Solidarité avec le soulèvement populaire au Chili

Depuis le 18 octobre, nous assistons à la plus importante montée populaire depuis l’époque de l’unité populaire au Chili (1970-1973)

Contexte A partir d’octobre, plus d'un million de manifestants descendent quotidiennement dans les rues. Les manifestants protestent contre les inégalités sociales dans le domaine de l’éducation, de la santé et des retraites. L'événement déclencheur a été l’augmentation du ticket de métro. Pour la première fois depuis la dictature, l’armée est déployées dans les rues. 22 personnes sont tuées par les forces de l'ordre, 2.000 sont blessées et 110 sont torturées. Grève générale le 12 novembre. Accord des partis pour organiser un référendum en 2020 pour une nouvelle Constitution pour remplacer celle héritée de Pinochet.

Dans un contexte mondial secoué par de grands mouvements contre le néolibéralisme, l’autoritarisme et la corruption – au cours des derniers mois des révoltes ont eu lieu en France, à Porto Rico, à Hong Kong, au Liban, en Catalogne, en Équateur, au Honduras, au Nicaragua, à Haïti, en Irak, au Soudan et en Algérie – le soulèvement populaire chilien a une importance et un symbolisme énormes.

La répression brutale du gouvernement de Piñera, basée sur l’état d’urgence et l’utilisation du couvre-feu, ainsi que la mobilisation de l’armée avec des techniques qui rappellent celles du régime de Pinochet, au lieu d’arrêter la mobilisation, l’ont nourrie et ont généralisé l’indignation dans le pays et l’isolement du gouvernement. Avec la victoire de la mobilisation populaire en Équateur, menée par les peuples indigènes quelques semaines plus tôt, le soulèvement chilien place à nouveau l’Amérique latine au premier plan de la confrontation avec le néolibéralisme.

Le rôle central de la jeunesse dans le déclenchement du mouvement

Le mouvement a commencé en réponse à l’augmentation du tarif du métro par le gouvernement de droite de Sebastián Piñera le 4 octobre. Le 7, des lycéens se sont mobilisés sous le slogan « Frauder, ne pas payer, une autre façon de lutter », en voyageant sans payer. Ce geste de rébellion a allumé la mèche après des années de mécontentement social, mais aussi de résignation et de dépression dans les secteurs populaires. « Réveillons-nous ! » est l’un des slogans les plus présents dans les mobilisations. Il est à noter que les luttes étudiantes – particulièrement celles de 2006 et 2011 – ont joué un rôle clé dans la radicalisation de la jeunesse et dans le processus moléculaire de remobilisation sociale qui est en train de naître avec le mouvement actuel. Le 14 octobre, la « fraude » dans les transports était déjà massive et les stations de métro étaient fermées. Le 18, avec les premiers affrontements avec la police et les premiers concerts de casseroles, un conflit direct a éclaté avec les forces gouvernementales. Le même jour, Piñera – qui est également l’un des hommes les plus riches du pays – en réponse aux incendies dans les stations de métro et des supermarchés, a décrété l’état d’urgence, qui limite la liberté de mouvement et de réunion, ce qui a encore enflammé les esprits. Santiago a été alors paralysé et le mouvement s’est répandu dans les régions. Puis le gouvernement a imposé un couvre-feu. Les masses n’ont pas respecté les interdictions et ont fait face à une répression sauvage.

Brutalité de la répression

Selon les données de l’Institut national des droits humains du Chili, en seulement 15 jours on a compté 1 574 blessés hospitalisés, dont 473 atteints par des tirs de grenaille, 305 par des armes à feu non identifiées, 40 par balles, 30 par armes à air comprimé et 157 avec des lésions oculaires. Cet organisme a engagé 179 actions en justice, dont 5 pour homicide et 18 pour violences sexuelles. En outre, 4 271 arrestations ont été enregistrées dans tout le pays. De plus, certaines sources ont déjà recensé 42 morts et 141 disparus lors des manifestations du 27 octobre. Ces chiffres donnent une idée de l’intensité de la répression. Malgré cela, l’indignation populaire ne fait qu’augmenter la mobilisation qui, après la grève générale des 23 et 24 octobre, a connu un autre temps fort lors de la marche du vendredi 1er novembre dernier.

Premier laboratoire de la rébellion contre le néolibéralisme

La rage, le mécontentement et l’angoisse se sont accumulées depuis de nombreuses années. Les manifestations pacifiques furent ignorées. Le Chili est le pays pionnier dans l’application du modèle néolibéral et se caractérise par l’une de ses conséquences structurelles : des inégalités sociales écrasantes résultant d’une répartition extrêmement régressive du revenu national (qui est proche de celui des pays de l’OCDE). Le pays s’est soumis au Fonds monétaire international et aux conditions imposées par les accords de libre-échange, pour une intégration subordonnée au marché mondial dans l’intérêt des entreprises transnationales. C’est un modèle qui a approfondi l’extractivisme et l’agrobusiness, avec toutes ses conséquences environnementales destructrices. Pendant des années, le Chili a été cité comme exemple du « bien que le néolibéralisme fait aux pays qui veulent se développer ». Des milliers de Latino-Américains sont venus au Chili dans l’espoir de s’intégrer au paradis de la consommation.

L’ordre néolibéral a privatisé et transformé en marchandises tous les droits sociaux et les éléments qui permettent la vie et sa reproduction : la santé, l’éducation, le logement, la sécurité sociale, la circulation routière, l’électricité, l’eau, etc. Tout est privatisé et fonctionne selon la logique du marché. Dans un contexte de salaires insuffisants, il ne reste que deux voies pour obtenir les biens nécessaires et s’intégrer en tant que consommateurs à ce marché en expansion. L’une consiste à travailler deux fois plus et l’autre, à s’endetter. Dans les deux cas, c’est une bombe à retardement.

Crise institutionnelle

La fin de la dictature militaire de Pinochet et son remplacement par des gouvernements démocratiques n’ont pas mis fin au néolibéralisme. Les gouvernements de Concertación, de Nueva Mayoría et de la droite ont maintenu l’essence du régime social, économique et constitutionnel établi pendant la dictature. Les travailleurs, les étudiants, les femmes, les retraités et les peuples autochtones se battent depuis des années pour mettre fin à cet ordre des choses. Ceux qui promettaient des changements pour être élus par les votes populaires – la Concertación et la Nueva Mayoría – ont trahi à tous les égards les espoirs qu’avait le peuple de récupérer en démocratie les droits que la dictature lui avait supprimés.

La distance entre le peuple et les partis politiques qui ont mené la transition vers la démocratie s’est accrue de jour en jour. Maintenant un abîme les sépare. Le modèle de démocratie limitée a mis en place des mécanismes qui approfondissent le divorce entre le peuple et l’élite politique.

Aujourd’hui, le peuple s’est soulevé non seulement contre le néolibéralisme et ses conséquences, mais aussi contre le régime politique inauguré en 1990, qui a maintenu inchangé la puissance des militaires pinochétistes. Aujourd’hui, la haine s’exprime pour ces trente années de démocratie destinées à enrichir les plus riches et à maintenir les gens atomisés, fragmentés, aliénés au travail, dans la consommation et dans la drogue. L’atomisation du sujet populaire est encouragée par les mécanismes juridiques et par le modèle de relations de travail également hérité de la dictature. Empêcher la réarticulation des forces qui permettent le développement de la lutte de classe est un objectif stratégique de la classe dirigeante.

La corruption et les abus pénètrent l’appareil d’État, les entreprises et les églises – catholique et protestantes. Les carabiniers, les militaires, les sénateurs, les députés ont volé des milliards de pesos, les hommes d’affaires paient les législateurs pour adopter des lois en leur faveur. Tout cela a été découvert. Des personnalités importantes dans les églises ont abusé sexuellement d’enfants. Et le pays l’a découvert. La rage et la méfiance à l’égard de toutes les institutions ne cessent de croître.

« Ce n’est pas 30 pesos, c’est 30 ans », affirme un message circulant largement sur les médias sociaux, en référence aux 30 pesos d’augmentation du prix du métro et aux 30 ans de « transition vers la démocratie », mise au point par l’accord entre les partis et le régime militaire lors du plébiscite pour réformer la Constitution de 1989. C’est précisément cette démocratie pactisée et sous tutelle des piliers de la dictature, protégés par la Constitution de Pinochet encore en vigueur dans le pays, qui est l’une des causes de l’énorme soulèvement. Et c’est ce qui explique la popularité de la revendication de l’Assemblée constituante dans de larges secteurs du mouvement populaire.

Auto-organisation populaire

Les luttes populaires de ces dernières années ont sans aucun doute préparé au Chili le substrat sur lequel de nouvelles formes d’auto-organisation populaire se développent. Le soulèvement étudiant pour le droit à l’éducation publique en 2011 (« rébellion des pingouins »), les luttes socio-environnementales anti-extractivistes, les luttes des peuples indigènes, le soulèvement des étudiants et des lycéens contre la discrimination et le harcèlement, les grèves et l’organisation des femmes du 8 mars 2018 et 2019, ont créé les conditions objectives et subjectives de l’explosion sociale actuelle, menée par les classes populaires, les femmes organisées en comités locaux et régionaux, les classes moyennes appauvries et les secteurs les plus pauvres. C’est comme si les expériences uniques dans chaque secteur en lutte ces dernières années avaient été canalisé vers un mouvement national contre un régime oppressif et exploiteur.

Piñera a destitué une grande partie de son cabinet sans que la manœuvre n’ait eu d’effet. Dans une large mesure, c’est grâce à la passivité d’un important secteur de l’opposition parlementaire qu’il parvient encore à se maintenir. Mais la radicalisation du processus et l’antagonisme croissant avec l’exécutif ouvrent des dynamiques d’auto-organisation locale et de voisinage, appelés « cabildos populares » (conseils populaires). La massivité et la durée des protestations, ainsi que la dynamique susmentionnée d’auto-organisation, semblent jeter les bases d’une recomposition du mouvement ouvrier et populaire chilien dans son ensemble, qui n’a pas encore pu se reconstruire après les terribles coups de la dictature, l’atomisation néolibérale et les relations de travail précaires qui l’accompagnent. L’intense politisation de ces journées fait grandir parmi le peuple l’idée d’une Assemblée constituante, mais qui doit être populaire. C’est-à-dire qu’elle ne se limite pas à une représentation, déconnectée de l’auto-organisation populaire, mais soit fondée sur un débat national entre travailleurs, dans les assemblées locales et de quartier, entre peuples autochtones, organisations des femmes, de jeunes et les syndicats.

Solidarité avec la lutte populaire au Chili !

En tant que Quatrième Internationale, nous voulons envoyer toute notre solidarité au mouvement populaire chilien, dénoncer la répression brutale de Piñera et exiger sa démission comme préalable à un véritable changement politique au Chili. Nous pensons que la mobilisation populaire permet une véritable rupture démocratique avec l’héritage de la dictature et qu’elle constitue un point d’appui essentiel pour bloquer et surmonter les politiques néolibérales dans le pays où elles ont été appliquées en premier.

Nous soutenons en particulier les secteurs anticapitalistes, écosocialistes et féministes du mouvement populaire chilien, qui encouragent les processus d’auto-organisation les plus avancés et qui luttent pour faire émerger un programme anticapitaliste et révolutionnaire capable d’articuler un bloc de rupture, à la fois radical et unitaire, capable de fournir des éléments d’orientation et un horizon stratégique au processus en cours.

• Solidarité avec le peuple chilien !

• Arrêt de la répression !

• À bas Piñera !

• En avant vers l’auto-organisation et le pouvoir populaire !

• Pour une Assemblée constituante populaire, basée sur l’auto-organisation du peuple !

• Tout notre soutien à la gauche anticapitaliste, écosocialiste, féministe et révolutionnaire au Chili !

8 novembre 2019

Bureau exécutif de la Quatrième Internationale

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