En 2017, la campagne Poutou a connu un petit succès : autour du débat du 5 avril, nous avons acquis une certaine notoriété dans la confrontation avec la droite et l’extrême droite, Fillon et Le Pen. Nous avons réussi à faire connaître une figure radicale, la figure d’un ouvrier qui n’accepte pas la situation faite aux classes populaires.
Cinq ans après, le retour le plus fréquent sur la campagne est que Philippe est « quelqu’un qui parle comme nous ». Son refus d’être sur la photographie avec les autres candidats lors du débat télévisé, sa capacité à s’affirmer sur des questions difficiles comme le rôle de la police et le soutien aux luttes contre les oppressions ont construit une figure identifiée dans les masses.
En 2017, nous n’avions pas réussi à aller plus loin. Il a été quasiment impossible de faire connaître à un niveau un peu large des perspectives politiques, que ce soit pour les luttes ou pour la construction d’une alternative et du parti. Le recrutement a été très limité, et la crise du NPA n’a pas été enrayée.
La troisième campagne Poutou doit se fixer des objectifs en relation avec ces points de départ, dans le contexte de la crise globale aggravée du système. La réussite des meetings des derniers jours, à Toulouse et Strasbourg en particulier, montre le potentiel d’une campagne qui commence comme celle de 2007.
La lutte des classes à un point d’équilibre instable
Ce n’est pas l’objet de ce texte de revenir sur cette dernière, avec ses dimensions écologique, sanitaire, sociale, politique. Mais il faut constater ses effets sur le plan politique et institutionnel. La France comme bien d’autres pays d’Europe, connait une crise de la représentation politique, des partis de gestion du capitalisme. Le discrédit de la droite classique, appuyée sur la bourgeoisie traditionnaliste, Les Républicains, est maintenu. La gauche institutionnelle demeure incapable de se (re)construire. L’extrême droite poursuit son renforcement, entre un le Rassemblement national de Marine Le Pen qui peine à se positionner dans la lutte pour le pouvoir mais reste un marqueur de l'extrême droite et un Zemmour qui incarne une frange franchement fasciste, avec notamment le soutien du milliardaire Bolloré et un discours populiste qui plait aux franges les plus réactionnaires, notamment dans la petite bourgeoisie et les déçus de la « dédiabolisation » de Le Pen.
La gauche, ce qui reste du mouvement ouvrier organisé, est éclatée. Le PS paie sa politique de gestion du capitalisme, ses attaques antisociales, et dans son sillage ses alliés que sont les Verts, le PCF ou Génération.s. La France insoumise se complait dans son orientation de distanciation par rapport aux traditions du mouvement ouvrier et à la gauche, ne parvient pas à réaliser le grand écart entre d’une part une stratégie institutionnelle et l’absence de démocratie interne et d’autre part une tentative de reconstruction d’un courant contestataire des politiques des partis dominants. Mais ces problèmes – et bien d’autres, notamment sur l’impérialisme, le rôle des luttes, etc. – ne suffisent pas à expliquer pourquoi il n’y a pas à ce jour d’expression politique du monde du travail et d’organisation – fût-elle réformiste – capable d’exprimer le refus des politiques gouvernementales et patronales.
La faiblesse du mouvement ouvrier et de l’expression politique, centralisée, des intérêts de la classe ouvrière, est une question clé de la situation.
Ce sont tous ces éléments – faiblesse de la gauche, maintien d’une droite fragilisée, montée de l’extrême droite – qui permettent à Macron de se maintenir aux affaires, en équilibre instable. Sa légitimité est faible mais son pouvoir est fort, en Bonaparte appuyé sur les institutions de la Ve République, qui montrent leur capacité à construire un pouvoir fort malgré une base sociale réduite.
Cette instabilité peut se résoudre de manières variées, selon les réussites de Macron, les rapports de forces sociaux et politiques, et les besoins de la bourgeoisie dans le cadre de la concurrence internationale. Les mobilisations qui existent depuis plusieurs mois à une petite échelle, dans la santé, pour les salaires, pour l’emploi, et surtout les mobilisations de masse comme celles de Guadeloupe et de Martinique, en écho aux mobilisations des Gilets jaunes ou, avec ses ambiguïtés, contre le pass sanitaire, montrent un potentiel du côté de la classe ouvrière pour changer le rapport de forces. Même si les réactions contre le pass et ses conséquences liberticides ont été très limitées et n’ont pas posé la revendication du refus des brevets et des moyens dans la santé.
Ainsi, à cette étape, c’est bien la classe dominante qui garde toutes les clés en main, qui guide le rythme des attaques antisociales. C’est le second élément clé de la situation : il y a une urgence à construire une opposition militante au gouvernement, pour lui infliger une défaite majeure. Ce point est complètement imbriqué avec la possibilité de reconstruire une expression politique du monde du travail. En effet, ce sont les classes qui sont à l’initiative, qui sont capables de se doter de représentants et d’une politique, qui gagnent des combats, qui se renforcent. Macron constitue la représentation politique dominante, majoritaire, de la bourgeoisie, tandis que le prolétariat est orphelin d’une direction politique et d’une unité d’action voire, tout court, d’actions.
Les prémices d’une recomposition à gauche
La situation est bloquée à gauche : les partis les plus liés aux institutions – PS, EELV et PCF – n’ont d’autre perspectives que de tenter de se positionner comme un recours raisonnable face à la droite et à Macron. Mais on voit mal comment cela pourrait fonctionner, puisqu’ils semblent incapables de donner d’autre espoir que de faire fonctionner un système dans lequel la population ne croit plus.
La France insoumise, elle, tente de formuler la possibilité d’une alternative radicale au personnel politique et aux orientations données. Mais le système Mélenchon atteint sa limite : le discours ambigu vis-à-vis d’un certain nombre de marqueurs pour les secteurs politisés des classes populaires (sur l’immigration, sur le clivage gauche-droite…) n’enthousiasme pas, tandis que la posture d’homme providentiel a été mise en échec dans les deux élections précédentes, d’autant qu’elle se formule d’une façon sectaire vis-à-vis du reste du mouvement ouvrier, comme un refus d’unir la gauche et de soutenir concrètement le mouvement syndical et associatif. Des tentatives comme la « primaire populaire » illustre le ras-le-bol d’une partie du « peuple de gauche » vis-à-vis de sa division.
Il semble donc qu’une frange significative du monde du travail cherche quelque chose de neuf, qui réponde à la crise globale du système et à l’usure des partis institutionnels, quelque chose qui suscite un espoir à gauche.
Ces espoirs sont pleins d’ambiguïté. Bien des jeunes et des salariéEs sont nostalgiques d’une gauche qui apporte le progrès social, qui soit proche d’elles et eux, qui ne trahit pas ses engagements, mais qui s’inscrive dans une démarche à l’intérieur des institutions, du dialogue social, de la cohésion nationale. Il n’y a pas de conscience révolutionnaire et de projet alternatif au capitalisme conscient dans cette aspiration. Mais, d’un autre côté, qui, à part notre courant, peut représenter une telle gauche, honnête, combative, unitaire et radicale, qui ne renie aucun de ses engagements tant sur les questions de rapport capital-travail que sur les questions internationalistes et démocratiques, particulièrement dans la lutte contre les oppressions ? Certainement pas les organisations d’extrême gauche que sont Lutte ouvrière, le POID ou Révolution permanente, puisque ces organisations sont caractérisées par leur sectarisme vis-à-vis des autres courants du mouvement ouvrier et refusent ainsi de discuter des problèmes qui se posent pour celles et ceux qui veulent le reconstruire, sincèrement, sans avoir de stratégie pour le faire.
Il est donc de notre responsabilité de créer un pont entre cette aspiration à un projet politique en rupture avec les politiques menées et notre projet révolutionnaire.
Il ne fait aucun doute qu’à la suite de la présidentielle, de nouveaux problèmes se poseront. Le PS ne pourra pas continuer de la même manière, La France insoumise sera percutée de plein fouet par un nouvel échec de Mélenchon. Des recompositions auront lieu au sein de la gauche institutionnelle, posant à des millions de militantEs, plus que jamais sans perspective politique claire, la question du parti. Dans cette nouvelle période, nous devrons tenter de peser en posant les problèmes décisifs : la nécessité de reconstruire un mouvement ouvrier, uni, capable de peser sur la scène politique, et construire un parti dont la raison d’être est d’avoir une stratégie pour renverser le capitalisme, un projet révolutionnaire, et pour construire une société socialiste.
Au fond, le sens de la candidature Poutou est de poser la question du parti pour les exploités, de sa construction en opposition aux politiciens bourgeois, de sa stratégie dans une période de crise profonde du capitalisme et de la conscience de classe. Poser la question, sans être capables à cette étape de la résoudre. Voter pour Philippe Poutou, c’est affirmer son soutien à ce projet.
Quatre points politiques à articuler
Il découle de ces enjeux quelques points saillants qui font le socle de notre campagne :
1/ Nous sommes partie prenante de la (re)construction du mouvement ouvrier, nous voulons dégager Macron et tous ceux qui mènent ce type de politique.
2/ L’extrême droite est notre pire ennemi, il faut la combattre, la faire taire, et que les classes populaires et touTEs celles et ceux qui croient aux droits démocratiques s’unissent contre elle, sans illusions dans les solutions institutionnelles.
3/ Nous voulons renverser le capitalisme, ce système en crise profonde et gouverné par la recherche des profits, pour construire une autre société. Nous voulons construire un parti pour préparer cet affrontement, cette révolution sociale. Nous voulons organiser dès maintenant touTEs celles et ceux qui veulent travailler à ce projet.
4/ Nous voulons être utiles dès maintenant pour celles et ceux qui ne veulent pas attendre la révolution, en mettant en avant des revendications d’urgence en rupture avec la logique capitaliste.
Quelques points programmatiques clés pour la période
1/ Face à la menace pour l’humanité, une écologie révolutionnaire
Le rapport du GIEC, la faillite des COP et la pandémie montrent qu’il n’y a pas d’évolution dans les politiques menées au niveau mondiale et que l’humanité va à la catastrophe. La réponse de Macron est la promotion du nucléaire, c’est-à-dire la menace d’une dévastation du monde encore plus rapide.
Notre solution combine la planification, sous contrôle des salariéEs, dans tous les domaines, particulièrement de l’énergie, qui aboutira à une sobriété énergétique et productive, la sortie des énergies fossiles, et des investissements massifs dans les services publics, que ce soit dans les transports, la santé, la recherche, l’éducation…
2/ Face au développement de la pauvreté, reprendre l’argent volé par le patronat
Des millions de personnes travaillent de plus en plus et de plus en plus longtemps tandis que des millions d’autres tombent dans la pauvreté ou la précarité. Il faut augmenter les salaires, de 400 euros, avec un revenu minimum de 1800 euros, partager le temps de travail jusqu’à supprimer le chômage, interdire les licenciements et les suppressions de postes, donner une allocation d’autonomie à tous les jeunes pour étudier, se former ou rechercher un premier emploi. Face à la crise, il faut réquisitionner les banques et annuler la dette, arrêter tous les cadeaux aux grandes entreprises (exonérations, CECI…) et la fraude fiscale.
3/ Face à la crise démocratique, à la répression et aux oppressions
La démocratie bourgeoise est en crise. La montée de l’extrême droite et des politiques autoritaires sont un support pour surexploiter, discipliner, opprimer. Les courants réactionnaires de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie s’organisent. De notre côté aussi, il faut nous organiser, unifier touTEs les oppriméEs et les exploitéEs pour leur faire face, pour un monde égalitaire et solidaire.
Nous revendiquons l’égalité entre touTEs et tous, contre les discriminations, au travail, que ce soient pour les salaires des femmes ou le droit au travail des étrangerEs, pour la liberté de circulation et d’installation. Nous voulons la liberté pour les peuples opprimés, que ce soient les pays dominés ou les colonies françaises, pour lesquelles nous revendiquons le droit à l’autodétermination, des services publics et des salaires décents, l’arrêt de la répression. Nous voulons dissoudre les institutions antidémocratiques de la Ve République, que ce soit la fonction présidentielle, le Sénat ou sa police répressive, nous voulons limiter le salaire des éluEs au salaire moyen, rendre toutes les fonctions révocables.
Une démarche transitoire, un parti pour la faire vivre
Dans une période électorale, beaucoup de salariéEs et de jeunes se tournent vers nous parce qu’ils et elles cherchent une solution et pensent que des militantEs honnêtes comme nous peuvent en être acteurs. Des personnes qui ne croient pas nécessairement dans notre projet de société mais ne supportent plus le capitalisme.
À toutes ces personnes, nous proposons de militer ensemble, dès maintenant, pour défendre des mots d’ordre de rupture avec les politiques actuelles, pour œuvrer à la reconstruction d’un mouvement ouvrier fort, unitaire, militant, en lien avec les luttes de ces dernières années, des Gilets jaunes, des grèves pour les retraites, les salaires et l’emploi, des luttes féministes et LGBTI, des mobilisations antiracistes et contre les violences policières.
Notre position, en tant que petite organisation, peut paradoxalement jouer un rôle positif : nous ne vendons pas du rêve, voter Philippe Poutou ne résoudra pas les problèmes, il faut un rapport de forces. Militer avec nous, défendre cette candidature, faire le score le plus fort possible, être présentEs aux élections législatives pour construire un maillage national et des collectifs militants sur tout le territoire, cela contribue à faire avancer nos idées, à préparer les batailles devant nous qui changeront le rapport de forces entre les classes. Nous sommes une petite organisation au regard des enjeux de la période, il faut construire un parti de masse, nous proposons à toutes celles et ceux qui se reconnaissent globalement dans notre projet de nous rejoindre pour y contribuer.
Le parti que nous voulons est la réalisation concrète de ce projet politique. Aussi dans cette campagne, nous voulons mettre en place des comités larges de soutien à la campagne Poutou, qui auront pour objectif de militer ensemble avec les milliers de personnes qui se reconnaissent dans les idées générales de la campagne. Nous constatons touTEs quand nous diffusons des tracts qu’un engouement significatif s’exprime dans les quartiers populaires pour la campagne Poutou, à nous de le transformer en force militante. Le meeting à l’université de Toulouse Le Mirail, qui a regroupé plus de 500 jeunes et lors duquel une centaine ont pris contact, montre le potentiel existant, la possibilité de réaliser une expérience d’action politique avec des milliers de salariéEs, de jeunes, de précaires. À la fin de cette campagne, une bonne partie pourra être intéressée par une action militante régulière, par la construction du parti, tandis que d’autres ne le souhaiteront pas mais seront fortEs d’une expérience militante qui concourra à reconstruire le mouvement ouvrier sur la longue durée.
Antoine Larrache est membre de la direction du NPA
Source L'Anticapitaliste la revue