde sur la croyance en la collaboration de classe, en la solidarité entre les employeurs de la nation et les salariés(ou les bureaucrates et les ouvriers) contre "l'ennemi extérieur" . Cela est contraire au besoin de solidarité internationale entre tous les travailleurs et travailleuses, sans considération de couleur, de nationalité, de sexe ou de croyance.

Ce n'est que dans les pays où la lut te pour l'indépendance nationale a été combinée avec une lutte pour le socialisme Cuba et le Nicaragua, par exemple que pareils dangers ont été évités de manière significative. L'exemple le plus clair en est la façon dont le gouvernement sandiniste, après de graves erreurs au départ dans ses rapports avec les populations indiennes de la côte Est du Nicaragua, a su corriger sa politique et chercher à établir avec elles des relations fondées sur le respect mutuel et la solidarité, en dépit des circonstances très difficiles de la guerre menée par la Contra. C'est l a preuve vivante du fait que le slogan de l'indépendance nationale, et la mobilisation des masses autour de cette question, ne sont pas nécessairement en contradiction avec les objectifs et les perspectives internationalistes.

Nous luttons pour un monde sans frontières, pour l'abolition des privilèges de toute nature, et pour l'intégration de toutes les nations dans un e démocratie socialiste mondiale, où s'épanouiront conjointement une culture universelle commune et toutes les cultures nationales particulières. Cet objectif ambitieux exige non seulement l'abolition de tous les privilèges nationaux et linguistiques, de toutes les formes de tutelle exercées sur la nation même la plus faible, mais aussure réparation des torts séculaires de l'oppression nationale ou raciale par une "discrimination positive" en faveur des minorités opprimées. Alors seulement pourra s'établir une stricte égalité entre toutes les nations.

La lutte contre l'oppression nationale s'inscrit ainsi dans la perspective d'un socialisme démocratique. Il faut que la classe ouvrière et le mouvement ouvrier se portent à la tête du combat contre l'oppression nationale, qu'ils ne se considèrent pas extérieures à cette cause, mais qu'ils s'affirment comme l'avant-garde des nations et "races" opprimées, tout en maintenant leur solidarité internationaliste avec les luttes de tous les travailleurs et travailleuses, y compris ceux de la nation qui opprime.

18. La lutte antimilitariste

Depuis les années 1960, une opposition de masse est apparue dans les pays impérialistes contre le réarmement et les agressions militaires menées par leur propre bourgeoisie. Dans les cas de l'Algérie et du Vietnam, cette opposition a joué un rôle important pour obliger l'impérialisme à arrêter le massacre. Un puissant mouvement anti-missiles s'est développé dans divers pays d'Europe au cours des années 80, constituant la plus large mobilisation de la jeunesse dans ces pays. Et c'était aussi un stimulant pour l'organisation des femmes en tant quetelles.

Pour les socialistes révolutionnaires, toute action de masse qui élève des obstacles sur la voie d'agressions ou d'interventions impérialistes à l'égard d'autres pays constitue un phénomène politique digne d'appui. Nous collaborons loyalement avec tous les courants qui agissent dans ce sens, en insistant particulièrement sur le droit à l'auto-détermination des nations agressée s.

Nous nous opposons à toute tentative impérialiste, y compris sous l'égide de l'ONU, de déterminer le sort de pays du "Tiers monde" ou d'Europe de l'Est, à l'encontre du principe du droit à l'auto-détermination de toute nationalité.

Les États-Unis, l'Europe capitaliste ou le Japon n'ont aucune légitimité pour déterminer l'avenir des pays de l'Asie, l'Afrique, l'Amérique latine, de l 'Europe de l'Est ou des îlesdu Pacifique.

Plus récemment a émergé dans la jeunesse de divers pays d'Europe, aussi qu'au Japon, un mouvement radical de rejet del'armé e bourgeoise, du service militaire, et de l'armement sous toutes ses formes. Ces mouvements frappent à la racine de l'Etatbo urge ois dont l'appareil militaire est un fondement essentiel.Ils menacent potentiellement le complexe militaro-industriel, autre support vital de l'État bourgeois. Ils méritent donc, eux aussi, un appui total d e la part des socialiste s révolutionnaires.

19. Relancer le combat internationaliste

L'internationalisation des forces productives a connu ces dernières décennies une nouvelle accélération. Les multinationales, dont moins de sept cents dominent à elles seules le marché mondial, échappent de plus en plus au contrôle de quelque gouvernement que c e soit, y compris ceux des principales puissances impérialistes. Elles transfèrent de pays en pays leurs investissements, les centres de production, de stockage et de distribution, en fonction du seul critère de la recherche du profit maximum. L'internationalisation des forces productives, du capital, des services, de la division du travail, conduit à une internationalisation croissante de la lutte de classe.

En créant il y a plus d'un siècle les premières internationales ouvrières, le mouvement ouvrier avait su prendre l'initiative. Le conservatisme et le chauvinisme des appareils bureaucratiques ont conduit à un repli, à la collaboration avec le patronat "national", en tournant le dos à une stratégie internationale efficace de riposte aux trusts.

Dans les pays impérialistes, cette régression de l'internationalisme peut revêtir la forme chauvine classique :"les" allemands, ou "les" japonais , ou "les" mexicains, ou "les" américains, exploiteurs et exploités confondus, seraient responsables du chômage qui "nous" frappe ! Elle peut aussi prendre la forme d'un alignement sur l'Europe des trusts et du patronat, celle d'un "euro-cha uvinisme" des nantis, qui n'est qu'une variante de nationalisme réactionnaire.

La seule réponse efficace à la stratégie mondiale des multinationales, c'est la solidarité internationale des travailleur s de tous les pays, contre les patrons "nationaux" aussi bien qu'étrangers. Elle passe par la coordination de l'action syndicale par delà les frontières, visant à opposer à l'aligne ment vers le bas des salaires et conditions de travail des différents pays un alignement progressif vers le haut. Loin de nuire à l'industrialisation età la création d'emplois dans le " Tiers-monde", unetelle approche substituerait au "modèle de développement" fondé sur l'exportation des bas salaires, un modèle centré sur l'élimination de la misère, l'élargissement du marché intérieur et le transfert massif vers les pays sous-développés de technologies de pointe.

L'ensemble du mouvement ouvrier devrait lutter pour l'annulation totale et immédiate de la dette des pays sous-développés et de celle des pays de l' Europe de l'Est. Ceci est une obligation de solidarité élémentaire avec les plus pauvres et les plus exploités.

L'internationalisme aujourd'hui, c'est aussi un combat contre la division de la classe ouvrière, contre ses conséquences racistes et xénophobes au coeur même des métropoles impérialistes (en particulier contre les travailleurs immigrés), e t la dynamique fascisante dont elle peut être porteuse.

Les révolutions ne s'exportent pas. Elles ne sont pas non plus l'effet de complots d'un quelconque "centre subversif international". L'impérialisme a imposé et impose des régimes d'exploitation et de dictature, de misère et d'humiliation. C'est contre ces régimes que les masses se soulèvent sans que personne ne les manipule.

En revanche, c'est la contre-révolution qui s'exporte sous couvert de pactes et alliances impérialistes ou bureaucratiques. Il n'y a pas eu de combat contre la domination du Capital (des révolutions russe, finlandaise, allemande et hongroise aux révolutions espagnole et yougoslave), contre le joug colonialiste (de la révolution chinoise et indochinoise aux guerres de libération africaines) ou contre les tyrannies néo-coloniales (Cuba, Nicaragua, Salvador, etc.) qui ne se soit heurté à l'intervention militaire des puissances impérialistes ou à leur menace pressante.

Face à cette agressivité impérialiste, une solidarité internationale massive a fait la preuve de son efficacité à des moments importants. Le mouvement ouvrier suédois a empêché la guerre de la Suède contre l'indépendance de la Norvège en1905. La révolution russe fut sauvée, en 1920, par le mouvement ouvrier britannique, empêchant l'agression militaire de sonpropre impérialisme, qui voulait intervenir aux côtés de la Pologne. La solidarité de masse a freiné l'intervention impérialiste contre Cuba et le Nicaragua, même si elle n'a pas réussi à lever le blocus infligé à ces pays.

Mais en Indochine et au Nicaragua, le prix imposé par l'intervention contre-révolutionnaire pendant de longues années a été extrêmement élevé. Elle a laissé des peuples exsangues, des économies détruites et incapable s d'assurer une amélioration rapide du niveau de vie. La solidarité militante dans ses différentes forme s, qui permettrait la victoire la plus rapide et la moins coûteuse possible, est une réponse nécessaire à l'internationalisation de la contre-révolution.

La crise sociale du capitalisme revêt plus que jamais une dimension mondiale. Aucune solution sérieuse ne peut être apporté nationalement aux questions cruciales du désarmement, de l'énergie, de la destruction de la biosphère, de la faim et des maladies dans le "Tiers-monde". On peut et on doit commencer à s'attaquer à ces fléaux dans chaque pays. Mais on ne pourra réellement les éliminer qu'à l'échelle de la planète.

Gorbatchev a abandonné le mythe réactionnaire de la possibilité de parachever la construction du socialisme dans unseul pays ou dans un seul camp en soulignant la mondialisation des grands problèmes. Plus réaliste, ce diagnostic ne vatoutefois pas jusqu' aux conclusions des marxistes, pour qui la révolution socialiste mondiale, incluant les principaux paysindustriels, peut seule ré soudre la crise de l'humanité.

Au contraire, l'acce nt mis par Gorbatchev sur l amondialisation débouche sur un autre mythe réactionnaire, selonlequel on pourrait résoudre tous les problèmes majeurs grâce à une coopération croissante avec l'impérialisme. Dans lamesure où elle exerce une pression sur les mouvements de masse dans le sens de compromis avec l'impérialisme ou de capitulationfa ce à celui-ci, cette politique contribue en fai t à perpétuerle système d'oppression et rend à la longue les catastrophes inévitables .

20. A la conquête de la dignité, de l'espoir et du bonheur des individus

Hypocritement, la bourgeoisie accuse les socialistes de vouloir sacrifier "l'individu" et la recherche du "bonheur individuel" à des utopies et à la "contrainte étatique". Sans doute la pratique des bureaucraties ouvrières, tant staliniennes et post-staliniennesque social-démocrates, permet-elle d'alimenter cette mystification. Mais son cynisme est patent.

C'est la société bourgeoise et non "l'utopie socialiste" qui étouffe le libre épanouissement de la personne humaine pour l'immense majorité des habitant(e)s de la planète, non seulement dans le "Tiers-monde" mais encore dans les pays dits riches. Les contraintes matérielles, l'inégalité sociale, le travail aliéné, la consommation téléguidée, l'absence de libre choix dans pratiquement tous les domaines de la vie sociale, sont les vecteurs de cet étouffement.

Il faut retourner contre la bourgeoisie et ses "valeurs" pourries, la défense du droit au bonheur individuel comme il faut retourner contre elle les principes universels des droits de l'homme et de la femme. Les tenants du libéralisme néo-conservateurs, dignes successeurs à ce propos des ancêtres de l'idéologie bourgeoise, sont d'ailleurs pris dans une contradiction inextricable. Chacun(e) à droit à la recherche du bonheur individuel sauf si cela contredit les "lois d'airain de l'économie de marché", c'est-à-dire la défense des intérêts du capital.

Pour nous, socialistes révolutionnaires, il n'y a pas de "lois économiques immuables", pas de "contraintes économiques d'airain", auxquelles rien ni personne ne puissent échapper. Avec le niveau actuellement atteint de la richesse matérielle, les hommes et les femmes sont capables de choisir entre diverses variantes de priorités. Ils doivent conquérir la liberté d'effectuer ces choix en fonction de leur droit à la dignité et au bonheur individuels, à l'épanouissement de la personne humaine pour tous et toutes.

Les conservateurs libéraux font l'éloge d'une société où l'inégalité sociale serait dûe à des différences de mérite individuel. En fait, cette "méritocratie" cache l'exploitation et l'oppression qui sont à la base de l'inégalité sociale. Ceux qui possèdent, s'enrichiront. Ceux qui ne possèdent rien au départ, ne possèderont rien à la fin. L'hypocrisie de la prétendue méritocratie éclate dès lors que l'on enregistre les "mérites" de la corruption et du crime dans la création et l'accumulation des grandes fortunes.

A ces mystifications nous opposons la lutte pour l'égalité sociale des chances, comme base de la possibilité pour chaque individu à conquérir le bonheur individuel. Aucune structure sociale, ni celle du despotisme du marché, ni celle de l'économie de commandement", n'ont le droit d'imposer un prétendu bonheur aux hommes et aux femmes malgré eux et contre eux.

En plus de la lutte pour la survie physique du genre humain, voilà aujourd'hui la justification principale d'être socialiste.

Le combat socialiste, c'est le combat pour une société au sein de laquelle le libre développement de tous et de toutes dépendra du libre développement de chacun et chacune. Dans un monde qui penche vers le désarroi, le scepticisme, le cynisme, la démoralisation quant à son propre avenir , la lutte pour le socialisme remise sur ses rails, c'est aussi la lutte pour la renaissance de l'espoir du bonheur .

21. Nous sommes révolutionnaires

Pour instaurer un socialisme authentique et démocratique, il n'est d'autre voie que celle de la rupture avec le capitalisme et les régimes bureaucratiques, de leur renversement par la mobilisation de masse, en un mot celle de la révolution.

Le bilan du siècle qui s'achève n'est pas seulement celui de la faillite du stalinisme. Il est tout autant celui de la faillite de la social-démocratie, de son intégration croissante aux rouages de l'appareil d'État bourgeois, de sa gestion loyale et brutale des intérêts impérialistes, de son union sacrée avec ses partenaires bourgeois. Il est enfin celui de la faillite du nationalisme bourgeois et petit-bourgeois dans les pays du "Tiers-monde", incapable d'achever l'indépendance nationale et l'émancipation sociale. Le vingtième siècle n'a pas été un siècle de progrès pacifique et graduel, mais un siècle de révolution s, de guerres et de contre-révolutions.

Les masses ne sont p as révolutionnaires en permanence. Elles ne se lancent dans des entreprises révolutionnaire que par nécessité, lorsque la situation courante devient insupportable, lorsqu'elles ne supportent plus l'insupportable, lorsqu'elles se métamorphosent et brisent le cercle de la soumission et de la subordination au cours d'une crise révolutionnaire. Ces crises sont périodiquement inévitables.

La tâche de ceux et celles qui sont conscients de cette réalité est d'aider à l'accumulation quotidienne d'expériences, au rassemblement et à l'éducation des éléments les plus combatifs, de tracer des objectifs tels qu'une crise révolutionnaire puisse déboucher sur une victoire et non sur une contre-révolution, dont les exploités et les opprimés auraient à payer le prix pendant de longues années.

Les exploiteurs et les gouvernants identifient révolution avec violence et terreur. Ils brouillent les cartes et les responsabilités, mélangeant les coûts de la révolution et ceux de la contre-révolution. Comme si leur ordre n'était pas celui d'une violence quotidienne, par la misère, la faim, le travail forcé, les guerres, infiniment plus dévastateurs au bout du compte que toute révolution. Comme si les contre-révolutions et les dictatures totalitaires (fascistes !)ou semi-fascistes sur lesquelles elles ont souvent débouché, n'avaient pas déchaîné des violences et causé des pertes incomparables.

Les bombardements américains en Indochine ont coûté beaucoup plus de morts que la révolution. Quant aux millions de morts du Goulag, ils sont à mettre au compte, non de la révolution d'Octobre, mais de la contre-révolution stalinienne.

On entend dire que l'ère des révolutions est close, qu'elles appartiennent à un âge désormais révolu, qu'elles sont deve nues impossibles face à la force de puissances impérialistes surarmées. Pourtant la lutte de libération vietnamienne est venue à bout d'une intervention américaine usant de moyens sans précédent. Pourtant la révolution cubaine a triomphé à la barbe du colosse impérialiste. Pourtant la révolution nicaraguayenne a renversé Somoza dans l'arrière-cour même du gendarme du monde.

Les prêcheurs du "moindre mal" disent encore qu'il vaut mieux se contenter du capitalisme et de ses méfaits, que de risquer des dictatures bureaucratiques totalitaires prétendument irréversibles. Hier encore, ils prétendaient que, dans les pays dits "communistes", l'Etat tentaculaire avait dévoré et paralysé à jamais la société. Pourtant, cette société s'est réveillée et s'est rebiffée. Elle a bousculé les bureaucrates et fait éclater leur carcan.

Un nouveau chapitre de l'histoire commence, dès lors que les effets positifs de l'élimination de l'écran stalinien apparaîtront:

- Dans les pays d'Europe orienta le et dans l'ex URSS vont s'écrire des pages inédites du double combat de masse pour la démocratie et contre la privatisation. De ces luttes émergera petit à petit un mouvement ouvrier politique revitalisé, fondé sur l'indépendance par rapport à l'État, le rejet de tout monopole politique, la séparation de tous les partis politiques de l'État, la représentation et l'égalité pour les femmes et les minorités nationales, l'exercice du pouvoir par des organismes démocratiquement élus, le démantèle ment des corps répressifs, l'autogestion.

- Dans les États impérialistes, la stratégie révolutionnaire combinera l'héritage de la première moitié du siècle et celui des années 60 et 70, du Mai français à la révolution portugaise : auto-organisation sociale généralisée; aspiration à l'autogestion; mouvement autonome pour l'émancipation des femmes; solidarité internationaliste, y compris avec la lutte anti-impérialiste; lutte générale pour la qualité de la vie.

- Dans les pays dépendants, les expériences cruciales, de victoires ou de défaites, ont confirmé quelle est l'alternative réelle: ou bien révolution socialiste ou bien caricature de révolution. Cette alternative n'amène pas à une sous-estimation des tâches nationales et démocratiques, ni à une confusion entre le début d'un processus révolutionnaire et son aboutissement. Elle ne suggère pas qu'il faille ignorer le problème des alliances. Mais elle implique qu'il faut éviter toute subordination des masses laborieuses à la bourgeoisie dite nationale.

Le danger de bureaucratisation n'est pas inhérent à la seule organisation en parti politique. Il plonge ses racines dans l'existence de l'État, en tant qu'appareil professionnel du pouvoir, dans les conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, dans les effets sur le mouvement ouvrier de la division sociale du travail. Les syndicats et les diverses associations ne sont pas moins exposées à ce danger que les partis. Les démagogues des médias , même "sans parti", ne sont pas les moindres bureaucrates .

Le seul moyen, non d'éliminer totalement les risques de bureaucratisation, mais de les contrecarrer et de les réduire progressivement, c'est la démocratie au sein des organisations, qui doivent s'efforcer de corriger et de combattre les inégalités sociales, sexuelles et culturelles dans leurs rangs, notamment par l'éducation et une pratique collective qui élèvent le niveau de conscience, une activité croissant e et continue des membres sans laquelle la démocratie interne reste largement fictive, et l'assimilation des leçons de l'expérience historique, notamment dans le domaine des garanties institutionnelles de la démocratie ouvrière (droit de tendance!)

22. Pour de nouveaux partis révolutionnaires, pour une Internationale révolutionnaire de masse.

L'aveu officiel des crimes de Staline par les autorités soviétiques souligne le sens du combat mené par l'Opposition de Gauche dès 1923 et la IVe Internationale dès sa fondation, en 1938, contre la dégénérescence bureaucratique du PCUS et de l'Internationale communiste. Grâce à la fermeté et au courage de ceux et de celles qui, en URSS, ont entrepris la lutte contre le stalinisme, grâce à la détermination de Léon Trotsky et de ceux qui, avec lui, ont fondé la IVe Internationale, nous pouvons aujourd'hui regarder en face, sans honte ni culpabilité, les prolétaires de l'ex Union soviétique, de Chine, et d'Europe orientale.

La construction simultanée dans les différents pays d'organisations révolutionnaires les mieux enracinées possible dans leur réalité nationale, et d'une Internationale révolutionnaire est pour nous une question de principe, qui correspond aux conditions objectives et aux besoins de l'ère impérialiste.

Pour les révolutionnaires aussi, l'existence détermine la conscience. La solidarité internationale, le soutien aux luttes, les échanges, si nécessaires et précieux soient-ils, ne suffisent pas.

C'est en construisant ensemble une Internationale avec des révolutionnaires d'autres pays et en poursuivant ensemble l'élaboration de son programme, que nous pourrons voir le monde en même temps avec les yeux de la travailleuse russe ou de l'étudiant chinois en lutte contre la bureaucratie, avec ceux du travailleur, du paysan et de la femme surexploités du "Tiers-monde", avec ceux du mineur britannique, de l'ouvrier japonais de l'automobile et de l'électronicien nord-américain.

C'est ainsi seulement que nous pourrons toujours être à la fois aux côtés du mouvement anti-bureaucratique et aux côtés des opprimés écrasés par l'impérialisme, aux côtés des travailleurs des métropoles impérialistes luttant contre le patronat et son État; que nous pourrons garder pour seul guide et boussole les intérêts généraux, sociaux et historiques du prolétariat, et non les intérêts particuliers et diplomatiques des États, des "camps", des "blocs", de quelconques gouvernements ou "partis-guides".

S'il existe aujourd'hui dans le monde des organisations luttant sincèrement et parfois héroïquement pour l'abolition de l'exploitation dans leur pays, donc des organisations révolutionnaires nationales, il n'existe malheureusement pas en dehors de la IVe Internationale de courant significatif qui mette immédiatement à l'ordre du jour la construction d'une Internationale révolutionnaire.

Les réticences d'autres courants révolutionnaires à construire une organisation internationale ont des causes profondes. La faillite de la IIe Internationale, la capitulation chauvine de ses principaux partis et dirigeants dès la déclaration de la première guerre mondiale, ont nourri l'idée que l'internationalisme ne va pas au delà des bonnes intentions et se brise pratiquement lorsque des partis de masses affrontent des situations critiques.

Après la mort de Lénine, l'expérience de l'Internationale communiste, dictant à ses sections nationales des changements d'orientation, voire de dirigeants, par des décisions venues du "centre", ont suscité une tenace et légitime défiance envers le danger d'un centralisme bureaucratique international. L'expérience tout aussi désastreuse de non séparation entre le parti et l'État et de subordination des "partis frères" aux intérêts étatiques et diplomatiques des diverses "patries du socialisme", qu'elles soient soviétique ou chinoise, ont encore renforcé un souci d'indépendance nationale chez nombre d'organisations révolutionnaires.

Enfin, le poids matériel des États bureaucratisés a pesé lourdement sur le mouvement ouvrier international, y compris sur des organisations révolutionnaires soucieuses, pour se ménager leur aide matérielle, d'éviter un affrontement politique avec ceux-là, quitte à mettre entre parenthèse l'impératif de solidarité internationaliste à l'égard des travailleurs et des peuples victimes de la bureaucratie.

Pourtant, dans un monde de plus en plus interdépendant, l'internationalisme n'est pas un simple impératif m oral, mais une nécessité stratégique et tactique immédiate. La construction d'une Internationale est une tâche qui ne saurait être remise au lendemain. La IVe Internationale est un instrument aujourd'hui irremplaçable, le seul qui existe, pour avancer sur cette voie fût-ce de manière modeste.

Nous savons que la construction de partis révolutionnaires de masse dans une série de pays, et de l'Internationale révolutionnaire de masse, ne marchent pas nécessairement du même pas. Chaque fois que, dans un pays, apparaît la possibilité de construire un parti des travailleurs, indépendant de l'Etat, de la bourgeoisie ou de la bureaucratie, et garantissant un véritable droit d e tendance, chaque fois qu'existe une organisation révolutionnaire dont nous partageons les objectifs et les voies dans la lutte pour le renversement du capitalisme, nous n'avons aucune raison de nous tenir à l'écart et de cultiver un particularisme de secte. Nous proposons au contraire le rassemblement des révolutionnaires dans la même organisation démocratique sur le plan national, pour mieux nous tourner ensemble vers les autres courants, réformistes ou populistes de gauche, et leur proposer l'unité d 'action à tous les niveaux contre la bourgeoisie et contre la bureaucratie.

Mais aussi longtemps que nous ne pouvons convaincre nos camarades ou partenaires révolutionnaires de la nécessité et de l'actualité du combat immédiat pour la construction d'une Internationale révolutionnaire, fondée sur un programme de défense des intérêts des exploité(e)s et opprimé(e)s de tous les pays, nous revendiquons le droit de poursuivre seuls ce combat au grand jour.

Un accord sur le projet d'Internationale et une pratique dans ce sens ne sont pas des préalables à la construction de partis nationaux communs avec d'autres courants, dès lors que l'accord sur les tâches et sur la pratique le permet. Mais aucune muraille de Chine ne sépare la politique nationale et la politique internationale. Dans un monde où la lutte de classes est plus que jamais international e, la première n'est pas une question d'actualité alors que la seconde serait une question de l'avenir.

Nous restons fidèles aux principes fondamentaux du Manifeste communiste: aucun intérêt particulier ne nous sépare des intérêts de l'ensemble du prolétariat. Nous ne proclamons aucun principe particulier sur lequel nous voudrions modeler le mouvement ouvrier. Nous ne nous distinguons des autres partis de la classe ouvrière que sur deux points. Dans les différentes luttes nationales des travailleurs nous faisons valoir les intérêts qui sont indépendants de la nationalité et communs à tous les salarié(e)s; et dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, nous cherchons toujours à défendre en même temps les intérêts historiques du mouvement dans son ensemble.

Nous appelons tout(e)s le s socialistes à conformer strictement leur pratique quotidienne, partout et toujours, à ce que Marx a appelé un impératif catégorique: combattre pour le renversement de toutes les conditions qui font de l'être humain un être aliéné, humilié, méprisé, quelles que soient les forces sociales responsables de ces abominations. La crise de crédibilité du socialisme ne sera surmontée qu'à cette condition.

La IVe Internationale également appelle au combat unitaire contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression de par le monde : pour la démocratie socialiste pluraliste; pour une économie autogérée et planifiée tournée vers la satisfaction des besoins par la prise en main des grands moyens de production, d'échange et de communication par les producteurs et productrices librement associé(e)s; pour le désarmement intégral et universel; pour l'émancipation des femmes et l'égalité des sexes; pour la solidarité internationale et internationaliste; pour la sauvegarde de la planète et la survie du genre humain.

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