Après la défaite de Trump, Bolsonaro a fait du Brésil un acteur clé de la droite autoritaire mondiale. Cette dernière a été affaiblie par la défaite de son principal leader et lors des élections dans divers pays européens, mais elle reste une menace dans le cadre de la crise de domination globale en cours.
C’est pourquoi beaucoup dans le monde, et en particulier des larges secteurs démocratiques, ont désormais les yeux tournés vers le Brésil. Les mobilisations anti-Bolsonaro se poursuivent, et ont fait un retour en force le 2 octobre, la probabilité d’une défaite électorale de Bolsonaro et la possibilité que Lula – désormais libéré des poursuites judiciaires – revienne au gouvernement sont aussi en hausse.
Il va sans dire que la défaite de Bolsonaro – et c’est la tâche de l’heure – peut venir de la mobilisation de rue, qui ouvrirait les conditions d’un impeachment (destitution), ou du vote pour un futur gouvernement Lula. Lula est pour l’instant en tête des sondages dans tous les scénarios et l’emporterait avec une large marge sur Bolsonaro.
Dans de larges secteurs démocratiques et de gauche, logiquement, la perspective d’un retour au pouvoir de Lula produit attente et sympathie. Parallèlement à ces attentes, les avant-gardes les plus à gauche, celles qui ont émergé dans les dernières luttes et les secteurs anticapitalistes, regardent aussi en direction du PSOL. Ces deux attitudes coexistent, bien que plus spécifiquement le PSOL est considéré, a juste titre, comme une alternative plus à gauche et que, bien que minoritaire par rapport au PT, il influence au niveau national la lutte politique contre Bolsonaro.
Le fait que les deux partis soient aujourd’hui dans l’opposition amène de nombreux secteurs à confondre le rôle que l’un et l’autre ont joué et joueront à l’avenir dans la politique nationale. Nous disons cela parce que cette unité d’objectif immédiat n’efface pas les différences qualitatives entre ces deux partis, marquées dans la décennie et demie qui s’est écoulée depuis la fondation du PSOL, lorsque les député∙es radicaux Luciana Genro, Baba et Heloisa Helena ont été exclus du PT pour avoir refusé de voter la réforme des retraites des travailleurs publics. La taille du PSOL peut être évaluée en considérant ces 200 000 adhérents, un peu comme des sympathisants. C’est le parti qui a le plus grandi, avec un bloc de 9 députés fédéraux et environ 20 000 militants actifs.
L’expulsion des radicaux fut une mesure cohérente avec la politique suivie par le PT tout au long de ses 15 années de gouvernement. Quelques mois avant les élections qui l’ont mené à la victoire en 2002, il a publié une « lettre au peuple brésilien » (en réalité une lettre aux banquiers) dans laquelle il promettait de respecter tous les accords et exigences du FMI. Et il a tenu sa promesse. C’est un gouvernement qui, dès le début, a intégré de hauts représentants de la bourgeoisie dans sa composition ministérielle. Un important producteur de soja (Rodriguez) était ministre de l’Agriculture, un ancien membre du conseil d’administration international de la banque de Boston (Mierelles) gérait la Banque centrale, un représentant de l’industrie manufacturière (Furlan) était secrétaire des industries et l’industriel du Minas Gerais, José de Alencar, était le vice-président. C’est une période au cours de laquelle le secteur bancaire (capital financier) a accumulé d’énormes bénéfices, et les grandes entreprises du bâtiment se sont transformées en multinationales brésiliennes qui ont étendu leurs tentacules en Amérique latine et en Afrique. Un seul nom résume tout cela : Odebrecht, le groupe du Bâtiment et Travaux Publics qui a dominé la réalisation de grands projets en Amérique latine et dans certains pays d’Afrique, connu pour son recours à la corruption pour remporter les appels d’offres.
Sur le plan politique, le PT s’est allié à deux partis bourgeois traditionnels qui, depuis la chute de la dictature, ont toujours été au pouvoir dans tous les gouvernements : le MDB (Mouvement démocratique brésilien) de Michel Temer, vice-président de Dilma Rousseff et connu pour avoir dirigé le coup d’État parlementaire contre elle, et le PP (Parti populaire) avec lequel il a partagé les postes et les prébendes. Au-delà de la manipulation organisée pour écarter Lula des élections de 2018 avec l’opération Lava Jato (Karcher) orchestrée par le juge Sergio Moro, la corruption a existé, et à grande échelle, à tel point que des gouverneurs alliés de toujours de Lula sont aujourd’hui inculpés ou emprisonnés.
Les vents favorables pour les pays exportateurs, dus à la hausse des prix des matières premières, et qui ont duré jusqu’en 2011-2012, ont permis aux gouvernements du PT de faire des concessions aux secteurs les plus pauvres en créant un programme d’aide d’urgence connu sous le nom de « Bolsa Familia », qui accordait environ 50 dollars par mois aux familles nécessiteuses. Il a également ouvert l’accès à l’université à des nouvelles générations de jeunes. Il s’agissait de mesures palliatives qui, lorsque la crise a commencé dans la région, ont pris fin et ont obligé le gouvernement de Dilma Rousseff à lancer une politique d’ajustement économique. Avec cela, le gouvernement a commencé à perdre son prestige dans les secteurs du mouvement de masse.
L’incapacité à prendre des mesures structurelles fondamentales a commencé à susciter la désillusion, le scepticisme et le rejet des méthodes d’une caste politique trop accommodée au pouvoir et ses avantages. Ce sont les bases objectives qui expliquent que le mouvement de masse se soit détourné du PT et que ce soit constitué un terreau propice à la recherche d’un sauveur qui se présenterait comme antisystème. C’est de là que Bolsonaro est sorti. On ne peut expliquer son émergence que par la désillusion face à la dégénérescence du PT et au gouvernement bourgeois qui en découle. Au Brésil, il s’est passé ce qui s’est passé dans de nombreux pays du monde de manière plus ou moins profonde. L’extrême droite est au pouvoir face à l’échec des gouvernements progressistes dans lesquels les travailleurs et le peuple avaient placé leurs attentes.
Un gouvernement profasciste dans un pays en crise
Les attributs du protofascisme de Bolsonaro sont bien connus et nous n’y reviendrons pas dans ce texte. Chaque jour qui passe, un fait nouveau surprend les Brésiliens et le monde entier. Ses intentions, depuis qu’il a pris le pouvoir, sont d’imposer un régime dictatorial autoritaire. Comme le disent certains de ses partisans les plus radicaux, « un gouvernement militaire présidé par Bolsonaro », pour Bolsonaro l’armée est « son » armée. Si Bolsonaro a pu avancer sur certaines de ces intentions, comme la libération des conditions d’achat d’armes pour les chasseurs et les tireurs, il n’a pas pu réaliser un saut qualitatif dans la mise en place d’un régime dictatorial.
Le gouvernement est réactionnaire, il veut changer le régime en dissolvant les deux autres pouvoirs (judiciaire et législatif), il est putschiste et il essaye d’imposer une dictature, mais n’y a pas réussi et ne semble pas aujourd’hui avoir les conditions politiques pour le faire. Après son coup d’éclat lors de deux manifestations massives le 7 septembre (Brasilia et Sao Paulo) où il a durement attaqué le Tribunal fédéral suprême (STF), il a dû faire marche arrière le lendemain. Il se trouve que le Parlement et le pouvoir judiciaire conservent leur autonomie. Au Parlement, pour éviter l’impeachment (destitution), il dépend des votes du secteur dit du Centrão formé par les partis politiques de droite, en particulier le PP (Parti populaire), qui était autrefois un soutien fondamental des gouvernements du PT. Ces députés, qui soutiennent Bolsonaro non seulement parce qu’ils sont de droite mais aussi et surtout parce qu’ils reçoivent des avantages économiques et des millions pour des projets dans leur villes, ne voient pas d’un bon œil une dictature qui mettrait fin à leurs propres privilèges. Ils le feraient s’il y avait une situation révolutionnaire dans le pays, mais nous en sommes loin.
Le gouvernement est affaibli aux yeux de la population. Selon les sondages, il conserve l’appui de 25 % de la population. Cette tendance à la baisse se confirme alors que le gouvernement ne résout rien et que les prix augmentent alors que les salaires stagnent. La crise économique se fait sentir, la crise sociale est profonde et il n’y a aucun signe d’amélioration au cours de cette année, qui précède les élections. Mais ce rejet passif généralisé ne s’est pas encore transformé en une irruption plus forte du mouvement de masse. Les actes unitaires des partis de gauche et des syndicats sont importants, mais il n’y a pas d’éruption de masse comme ce fut le cas au Chili. Le peuple semble attendre de pouvoir le battre dans l’arène électorale et la bourgeoisie, bien qu’elle ait des franges très mécontentes, n’est pas prête à jouer la carte de la destitution.
Lula non plus. Il préfère user le gouvernement convaincu que les élections le ramèneront au pouvoir. Cependant, l’imprévisibilité est l’une des marques de fabrique de Bolsonaro et marque la situation. Une nouvelle bravade pro-dictature pourrait ramener le mouvement Fora Bolsonaro (dehors Bolsonaro) directement sur le devant de la scène. Comme le dit Roberto Robaina dans sa note à la suite du rassemblement du 2 octobre « les manifestations du 2 octobre, malgré la victoire que représente le cri de Fora Bolsonaro de nouveau dans la rue après de nombreuses semaines sans actions nationales unifiées, n’ont pas été décisives. Il peut s’agir de la dernière véritable mobilisation de masse pour mettre Bolsonaro hors-jeu par la force de la rue et de la première mobilisation électorale. Ou il peut s’agir d’un rebond, d’une nouvelle tentative de la rue pour se débarasser de Bolsonaro ». Voilà l’incertitude dont nous parlons ; avec une probabilité croissante que nous soyons confrontés à la première option, puisqu’il n’y a aucun signe d’irruption du mouvement de masse. Une impasse objective, avec une pression vers une sortie électorale parce que les masses ne percent pas et que Lula parie sur cette sortie. Nous pouvons également ajouter que ce n’est pas seulement Lula qui « attend les élections », mais aussi la Centrale unique des travailleurs (CUT), ses syndicats et les structures du PT qui ont perdu le lien qu’ils avaient tissés il y a des décennies avec le mouvement de masse.
C’est dans ce cadre politique que le PSOL a tenu son septième congrès.
Unité d’action et défense d’un programme anticapitaliste
Dans ce contexte politique et la situation instable qui le caractérise, la politique défendue par le MES a été de prendre l’initiative pour destituer Bolsonaro. Ce sont les députés du MES qui, en 2019, ont été à l’avant-garde d’une première demande d’impeachment qui reçut le soutien d’intellectuels et recueilli un million de signatures, mais malheureusement pas celui du reste du PSOL ou du PT. Quelques mois après, une démarche plus collective de la gauche pour l’impeachment a été réalisée ; beaucoup de temps a été perdu par le secteur majoritaire de la direction du PSOL pour que le parti apparaisse comme une alternative. Il convient de noter que l’initiative du MES a permis au PSOL d’apparaitre à l’époque comme une avant-garde et non pas comme un fourgon de queue des partis d’opposition qui font partie du régime.
Le MES soutient que parallèlement à cette unité d’action la plus large possible autour du mot-d’ordre « Dehors Bolsonaro », il est nécessaire d’avoir un programme anticapitaliste dans l’agitation et la propagande ; c’est-à-dire qu’on ne peut pas abandonner même un instant la stratégie socialiste. Il ne s’agit pas d’intervenir dans l’agitation de masse avec l’ensemble du programme mais avec des revendications transitoires ressenties comme nécessaires par le mouvement de masse face à la crise actuelle. Établir un ensemble de revendications qui répondent aux besoins actuels et qui ne peuvent être réalisées qu’en attaquant le système capitaliste dans un secteur donné. Par exemple, il s’agit d’exiger un gel des prix, mais nous ne pouvons pas nous limiter à cela. Nous devons avancer des exigences qui montrent que la crise doit être payée par les riches, que les grandes fortunes doivent être taxées, qu’il faut mettre fin au capital financier spéculatif, que les banques doivent être nationalisées et contrôlées par les usagers afin de consacrer leurs ressources à la construction de logements populaires. Prendre le pouvoir aux banques pour qu’elles cessent de faire des profits colossaux et que l’argent aille à la construction de logements populaires, réaliser un audit de la dette publique en suspendant son paiement.
Si on participe à un rassemblement avec les réformistes et la bourgeoisie sans pouvoir y avancer les mots d’ordre montrent notre caractère de parti de classe, on finit par se diluer. Et comme les anticapitalistes (en l’occurrence le PSOL) sont un parti logiquement plus petit en dimension politique et sociale par rapport au PT, le cours actuel de la direction majoritaire fait que le PSOL finit par être connu ou reconnu uniquement comme le petit frère ou le partenaire junior du PT. Cela conduit à la déqualification totale du parti, puisqu’il n’y a qu’un pas à franchir pour penser que l’original grandeur nature est meilleur que la copie réduite.
Conformément à cette politique, le MES, avec le bloc de gauche, a pris au Congrès la défense du PSOL indépendant avec sa propre candidature au premier tour afin de défendre cette politique.
Le congrès a montré un parti vivant de deux blocs politiques
Le congrès a eu lieu les 25 et 26 septembre. Depuis cette date, les différents courants en ont déjà tiré le bilan. Ce texte est basé sur l’article écrit le jour même par Roberto Robaina, leader du MES, intitulé « PSOL : un parti nécessaire en construction ». Nous l’avons rendu plus explicatif tant pour l’avant-garde et les militants brésilien que pour l’ensemble de la gauche anticapitaliste, désireuse de connaître les résultats du Congrès et les orientations qui se dessinent.
Le Congrès s’est tenu dans la modalité virtuelle (en ligne, à distance), avec 402 délégués de tout le pays, représentant près de 51 000 membres qui se sont rendus aux urnes pour voter lors des étapes municipales du processus. Le précédent congrès, qui s’est tenu alors que le pays n’était pas encore sous le gouvernement de Bolsonaro, avait réuni 27 000 affiliés à la base en séances plénières pour débattre des différentes positions. Ce congrès n’a eu que des sessions plénières virtuelles où la participation a été faible, 5 000 affiliés. Cela montre en soi l’erreur de tenir le congrès dans les conditions de la pandémie et la demande de report formulée le Bloc de gauche et d’autres courants était justifiée. De manière contradictoire, malgré ce très faible taux de participation, 51 000 membres sont allés voter dans des urnes physiques réparties dans tout le pays.
Ces nombres montre que le parti est en pleine croissance et que son congrès aurait pu être beaucoup plus représentatif et démocratique s’il s’était tenu lorsque les conditions sanitaires permettaient des véritables séances plénières en face à face et non un simple bulletin de vote ; un vote passif qui ressemble aux pratiques des partis bourgeois et du PT. Mais la précipitation pour tenir le congrès dans ces conditions précaires est la conséquence de la politique de la majorité de la direction qui voulait à tout prix, comme nous le verrons plus loin, changer le rapport des forces et établir une nouvelle majorité des deux tiers (70 %) à la direction du parti.
Tout bilan se doit de respecter rigoureusement les faits, indépendamment des positions. Ce n’est pas le cas du bilan présenté par la majorité de la direction. Si nous prenons le site officiel du PSOL (www.psol50.com.br) nous ne verrons que les résolutions votées majoritairement, alors qu’il serait du devoir de la direction (suivant la pratique de la démocratie socialiste et du marxisme) de rapporter les votes majoritaires et minoritaires. Nous devons découvrir les résultats des votes à partir des rapports des différents courants, dont certains, comme nous le verrons, manquent d’objectivité et sont chargés de demi-vérités, dans un effort de justifier leurs positions.
Deux positions opposées : la majorité est déjà avec Lula au premier tour mais l’opposition a beaucoup de vie
Avant tout, le congrès a montré un parti vivant qui se trouve au carrefour d’une intense controverse qui n’a pas été entièrement résolue. Il y avait deux blocs qui s’opposaient au congrès. Un bloc majoritaire qui a obtenu 56 % des voix dans le vote le plus important (pour soutenir Lula au premier tour) contre 44 % du bloc anticapitaliste qui a défendu que le PSOL au premier tour devait se présenter avec « son identité » et pour cela soutenait la pré-candidature du député Glauber Braga pour défendre un programme anticapitaliste devant les masses.
Il faut dire que ceux qui ont défendu la politique de soutien à Lula dans un front de gauche n’ont pas mis de conditions programmatiques à ce soutien. Leur résolution dit : « …nous voulons un gouvernement de gauche, engagé sur les droits sociaux, l’environnement, la souveraineté nationale… ». Et elle parle « d’un arc d’alliances et de synthèse », multiplie les déclarations de principe telles que « la justice sociale » qui seraient acceptées par n’importe quel parti du centre bourgeois tel que le PSDB (Parti social-démocrate brésilien), fidèle représentant de la bourgeoisie de São Paulo, la plus forte du pays. Sur la dette publique, les salaires, le capital financier, l’imposition des grandes fortunes, pas un mot… Il y avait pourtant des secteurs qui, avant le congrès, conditionnaient la formation d’un front dirigé par Lula à mise en avant d’un programme anticapitaliste, comme l’ont écrit à plusieurs reprises les camarades du courant Résistance.
La majorité a fait du congrès un exercice de real politik. Ils savaient que c’est impossible et que c’est une tromperie de le présenter de cette façon. Parce que l’on sait que Lula ne défend en aucun cas un programme de ruptures minimales. Il est allé jusqu’à déclarer que « taxer les grandes fortunes est une erreur car elles iraient dans les paradis fiscaux ». Comme si un tiers d’entre elles n’y étaient pas déjà, selon le Crédit Suisse.
La politique du front unique a raison d’être avancée systématiquement tant qu’il existe la possibilité ; un minimum de disposition ou « attitude à l’égard du front uni », comme l’a dit Trotsky dans ses écrits sur l’Allemagne. Sans cela, c’est créer des illusions dans le mouvement de masse, donner des signaux confus qui finissent par renforcer les opportunistes. C’est comme demander des oranges au bananier.
Il est bien connu que Lula ne veut pas d’un front de gauche. Il veut un front très large qui inclut des secteurs de la droite. Il a déjà pris des mesures dans ce sens dans le Nord-Est où il a conclu des pactes avec les caciques locaux du MDB et du PP, ce dernier étant la base fondamentale du soutien de Bolsonaro. Il est à la recherche d’un vice-président bourgeois et, dans ce sens, il tâte le terrain en direction de Luiza Trajano, propriétaire de l’un des plus grands réseaux de vente d’appareils électroménagers et de vente par Internet du pays.
Le Bloc de gauche a explicitement affirmé qu’au second tour, il soutiendra le candidat qui affrontera Bolsonaro et si, comme tout l’indique, il s’agit de Lula, il investira toutes ses forces militantes pour sa victoire. Et nous avons ajouté dans nos arguments que s’il y avait un danger que le génocidaire Bolsonaro gagne au premier tour, nous soutiendrions alors la candidature de Lula, toute en défendant nos points de vue.
La position du bloc a été cohérente avec la défense du PSOL et de son identité, afin qu’il mette en avant les mots d’ordre et le programme anticapitaliste nécessaires pour affronter la crise. En outre, et bien que pour nous cela n’ait pas la même importance, le PSOL a besoin de soutenir ses candidats à la députation au niveau national ou des États par sa présence indépendante. Le PSOL doit, pour bénéficier du fond de financement public des partis politiques, dépasser le seuil de 2 % des votes au niveau national et recueillir au moins 1,5 % dans onze États de la fédération. Avec le parti dilué au premier tour dans un front, cette tâche semble être plus difficile car il n’y aura pas de candidature nationale pour agglomérer les votes en faveurs des candidats à la députation.
Bien que la résolution reporte la décision sur la candidature présidentielle à une convention électorale qui se tiendra en avril 2022, « Une conférence nationale avec les membres de la Direction nationale afin de définir les décisions finales… » cette formulation est contradictoire avec l’ensemble de la résolution, ne laissant qu’une petite fenêtre ouverte pour que, comme nous le verrons plus tard, le bloc des deux courants qui formaient la majorité au congrès maintienne sa cohésion. La réalité est que cette politique de soutien à Lula dès le premier tour est déjà en cours. Malgré le fait que certains secteurs s’appuient sur l’existence de cette conférence pour dire qu’il y a encore une discussion en cours, la résolution au bout du compte est en elle-même une définition. Lula est déjà candidat, c’est la réalité objective incontestable, et le PSOL le soutient, comme l’a dit le président du PSOL dans ses déclarations dans les deux journaux les plus importants (Folha de Sao Paulo et O Globo). Il y affirme sans ambages que le PSOL a voté pour la candidature de Lula au premier tour (1).
Participer à un gouvernement Lula ? La porte est déjà ouverte
Si pour les marxistes le vote est un problème tactique important, mais où finalement la décision ne remet pas en cause les principes, la participation à un gouvernement de conciliation des classes est une autre affaire. Nous sommes ici confrontés à un problème de principe : une rupture avec l’indépendance de classe. Entre voter tactiquement pour un moindre mal et participer à un gouvernement avec la bourgeoisie, il y a un saut qualitatif. Gérer un gouvernement avec des secteurs bourgeois est ce qui a conduit à la dégénérescence du marxisme comme cela a été le cas pour la social-démocratie française, puis pour tous les partis sociaux-démocrates. Quelque chose de similaire s’est produit avec la dégénérescence de la IIIe Internationale sous Staline : la participation à des gouvernements dits du Front populaire avec la bourgeoisie dans une grande partie des pays d’Europe.
Et au congrès, de même que la ferme intention de voter pour Lula dès le premier tour était explicitée, la porte était laissée ouverte pour entrer dans son gouvernement. En fait, le bloc majoritaire qui avait déjà décidé de voter pour Lula a refusé de voter une résolution de refus de participer à un futur gouvernement Lula, qui comptera, à n’en pas douter, la participation de la bourgeoisie, comme ce fut le cas pour les gouvernements précédents.
Les 56 % qui ont défendu et approuvé le soutien à Lula au premier tour ont présenté une motion générique qui dit « Réaffirmer la position de ne pas participer et de ne pas orienter la participation aux gouvernements des partis de droite ou ceux qui promeuvent les attaques contre les travailleurs et reproduisent l’agenda libéral/conservateur et/ou les aspects autoritaires ». La minorité – dans ce cas de 43 % (un délégué n’a pas voté avec la minorité) – a mis les points sur le « i » : « Pas de participation à un futur gouvernement Lula ». La résolution adoptée est d’une généralité abstraite, qui permet de concrétiser la participation à un gouvernement Lula. On peut dire que le gouvernement Lula ne sera pas de droite et ce sera le cas. Bien sûr, Lula ne sera pas ouvertement un gouvernement de droite, ce sera un gouvernement du centre pour utiliser une terminologie héritée de la révolution française, mais du point de vue social, ce sera un gouvernement avec la bourgeoisie et pour la bourgeoisie, qu’il soit très à droite ou moins à droite. Nous avons déjà dit que Lula et son premier gouvernement étaient « sociaux libéraux » et rien ne permet de dire qu’il y a eu un changement. La conclusion est évidente. La porte est entrouverte pour participer à un gouvernement Lula comme le souhaite la partie majoritaire du bloc qui avait la majorité au Congrès.
Une majorité en deux blocs
Mais pourquoi la majorité a-t-elle voté pour cette généralité abstraite ? C’est une définition qui a permis à l’ensemble du bloc de rester uni dans tous les votes. En fait, le bloc majoritaire est composé de deux blocs différents. D’un côté il y a le bloc PSOL-Popular, avec les courants Primavera Socialista (Printemps Socialiste) d’Ivan Valente et du président réélu Juliano Medeiros et Revolução Solidária (Révolution Solidaire) qui est le courant de Guilherme Boulos, leader du Mouvement des Travailleurs Sans Toit (MTST).
Primavera est un courant qui, bien qu’il ait ses origines dans le marxisme, a défendu un programme de « démocratie populaire », et non un programme anticapitaliste, depuis qu’il fait partie du PT. Jusqu’au « mensalão de 2005 » (un système de paiement mensuel que le gouvernement du PT accordait aux députés du centre et du centre-droit pour s’assurer de leur vote à la Chambre des députés) Força Socialista (Force Socialiste, comme le courant Primavera s’appelait alors) intégrait le gouvernement du PT et occupait des postes de haut niveau au ministère de l’Éducation. Ils dirigent maintenant la mairie de Belém, où ils n’ont élaboré aucune politique différente de celle du gouverneur, qui appartient au parti MDB de Michael Temer.
Révolution Solidaire, pour sa part, a un programme d’action de solidarité communautaire et populaire ; « la solidarité ou la mort, la solidarité doit réorienter profondément la société… » C’est bien pour un mouvement social comme le MTST, qui fait appel à la mobilisation pour les sans-toit et contre les logements précaires, mais c’est insuffisant pour un courant politique du PSOL, c’est même en deçà du programme du PT à ses origines. (Primavera a obtenu 26 % du total des délégués, et Revolução Solidaria environ 18 %).
Les autres courants qui intègrent la majorité sont regroupés dans le bloc PSOL Semente (semences) constitué de deux courants qui font partie de la IVe Internationale, Insurgencia (Insurgence) et Subverta (Subversion), et surtout du courant Resistencia (Résistance), une scission du PSTU et qui est l’organisation qui a le plus de délégués parmi les trois, qui ensemble comptent pour 12 % des délégués (le reste des votes étant dispersés sur des groupements beaucoup plus petits). Et ainsi PSOL Semente se trouve en situation de faire pencher la balance dans tous les votes. Mais dans aucun des votes, ils n’ont agi de manière indépendante au sein du Congrès, ni au sein du Comité exécutif.
Notre bloc « Pour un PSOL Indépendant » a comme force principale le MES (Mouvement de la Gauche Socialiste), une organisation sympathisante de la IVe Internationale, qui a eu 21 % des délégués), APS (Action Populaire Socialiste, 5 %), Comuna (Commune, également membre de la IVe Internationale, elle aussi proche des 5 %) et d’autres courants qui ensemble représentaient 44 % du vote politique et 43 % de la direction.
Un parti vivant
Des éléments importants ressortent de cette description du Congrès. La première conclusion est qu’il s’agit d’un parti vivant, où il n’existe pas de majorité consolidée, structurée et homogène qui dominerait aisément les structures du parti. Les 44 % signifient que la camarade du MES Mariana Riscali continue d’occuper le poste de trésorière du parti, le deuxième poste le plus important au sein de la direction du PSOL.
Une deuxième est que la force qui privilégie l’expansion des espaces démocratiques et la participation aux institutions aux détriment d’une stratégie socialiste (Primavera et Revolucão Solidaria) ne rassemble pas la majorité du PSOL.
Enfin, l’analyse montre que les organisations qui se réclament du trotskysme sont divisées. Les quatre organisations de la IVe Internationale au Brésil, qui ensemble constituent une part importante de l’organisation mondiale, ont défendu des positions différentes sur le problème crucial du gouvernement. Subverta et Insurgencia ainsi que Resistencia continuent de se réclamer du marxisme révolutionnaire. Nous croyons sincèrement que cette politique du PSOL Semente a été un compromis avec le secteur déjà décidé à intégrer le futur gouvernement PT (Primavera et Revolução Solidaria), pour surmonter les tensions internes, rester dans le bloc majoritaire et éviter l’éclatement en restant dans l’appareil de direction du PSOL.
Nous disons que nous avons affaire à un parti vivant car nous pensons que le dernier mot n’a pas encore été dit sur le problème crucial de l’intégration dans un futur gouvernement. Et parce que nous avons le grand espoir, une quasi-certitude, que PSOL Semente ne cédera pas aux pressions pour participer au gouvernement. Que ce qui s’est passé avec Democracia Socialista, l’organisation de la IVe Internationale au Brésil, qui a assumé dès 2003 des postes ministériels dans le premier gouvernement de Lula, ne se reproduira pas. A cette époque, il y avait des réserves programmatiques de sorte qu’un secteur, ainsi que la direction de la IVe Internationale, a rejeté cette politique et a rejoint la construction du PSOL. Nous espérons que la bannière de l’indépendance politique sera préservée, et que de nouveaux processus et de nouveaux moments seront vécus par le PSOL pour affirmer son identité et se maintenir comme un parti anticapitaliste et une référence pour la construction d’alternatives indépendantes et pour développer celles qui existent.
La lecture des derniers paragraphes, pourrait laisser croire que ce texte s’adresse presque exclusivement aux membres de la IVe Internationale. Ce n’est pas notre intention. L’avant-garde doit savoir le rôle qu’elle a joué et continue de jouer au Brésil, mais le PSOL ne se limite pas à elles ; c’est un vaste mouvement anticapitaliste et nous espérons qu’il continuera de l’être. C’est l’outil dont nous avons besoins et nous devons construire dans autant de pays que possible.
* Pedro Fuentes est fondateur du PSOL et dirigeant national du parti et du Mouvement de la gauche socialiste (MES). (Traduit de l’espagnol par AG).
1. https://www1.f….