Entre urgence et désastre, un regard écosocialiste sur la DANA et ses effets

Plus de 200 morts, des populations effondrées et des infrastructures détruites, le bilan de la DANA1 dans la Communauté valencienne nous laisse toujours plus dévasté·es au fil des jours, et la somme des négligences devient un terreau fertile pour les réponses solidaires, mais aussi pour celles à caractère réactionnaire et d’extrême droite.

C’est pourquoi, lorsque la catastrophe nous submerge, lorsque l’urgence de la réponse nous percute, le devoir des militants révolutionnaires est de combiner la solidarité populaire, pour répondre aux besoins immédiats dans les zones affectées, et l’analyse en profondeur pour articuler une compréhension de la catastrophe qui désigne les vrais responsables et propose une perspective conflictuelle.

Oui, nous voulons parler de la DANA et de ses conséquences sous l’angle du conflit2, car aucun des désastres météorologiques auxquels nous sommes confrontés ne se produit dans le vide : ce sont des symptômes de la crise écologique, de son aggravation dans la région méditerranéenne et de la vulnérabilité dues au système prédateur de production et d’occupation des sols. On ne doit pas l’oublier, malgré la violence exceptionnelle de la catastrophe. On ne peut pas, non plus, dépolitiser cette dernière.

Les turbulences climatiques en temps de crise écologique

Si nous prenons au sérieux nos analyses lorsque nous parlons de la crise écologique et de ses sauts d’échelle en termes quantitatif et qualitatif, il est essentiel de faire le lien entre les catastrophes que nous vivons actuellement. La région méditerranéenne, par ses caractéristiques physiques et géographiques, est l’une des zones les plus vulnérables : notre mer et notre air sont beaucoup plus chauds que dans d’autres régions et, dans un contexte de hausse des températures, cela aggrave les effets des pluies torrentielles et des inondations, qui deviendront plus fréquentes et plus fortes. Comme l’explique Gisela Torrents, une atmosphère plus chaude peut stocker plus de vapeur d’eau. Concrètement, pour chaque degré supplémentaire, notre air peut retenir 7 % de vapeur d’eau en plus, qui finira probablement par tomber d’un seul coup, provoquant des phénomènes similaires à ceux que nous avons observés ces jours-ci avec le passage de la DANA sur notre territoire. Cette réalité prend forme alors que la température est déjà supérieure de 1,3 °C à celle de l’ère préindustrielle, et ses conséquences sur le terrain sont aggravées par une occupation territoriale qui ne tient pas compte des caractéristiques géographiques existantes. La réalité concrète du chaos climatique auquel nous assistons dans la Communauté valencienne en témoigne.

Si nous mettons en perspective la vulnérabilité climatique dans laquelle nous place la crise écologique, nous devons comprendre que nous pouvons, certes, améliorer les systèmes d’alerte de la population, augmenter le nombre d’équipes d’urgence pour agir plus rapidement et plus efficacement ; mais nous ne pouvons pas éviter la pluie et probablement pas une grande partie des dégâts matériels qu’elle a causés si nous continuons à occuper des zones potentiellement inondables. Il faut donc mettre en avant que, comme les canicules, la perte des sols fertiles ou les incendies de sixième génération (2), les pluies torrentielles et les inondations comme celles provoquées par la DANA sont intimement liées aux intérêts du capitalisme fossile qui, guidé par le profit, fait de la barbarie climatique la norme.

Les structures économiques et de pouvoir qui imposent un mode de production basé sur la combustion constante d’énormes quantités de combustibles fossiles nous ont habitué à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, à la destruction des écosystèmes et à l’extinction des espèces. Il est essentiel d’affronter directement celleux qui soutiennent le capitalisme fossile, celleux qui profitent de sa destruction et génèrent de nouveaux marchés pour spéculer sur la transition écologique. Nous ne pouvons tolérer que le capitalisme fossile reste en excellente santé et que les gouvernements continuent à lui allouer des millions d’aides, alors que nous, les travailleuses et les travailleurs, continuons à compter nos morts face aux catastrophes qui accélèrent.

Nous devons sortir de la dépendance aux combustibles fossiles, démanteler les structures de pouvoir des entreprises et des États qui la soutiennent, opérer des transformations radicales dans la manière dont nous organisons la vie, et repenser la structure de production de manière à réduire la consommation d’énergie et les émissions de CO2. Cette feuille de route est vitale alors que vivons les turbulences climatiques de la crise écologique, et elle doit être mise en œuvre sous l’angle d’une planification démocratique, sans perdre de vue le fait que pour nous, il ne s’agit pas d’impératifs économiques ou de sécurité nationale, mais de défendre la vie, des vies dignes. Arrêter la hausse des températures et minimiser les effets de la crise climatique n’est pas seulement une question de survie mais de conflit de classe : face à l’incertitude des impacts générés par les différentes dimensions de la crise écologique, nous voulons anticiper tout ce qui est possible et rompre avec le capitalisme fossile et ses marchés en vue de cet agenda écosocialiste.

Le retour du binôme mortifère : construction et finance

Pendant des décennies, le cadre de développement du capitalisme fossile dans l’État espagnol a été configuré par une fuite en avant autour du binôme de la construction et de la finance. Nos territoires furent ainsi constitués en terrain de jeu pour les intérêts du capital, et la terre a été considérée, plutôt que comme une valeur d’usage, comme une valeur de consommation, une autre marchandise dont on peut extraire des profits. On en trouve des exemples dans chacun des booms de développement urbain qui ont eu lieu depuis les années 1970. Faire de la construction effrénée une niche commerciale rentable pour quelques-uns comme moyen de réactiver l’économie et découper le territoire a toujours été une pratique séduisante pour les gouvernements de toutes les couleurs en temps de crise.

Les propositions d’expansion d’infrastructures telles que le port de Valence ou l’aéroport d’El Prat, ainsi que la promotion d’infrastructures liées à la monoculture du tourisme telles que le Hard Rock Cafè à Tarragone, les jeux Olympiques dans les Pyrénées, la Coupe de l’America à Valence et à Barcelone, s’inscrivent dans un continuum économique spéculatif. La marchandisation de toutes les terres – qu’il s’agisse de terres agricoles comme on le voit avec la nouvelle proposition d’urbanisation à Benimaclet [district dans le nord de Valence] ou de terres inondables comme on le voit avec le PDU3 des Tres Xemeneies à Sant Adrià del Besòs et Badalone4 – est acceptée quelles qu’en soient les conséquences problématiques et l’augmentation de notre vulnérabilité.

Si nous concentrons notre attention sur la prolifération des pluies torrentielles et des inondations, il est essentiel de souligner les implications écosociales de la cécité environnementale et territoriale du binôme construction-finance lorsqu’il promeut la construction de zones inondables et lorsqu’il croit que la construction de barrières de défense artificielles élimine le danger que représente l’occupation des espaces proches des rivières et des ravins. Il en ressort une conclusion importante : les impacts de la DANA n’ont pas seulement été graves, ils ont été tragiques et dévastateurs en raison d’un modèle d’occupation territoriale incontrôlée, promu par les entreprises de construction et les fonds d’investissement, et protégé par les gouvernements. Par conséquent, pour éviter que cela ne se reproduise, nous devons revoir tout ce qui a été construit dans les zones inondables, arrêter tous les nouveaux permis de construire et déplacer les installations et les logements des zones à haut risque vers des endroits sûrs.

Actuellement, environ 2,7 millions de personnes dans l’État espagnol vivent dans des zones à haut risque d’inondation et, selon le nouveau plan de gestion des risques d’inondation du gouvernement central, ces zones inondables comprennent 45 hôpitaux, 985 centres éducatifs, 358 maisons de retraite et 9 aéroports. Le risque que ces données mettent en évidence ne doit pas nous paralyser, il doit nous encourager à repenser notre planification territoriale et à le faire en tenant compte des limites physiques, des besoins pour la reproduction quotidienne de la vie des habitants et de la reproduction des ressources qui existent aujourd’hui. Cela implique une réflexion difficile mais importante : nous ne pouvons pas nous permettre de reconstruire ce qui a été détruit dans les zones inondables, nous ne pouvons pas nous permettre de transformer l’économie des catastrophes en un nouveau marché de niche pour le binôme mortifère construction-finance.

On ne peut pas faire dépendre la sécurité des équipements publics et collectifs et des logements de nouveaux ouvrages de défenses artificielles contre les pluies torrentielles et les inondations. Comme l’affirme Ecologistas en Acción dans son communiqué, la construction de nouvelles barrières hydrauliques n’est pas une solution aux inondations : elles les aggravent. Elles génèrent un faux sentiment de sécurité, ce qui conduit à l’occupation continue d’espaces qui appartenaient à l’origine au cours de la rivière et aux ravins. Elles enserrent l’eau dans un espace réduit, en en augmentant la vitesse et la hauteur, de sorte que lorsqu’elle déborde, les conséquences sont plus graves en raison de l’intensité ; et, par ailleurs, elles n’éliminent pas les inondations, elles les déplacent seulement d’un endroit à l’autre, déplaçant les impacts d’une zone à l’autre. D’où l’importance de ne pas poser une pierre de plus dans les zones inondables, de ne pas y approuver un permis de construction de plus et que notre économie ne dépende pas de ces zones. La manière dont nous construisons et où, la manière dont nous fabriquons les structures qui nous permettent de nous déplacer, dont nous construisons nos relations avec la nature et les ressources (rivières, forêts, mers…) des lieux où nous vivons est essentielle pour repenser le modèle d’occupation territorial, en gardant à l’esprit les incertitudes de la crise écologique.

En ce sens, il est important de souligner que l’impact de la DANA ne se limite pas aux municipalités où des milliers de bénévoles consacrent du temps et des ressources pour les rendre à nouveau habitables : les tâches de nettoyage jouent également un rôle central pour éviter des conséquences de la DANA sur l’Albufera5. La stagnation des eaux usées, les produits polluants et l’accumulation de déchets constituent un risque pour la santé et la sécurité des habitants et pour l’écosystème diversifié que les zones humides abritent. Les effets potentiels sur l’Albufera peuvent menacer des espèces en voie d’extinction et modifier les fonctions écosociales de la zone. Et il n’est pas du tout anodin que le métabolisme écologique et environnemental du territoire puisse être altérée : les zones humides sont des puits capables de capturer et de stocker deux fois plus de carbone que les forêts, et leur destruction accroît la vulnérabilité de la région au changement climatique. On ne peut pas se permettre que les intérêts du binôme construction-finance aggravent les conséquences de la crise écologique, et encore moins qu’ils entravent la protection et le rétablissement environnemental des zones touchées.

Cependant, il est nécessaire d’aller plus loin pour arrêter le binôme destructeur : jusqu’en 2015, les zones inondables dans l’État espagnol n’étaient pas déclarées terrains non aménageables ; et pourtant, aujourd’hui encore, on observe que des requalifications ont lieu lorsque les intérêts du binôme de la construction et de la finance sont en jeu. C’est pourquoi nous devons non seulement inverser le modèle d’occupation des terres, mais nous devons également demander des comptes à ceux qui ont promu, exécuté, facilité et approuvé de nouvelles constructions dans les zones inondables et qui, aujourd’hui encore, défendent leurs intérêts au nom de l’économie, sans se soucier de nos vies.

De plus, dans une optique écosocialiste, la réponse à l’urgence causée par la DANA dans les zones inondables doit inclure une socialisation urgente des logements dans les zones non inondables : expropriation des logements vides et de ceux qui sont aux mains des fonds vautours6, récupération des appartements touristiques et saisonniers pour un usage résidentiel. Une réponse qui doit être combinée avec la relocalisation des installations situées dans les zones sinistrées dans des zones sûres et dans des conditions décentes – avec l’implication des habitants et des réseaux communautaires dans le processus de décision sur l’avenir de ces installations – et avec des processus d’adaptation territoriale tels que la renaturalisation des ravins, la perméabilisation des rues et des routes, l’élargissement des espaces autour des arbres dans la ville, etc.

Nier l’évidence tue, les coupes budgétaires également

L’aggravation des manifestations météorologiques de la crise écologique combinée à un modèle d’occupation territoriale aveugle aux zones inondables dessine le contexte climatique et physique des effets de la DANA, mais cela n’explique pas les raisons pour lesquelles, des semaines après la catastrophe, l’Horta Sur7 est toujours dévastée. Cela n’explique pas pourquoi les alertes n’ont pas été déclenchées dès le début lorsque l’AEMET8 a prévenu de l’arrivée de la DANA dans le País Valencià, ni le manque de coordination des services de protection – qui a entraîné un retard dans l’aide à un moment critique –, ni la saturation des centraux téléphoniques face aux inondations. Cela n’explique pas non plus pourquoi ce sont les habitants et les volontaires qui ont dû répondre à l’urgence dès le début, ni pourquoi ce sont eux qui sont en première ligne, organisant des brigades de nettoyage et s’occupant des personnes les plus touchées, comblant l’incurie des gouvernements qui ne sont pas présents et ne se sont pas préoccupés de répondre aux besoins les plus urgents. Le silence et l’inaction politiques magistrales qui ont eu lieu avant, pendant et après le passage de la DANA sont le résultat d’un choix politique conscient de la part de ceux qui gouvernent en ces temps de crise écologique à partir d’une vision réactionnaire, conservatrice et libérale.

L’absence de réponse de la Généralité valencienne9 rend explicites les conséquences matérielles sur nos corps, nos vies et nos territoires d’une vision qui ignore l’existence du changement climatique, qui le nie et en minimise l’importance jusqu’à ce que ses effets se répercutent dans l’arène politique et sociale. Ils sont le résultat d’un déni des preuves à tout prix, jusqu’à ce que les effets deviennent réels et fassent la une des journaux. La stratégie du négationnisme climatique est simple : discréditer tout ce qui entre en conflit avec la logique du profit, rejeter tout ce qui implique de donner la priorité au bien commun plutôt qu’à la liberté individuelle, et invalider tout ce qui ne met pas la propriété privée au centre de l’économie. Le négationnisme climatique incarne une perspective réactionnaire et néolibérale qui empêche l’action sur les risques et menaces réels, ainsi que sur les causes qui les provoquent, dans le but de laisser intacts les circuits de production et de reproduction du capital.

Le négationnisme tue. Sa collusion avec l’impératif économique fait passer les intérêts des entreprises avant la santé et la sécurité des travailleurs et amplifie les effets mortels d’événements tels que la DANA. Nombre de celles et ceux qui sont morts ou ont disparu ne se seraient pas trouvés au mauvais endroit au mauvais moment si les entreprises ne les avaient pas forcés à rester sur leur lieu de travail, si elles ne les avaient pas soumis au chantage de devoir vendre leur force de travail pour vivre, et au risque extrême que cela impliquait. Il est important de rappeler que l’alarme de la protection civile n’a été déclenchée qu’à 20h15, après la fin de la journée de travail pour une grande partie de la population, et deux heures après les premières inondations. Inondations qui ont provoqué l’effondrement de routes, avec des centaines de voitures bloquées qui rendent encore aujourd’hui difficile l’accès à certaines des villes les plus touchées.

Mercadona [entreprise de distribution alimentaire spécialisée dans les supermarchés de proximité], Ikea ou Glovo [entreprise de livraison de repas à domicile par application mobile] sont quelques-unes des entreprises les plus connues qui ont exposé leurs travailleur·ses à un risque extrême, mais l’administration valencienne n’a pas mieux réagi avec les travailleurs publics non essentiels. L’alerte rouge n’ayant pas été déclenchée, la vie s’est poursuivie business as usual avec l’espoir que l’épisode pluvieux ne se termine pas comme il l’a fait. Et comme l’indique la plainte déposée par la CGT de la Communauté valencienne, ces agissements ont constitué de multiples atteintes aux droits des travailleurs, et les responsables devront rendre des comptes.

Il ne suffit pas de quémander aux entreprises et aux gouvernements de ne pas mettre nos vies en danger. Il ne suffit pas d’agir en renforçant la législation sur les risques professionnels ou les plans d’urgence et les protocoles de sécurité, qui restent lettre morte s’il n’y a pas de contre-pouvoir syndical capable d’imposer son autorité et sa confiance. Notre tâche est claire : pour éviter que cet épisode sans précédent ne se répète, nous devons également avancer dans la construction d’un pouvoir syndical qui dise clairement que nous, la classe ouvrière, n’exposerons pas nos vies pour satisfaire la cupidité du capital. Ses sources de richesse sont aussi ses limites, et nous ne voulons pas accepter le chantage criminel qui consiste à choisir entre risquer d’être licencié ou mourir au milieu d’une tempête.

La négligence politique ne s’arrête cependant pas là. Le taux de létalité du négationnisme climatique dans la Communauté valencienne ne doit pas seulement être lu en termes d’effets de la domination de l’impératif économique des entreprises, mais doit être aussi mis en relation avec l’adoption de points de vue réactionnaires du PPCV10 à l’égard de la crise écologique. Ces points de vue ont nourri tant les négligences dans la réponse d’urgence que les coupes budgétaires dans les services publics essentiels.

La réduction des dépenses publiques, l’externalisation et la privatisation sont des réponses néolibérales aux crises qui nous exposent à une plus grande vulnérabilité. Leur application signifie des réductions dans l’accès aux droits fondamentaux à la vie – tels que la santé, l’éducation, l’alimentation, les traitements médicaux, le logement… – et implique une marchandisation croissante des structures du bien-être commun. Sous l’angle négationniste, ces réponses néolibérales fournissent le cadre idéal pour démanteler l’Unité d’urgence de Valence et supprimer l’Agence valencienne du changement climatique sitôt arrivé au pouvoir. Deux organismes fondamentaux en temps d’urgence climatique qui pourraient jouer un rôle clé dans la direction des politiques de prévention, d’adaptation et d’atténuation sur le territoire – s’ils avaient été dotés du budget et des compétences nécessaires –, et pour concevoir des réponses qui permettraient d’appliquer le frein d’urgence et que nous soyons moins exposés, moins vulnérables face aux DANA. Ainsi, les responsabilités politiques – et peut-être devrions-nous dire aussi pénales – de ce désastre ne commencent pas le 28 octobre : elles commencent au moment où les espaces conçus pour faire face aux défis de la crise écologique sont démantelés et leurs dépouilles fièrement exhibées.

Faire du conflit de classes une politique écosocialiste

Alors que dans les rues de Paiporta, Chiva, Catarroja, Massanassa, Algemesí et tant d’autres villes touchées par la DANA, on pleure la catastrophe en nettoyant, en soignant et en aidant là où les services d’urgence n’arrivent pas, nous avons besoin de canaliser dans le conflit la douleur et la rage qui s’accumulent. Qu’il prenne forme, comme ce fut le cas le 9 novembre, dans la mobilisation et l’organisation d’un peuple qui ne se contente pas de pleurer et qui ne se tait pas face à des vies, des temps, des maisons et des territoires qui ont été brisés et emportés.

Nous ne pouvons pas nous permettre de qualifier d’erreurs la série de décisions conscientes qui ont entraîné la mort de centaines de personnes et qui font de la barbarie climatique un commerce. Nous ne pouvons pas permettre que la catastrophe fasse taire et dépolitise le conflit de classes qui est à l’origine des effets dont souffre aujourd’hui la Communauté valencienne. Car au fil des jours et des semaines, les voix réactionnaires et d’extrême droite s’infiltrent partout avec des fake news, des discours de haine et un racisme débridé. Les vannes s’ouvrent de plus en plus à un nationalisme du désastre qui crée de plus en plus d’obstacles à la compréhension de la DANA et de ses impacts en tant que résultat de décisions politiques qui nous ont conduits à un scénario de crise écologique, et qui rend les théories du complot plus plausibles face à un désastre aussi énorme et destructeur. Comme le souligne Richard Seymour, la catastrophe écologique est alors transformée en une catastrophe créée par la malveillance humaine, et la crise climatique devient un terrain fertile pour alimenter la haine, et défendre des populismes patriotiques autoritaires qui déplacent le centre du débat vers la stigmatisation et la criminalisation de la population migrante.

Face à ce scénario, de quels outils disposons-nous pour arrêter la monstrueuse machine et proposer des réponses en rupture avec l’idée réactionnaire selon laquelle ce n’est qu’à l’intérieur des marges du capital que nous pourrons survivre aux turbulences de la crise écologique ? Conscient·es de l’ampleur du défi qui découle de ces questions, nous pensons que l’articulation d’un bloc écosocialiste populaire réunissant différents secteurs de la population – des habitants en première ligne du désastre aux réseaux de soutien mutuel – est un élément clé de la réponse : des espaces stables de travail syndical, écologiste, féministe, LGBTIQA+, antiraciste et de droit au logement, et des organisations politiques de la gauche radicale. C’est un tel bloc écosocialiste qui serait en mesure de proposer une alternative aux politiques réactionnaires et négationnistes qui nous gouvernent : un espace de rencontre qui rompt avec la fragmentation des luttes et dépasse la dimension sectorielle de la lutte contre le changement climatique, qui relie les différents aspects de la crise écologique du capital, et qui, à partir de ses diverses pratiques, façonne un modèle de gestion universelle et collective pour une vie digne, en accord avec les limites et les ressources naturelles que nous avons à notre disposition.

Les réseaux de voisinage et les espaces communautaires qui, ces jours-ci, sont au centre de la réponse aux impacts de la DANA, et les expressions de solidarité populaire avec les personnes touchées qui, ces semaines-ci, traversent les villes et les quartiers du País Valencià et de toute l’Espagne, sont et doivent être le fer de lance de la construction de ce bloc écosocialiste populaire. C’est à partir de ces espaces, de ces lieux communs, que les fondements de l’horizon écosocialiste et de classe pour lequel nous luttons émergent de la boue.

Le 12 novembre 2024

Article publié dans la revue Inprecor n°727, décembre 2024.

  • 1

    La DANA (« Depresion Aislada en Niveles Alto », ou « dépression isolée à niveau élevé » en français) est un phénomène météorologique également appelé « goutte froide ». Il s’agit du passage d’une masse d’air très chargée en humidité qui condense brutalement. Ce phénomène est dû au réchauffement des océans et des zones polaires. Voir « Comprendre le phénomène météo “DANA”, à l’origine des récentes inondations en Espagne », Antonio Ruiz de Elvira Serra, 31 octobre 2024, The Conversation

  • 2

    « Ce terme a commencé à gagner en popularité il y a environ trois ans, lorsque le nord du Chili a été dévasté par l’énorme voracité des feux de forêt. La particularité de ces incendies est une conséquence de l’interaction des conditions climatiques et atmosphériques. L’émission d’un grand volume de chaleur génère des courants d’air qui reviennent vers les flammes et multiplient leurs effets. La fréquence des incendies de sixième génération n’a cessé d’augmenter ces dernières années », OROEL. « Vous jetez six tonnes d’eau et elles s’évaporent avant de toucher les flammes », jiec.fr.

  • 3

    Un plan de mobilité urbaine durable (PDU) comprend un ensemble d’actions dont l’objectif est supposé être la mise en œuvre de formes de transports durables dans l’environnement municipal, NDLR.

  • 4

    La centrale thermique de Badalone-Sant Adrià est un édifice industriel situé en Catalogne, sur le territoire des communes de Badalone et de Sant Adrià del Besòs, au bord de la mer Méditerranée. Connue sous le surnom des Trois Cheminées de Barcelone (en catalan : Tres Xemeneies de Barcelona), elle est devenue une icône brutaliste du paysage urbain de l’Aire métropolitaine de Barcelone. La superficie qu’occupe cette centrale est de 115 000 m2. Elle appartient à l’entreprise Fecsa-Endesa.

  • 5

    L’Albufera une lagune d’eau douce en bordure de la Méditerranée, avec laquelle elle communique. Elle est considérée comme « zone humide d’importance internationale », NDT.

  • 6

    Les « fonds vautours » désignent des fonds d’investissement spécialisés dans le rachat à bas prix de titres de dettes souveraines en vue, à terme, d’entamer des procédures pour tenter d’obtenir des pays concernés le paiement de la totalité de la valeur nominale de leur dette, NDT.

  • 7

    Partie de la Province de Valence, NDT.

  • 8

    Agence d’État de météorologie de l’État espagnol, NDT.

  • 9

    Gouvernement autonome de la Communauté valencienne, NDT.

  • 10

    Parti populaire de la Communauté valencienne.

Joana Bregolat