Vers une nouvelle approche géopolitique

Pour les élites latino-américaines et occidentales, le Venezuela est une nuisance. Et cela parce qu’il a osé proposer une voie différente du capitalisme néolibéral à un moment où le triomphe de la pensée unique était annoncé. Les élites – locales et étrangères – se sont donné beaucoup de mal pour détruire une telle initiative.

La violence politique parrainée par l’étranger a ajouté à la vie démocratique un élément inconnu dans ce pays au cours des dernières décennies. Le plus grand espoir qui ressort des négociations au Mexique est que la violence en tant qu’option politique soit supprimée, que les institutions démocratiques reviennent à la normale et que les sanctions économiques criminelles – qui n’ont servi qu’à faire souffrir le peuple, à pousser le gouvernement dans les pires de ses tendances et à alimenter le discours sur l’échec de la voie socialiste – soient levées. Malheureusement, l’ordre du jour au Mexique n’inclut pas le besoin urgent d’améliorer les conditions de vie et de salaire de ceux qui vivent de leur travail.

Après l’échec des négociations d’Oslo, un nouveau cycle de pourparlers est en cours de réouverture sous les auspices des gouvernements mexicain et norvégien et avec le soutien de la Russie. Il ne s’agit pas d’une continuation, mais d’un nouveau chapitre. Le gouvernement vénézuélien rencontre au Musée d’anthropologie l’une des neuf factions de l’opposition vénézuélienne, étroitement liée au gouvernement américain. Un accord pourrait ouvrir les vannes d’un retour à une politique centrée sur la population, afin que la politique des politiciens ne domine plus la vie quotidienne des citoyens.

Politique, économie et géopolitique

La majorité des analyses surestiment la dimension politique nationale, sans prendre en compte les dynamiques économiques et géopolitiques associées à ce processus. En conséquence, ces analyses restent bloquées dans la bipolarité de l’accord ou du désaccord et ont du mal à comprendre ce qui se passe en tant que processus.

La tension politique actuelle au Venezuela est le résultat de l’incapacité à résoudre au niveau politique la crise économique qui a éclaté il y a près de 40 ans (1983), la crise sociale (Caracazo, 1989) et la crise géopolitique générée dans les années 1980 (mondialisation et internationalisation du capital). Les alternatives systémiques (Caldera, Chiripero), anti-establishment (Causa R) et anti-système (MBR 200) se sont avérées incapables de trouver une solution à cette situation dans les années 1990.

Le triomphe électoral de Chávez (1998), résultat d’une large alliance, s’est construit autour de la possibilité de résoudre la crise. Au cours des trois premières années de son mandat, Chávez a mis l’accent sur l’aspect social de la crise, ayant moins de possibilités dans le domaine économique et de sérieuses difficultés dans le domaine géopolitique.

Le secteur de la bourgeoisie importatrice qui avait accompagné Chávez s’est senti menacé par les lois sur la propriété foncière, le contrôle des revenus pétroliers et la redéfinition du rôle des institutions étatiques. Le coup d’État de 2002, l’insurrection populaire pour ramener Chávez au pouvoir et la rupture avec le secteur bourgeois qui avait accompagné Chávez ont créé une situation nouvelle : une rupture de la chaîne État-bourgeoisie, essentielle dans un pays capitaliste où une part très importante de ce qui est consommé est importée.

Il s’est alors produit un phénomène inconnu depuis la période de Juan Vicente Gómez (au début du XXe siècle) : l’État a accordé des licences d’importation à des secteurs proches de la bureaucratie gouvernementale pour tenter de faire face aux problèmes d’approvisionnement, car celui-ci était menacé par la rupture produite par le coup d’État d’avril 2002. Cela a généré un nouveau circuit d’accumulation de profits et des formes perverses de relations avec l’État qui, dans les années suivantes, ont façonné une nouvelle bourgeoisie, désormais associée au processus de transformation bolivarien.

Néanmoins, certains groupes bourgeois de la IVe République – comme les groupes de Mendoza ou de Cisneros – ont continué à recevoir des encouragements et des soutiens face à l’impossibilité pour la nouvelle bourgeoisie importatrice de produire des biens dans le pays même ou à la suite d’échanges d’informations pour l’accès à une part de l’exploitation pétrolière. Ajoutons que cela a entraîné des contradictions entre le cours socialiste formulé fin 2004 et les castes bourgeoises (de la IVe et de la Ve République), que nous ne pouvons développer ici.

Ce nouvel élément est venu s’ajouter à la crise qui a débuté dans les années 1980 : les contradictions (2002-2012) entre la bourgeoisie de la IVe et celle de la Ve République, pour qui la lutte pour le pouvoir a une motivation fondamentalement économique – qui prend des accents idéologiques seulement pour l’expression publique. Cela est passé pratiquement inaperçu pour la majorité des secteurs populaires, qui pariaient sur un approfondissement socialiste du processus et pour lesquels Chávez tentait de construire un réseau institutionnel et de soutien qui menaçait de plus en plus l’ancienne et la nouvelle bourgeoisie.

Alors que Chávez encourageait des politiques pour inverser la dette sociale accumulée, il avançait en même temps une insertion géopolitique du pays qui était non seulement anti-impérialiste (fondamentalement anti-étatsunienne), mais qui renouvelait aussi la logique des non-alignés à travers des alliances avec des gouvernements progressistes, consolidant une alliance stratégique avec Cuba. Cela représentait une rupture avec la relation privilégiée et de dépendance entre les États-Unis et le Venezuela au XXe siècle. Cela a un impact sur les négociations au Mexique aujourd’hui, impact qui ne doit pas être ignoré.

Chávez n’arbitrait pas la crise ouverte dans les années 1980, ni n’assumait un rôle de médiateur entre les factions bourgeoises, il a plutôt opté pour une radicalisation du processus par le bas, permettant l’émergence d’une nouvelle bourgeoisie dans le cadre d’une stratégie économique de durabilité. Sa maladie et sa mort sont survenues alors que le « jeu » était encore ouvert et battait son plein, qu’aucune faction bourgeoise ne s’était imposée et que la réalité sociale n’avait pas laissé le temps pour qu’un nouveau rapport de forces entre les classes s’installe. Les derniers messages de Chávez appelant à un « coup de barre » et à « la commune ou rien » réaffirmaient que son pari était celui d’une issue s’appuyant sur le camp populaire.

Ainsi, l’arrivée au pouvoir de Maduro s’est faite de manière pratiquement inattendue, au milieu d’une chute brutale des prix du pétrole qui a mis en échec le modèle rentier d’accumulation et de formation de la bourgeoisie basé sur l’appropriation des devises étrangères générées par l’industrie pétrolière. Les acteurs politiques associés à la vieille bourgeoisie ont perçu les implications de cette baisse de revenus comme une possibilité de générer une rupture qui leur permettrait de reprendre le contrôle du gouvernement.

Entre 2014 et 2017, on a vu diverses activités insurrectionnelles, entrecoupées de soulèvements et de mobilisations, qui n’ont toutefois pas réussi à déloger Maduro du pouvoir. Les gouvernements Trump, Duque et Piñera sont à l’origine du plus grand danger d’invasion de la patrie et de début d’une guerre civile ; les incidents de Cúcuta de 2019 ont été le point culminant d’une escalade de la violence.

Si une chose est certaine, c’est qu’il est impossible de construire une politique centrée sur le peuple au milieu d’une spirale de violence et de polarisation politique. La crise migratoire, surtout de 2014 à 2021, a affecté l’opposition beaucoup plus en termes politiques, en lui faisant perdre une partie importante de sa capacité de mobilisation. Cependant, il est faux de dire que « tous ceux qui partent sont des opposants » ; la plupart sont des citoyens qui cherchent à survivre aux ravages économiques de la crise.

Maduro, homme fort de la politique vénézuélienne

Maduro, contrairement à Chávez, assume le rôle d’arbitre et de médiateur entre les factions bourgeoises pour stabiliser la situation politique, mais il travaille également sur des scénarios et des modèles d’articulation du capital national et transnational. Ceux qui considèrent Maduro comme un figurant se trompent. Maduro n’est peut-être pas un homme instruit, mais c’est un politicien avisé : il a imposé la logique de la bureaucratie syndicale à la politique vénézuélienne.

Depuis son arrivée au pouvoir, pas à pas, il est devenu l’homme fort qui repousse toute influence :

1. En affaiblissant et en fragmentant l’opposition par une combinaison de la « carotte » (accords avec des fractions des partis, soutien aux dissidents, judiciarisation de la politique) et du « bâton » (interdiction d’organisations, disqualification et emprisonnement des opposants réfractaires à la négociation).

2. En éloignant les figures de référence morale du chavisme de la structure du parti et du gouvernement – au point de conduire certains d’entre eux à la terrible erreur de rencontrer le leader de l’opposition qui menait une tentative d’invasion du pays – vidant ainsi de sa substance la possibilité de construire une référence éthique chaviste traditionnelle avec une réelle option politique.

3. En coupant de son entourage l’architecte financier de la bourgeoisie bolivarienne (et en le forçant à s’exiler en Europe), écartant ainsi son influence et consolidant son propre leadership dans ce secteur.

4. En réduisant progressivement le nombre d’autres dirigeants du parti au pouvoir, qui sont passés du statut d’aspirants à la relève à celui de jokers (les récentes élections internes du PSUV l’ont démontré, réduisant les véritables sources de pouvoir au sein du gouvernement à quatre : Maduro, Delcy et Jorge Rodríguez, Diosdado).

5. En établissant un nouveau modèle de contrôle militaire dans les forces armées par le renforcement du leadership d’un militaire non charismatique mais compétent, une sorte de Fouché de la structure armée.

6. En devenant « la main qui berce l’enfant est celle qui domine le monde » de l’opposition : toute l’opposition gravite désormais autour de ce que dit ou fait Maduro, sans pratiquement aucune capacité d’initiative.

7. En développant, avec une impunité presque totale, un modèle d’autoritarisme contre ceux qui protestent contre les terribles effets de la crise économique, en particulier les dirigeants et les secteurs de base de la classe ouvrière.

8. En utilisant à son avantage le blocus américain criminel contre le Venezuela, comme justification des politiques d’arbitrage inter-bourgeois qu’il tente de développer.

9. En construisant un récit qui se présente comme une continuation du chavisme, mais qui est en réalité une tentative de résoudre la crise bourgeoise générée dans les années 1980 de l’intérieur de l’État.

10. En instrumentalisant le désespoir face aux effets de l’inflation excessive, de la dévaluation astronomique de la monnaie et de la perte presque totale du pouvoir d’achat des salaires.

11. En obtenant que la solidarité automatique prévale dans la majorité de la gauche latino-américaine, ce qui réduit sa capacité critique. Certes, Maduro perd du soutien au sein de la gauche radicale ; mais au sein de la gauche orthodoxe et progressiste, le débat sur ce qui se passe dans le monde du travail au Venezuela est toujours en suspens.

12. Et finalement, en développant un programme d’ajustement structurel de l’économie vénézuélienne dont le profond impact social et salarial est justifié par les sanctions. Si les sanctions sont levées, ce seront les syndicats affaiblis qui devront se battre pour une restructuration significative conforme aux intérêts du monde du travail.

La migration massive des Vénézuéliens a joué en sa faveur, laissant presque tous les partis politiques d’opposition sans une partie importante de leur armée de protestation (et de leur base électorale). Il est vrai que seul un petit groupe de ceux qui ont émigré peut être placé dans la frange des partis d’opposition, mais ils constituaient la base de leurs mobilisations.

La délégation de Maduro s’est rendue aux négociations de Mexico avec un programme clair :

a) démanteler les sanctions américaines sur l’économie vénézuélienne afin de pouvoir remplir son rôle d’arbitre des bourgeoisies et de facteur déterminant du contrôle social ;

b) générer avec les différents secteurs de la bourgeoisie un accord de cohabitation qui tienne à distance les conflits politiques et sociaux ;

c) ayant appris au fil des ans que l’opposition n’a qu’une faible assise économique, tenter de parvenir à un accord sur de nouvelles règles du jeu politique en échange de la garantie économique de leurs activités par l’État ;

d) éloigner la possibilité d’un appel à la révocation de la part de l’opposition (en faisant comprendre à l’opposition que, lors de ces élections, elle doit se concentrer sur les élections des maires et des conseils municipaux et non sur les postes de gouverneur) ;

e) construire dans l’imaginaire social que désormais les multiples oppositions, devenues si divisées, sont à blâmer pour l’absence de changement politique.

Au Mexique, Maduro commence à construire une autre approche géopolitique, plus proche de la social-démocratie que de l’ancien concept de non-aligné ; l’idée de socialisme a été écartée par le gouvernement, au-delà de quelques déclarations pour rassurer les secteurs internes. Il n’est pas surprenant que dans un processus jusqu’à présent hypothétique de refondation, le PSUV change son nom en effaçant le mot socialisme afin de liquider les dernières résistances de l’establishment américain à la levée des sanctions. Cela ne signifie pas une distanciation vis-à-vis de Cuba ; au contraire, il est possible que ce soit avec la bénédiction de l’île.

Les oppositions vénézuéliennes

L’opposition est fragmentée et, dans de nombreux cas, il n’y a même pas de passerelles entre ses différents secteurs. Ils sont tous dépendants de l’agenda gouvernemental, dépourvus de capacité d’initiative propre et de plus en plus discrédités à la base par le double discours qui combine radicalisme verbal et conciliation permanente au niveau de l’action.

La première des oppositions est constituée des acteurs désormais rassemblés au Mexique, proches des formations politiques originelles de Primero Justicia (Borges-Capriles), Voluntad Popular (Leopoldo López-Guaidó), Nuevo Tiempo (Manuel Rosales) et Acción Democrática (Allup). Il s’agit de partis qui ont fait l’objet d’une procédure judiciaire et dont les instances ont été désignées ad hoc ; en fait, l’un des points de négociation est la restitution des sigles, comptes et propriétés de ces partis. Cette opposition est désignée sous le nom de « G-4 ».

Pour la plupart (à l’exception d’Acción Democrática), ils sont des expressions politiques renouvelées des intérêts de la vieille bourgeoisie de la IVe République. Leur orientation est profondément liée à la relation de leurs intérêts de classe avec le capital transnational ; ils recherchent une intégration harmonieuse entre le capital national et transnational – une tâche qui s’est avérée difficile depuis les années 1980. Face à la nouvelle répartition géopolitique, ils cherchent à contrôler l’État (ou une fraction de celui-ci) afin de capter la rente de l’extractivisme et de la consommation de biens importés. Il s’agit d’un secteur sans projet productif capitaliste.

La deuxième est une opposition patronale qui agit comme sa propre représentation parce qu’elle ne fait pas confiance aux médiations politiques qui prétendent la représenter. Son visage le plus visible est Lorenzo Mendoza, qui n’exclut pas d’être candidat à la présidentielle.

La troisième est constituée par la dite Alliance démocratique, qui réunit Avanzada Progresista (Henry Falcón) et les « alacranes » (directions des partis désignées par la Cour suprême qui a utilisée des poursuites intentées par certains membres) d’Acción Democrática (Bernabé), Primero Justicia (Primero Venezuela), Voluntad Popular, COPEI, Venezuela Unida, Movimiento ecológico de Venezuela, Unidad Visión Venezuela, Compromiso País, Bandera Roja, UPP89, Opina, Soluciones (Claudio Fermín), Movimiento Republicano, NVIPA, Prociudadanos, MAS, Min-Unidad, Alianza Centro. Ce groupe d’opposition est celui qui a conclu le plus d’accords et de négociations partielles avec le gouvernement ; il est donc considéré par le G-4 comme une opposition liée au gouvernement.

Dans le quatrième groupe, se trouvent les acteurs les plus radicaux (María Corina Machado, Antonio Ledezma et Andrés Velásquez), qui promeuvent l’application du Traité inter-américain d’assistance réciproque et l’invasion américaine. Ils sont pratiquement isolés depuis que les Républicains ont quitté la Maison Blanche.

Le cinquième est l’Alternative populaire révolutionnaire (APR), dirigée par le Parti communiste, qui comprend une longue liste d’anciens membres des partis qui, jusqu’à récemment, accompagnaient le gouvernement Maduro : le PPT (Patria Para Todos) et Tupamaros, mais aussi le parti REDES, Izquierda Unida, Nuevo Caminos Revolucionario (NCR) et une pléthore d’organisations locales et régionales. Il s’agit d’une dissidence de gauche, c’est-à-dire qui cherche à se rattacher au monde du travail. Depuis sa formation, l’APR n’a pas su faire preuve d’une capacité de mobilisation ou d’articulation de son discours avec la gauche latino-américaine, c’est pourquoi elle n’a pas construit de force réelle pour être un facteur en faveur du monde du travail dans les négociations.

Le sixième groupe d’opposition regroupe des universitaires et des intellectuels structurés autour de la Plataforma en Defensa de la Constitución (PDC) et du Pensamiento Crítico. Ils sont souvent qualifiés de « chavisme dissident », bien qu’ils ne représentent pas toutes les expressions de ce groupe. Ce groupe n’a pas de capacité de mobilisation qui lui permettrait d’être pris en compte dans les négociations.

Le septième rassemble des secteurs de la gauche qui s’articulent à partir des mouvements sociaux écologiques, indigènes, féministes et éducatifs, pour défendre, entre autres, les dirigeants ouvriers emprisonnés ou la communication alternative. Bien que désarticulé à l’heure actuelle, ce secteur est le plus dynamique et le plus créatif. Une convergence de leurs forces pourrait être un facteur déterminant dans la création d’une option politique ayant une réelle présence dans les territoires. Mais jusqu’à présent, il n’y a aucun signe de cela.

Par ailleurs, lors des récentes élections du PSUV, de nouveaux dirigeants locaux et régionaux ont émergé – dont beaucoup ont été nourris par les communes. Dans certains cas leur élection a été respectée et dans d’autres invalidée. Le mouvement des communes pourrait signifier un réveil de l’esprit constituant.

Le huitième groupe, c’est la très faible gauche radicale trotskiste. Après avoir produit un regroupement important au début du XXIe siècle, elle s’est fracturée sur l’évaluation du gouvernement Chávez. Actuellement, Marea Socialista et le PSL ont accompagné des luttes spécifiques, mais avec de profondes faiblesses en termes d’insertion dans les mouvements de masse ; ils n’ont pas réussi à construire un pôle de référence. Quant à Luchas, une scission de Marea Socialista, son travail s’est concentré sur la propagande, avec une faible insertion dans la lutte sociale.

La neuvième opposition est très marginale : une droite fondamentaliste et ultra-conservatrice, dirigée par l’ancien ministre de la planification de Chávez, Felipe Pérez Martí, qui semble être à moyen terme le germe d’une droite à la Trump ou à la Le Pen, le messianisme religieux en plus.

La géopolitique comme facteur déterminant

Lors de la réunion de Mexico, un objectif non avoué sera de confirmer aux États-Unis, à l’Union européenne et à leurs alliés que le Venezuela ne représente pas un danger communiste, ce à quoi Maduro s’est employé ces dernières années. Le départ du parti communiste et des alliés ayant un passé de gauche de la coalition gouvernementale et de la première ligne de gestion a été un signe clair et sans équivoque dans ce sens. Au Mexique la délégation officielle montrera que non seulement une voie large et démocratique peut être construite pour les méga-élections du 21 novembre, mais que Maduro est un facteur déterminant dans l’arbitrage et l’accord entre les différentes factions bourgeoises.

La désarticulation des oppositions vénézuéliennes confirme le fait que Maduro est aujourd’hui l’homme fort de la politique vénézuélienne. Son gouvernement et sa manière d’entrer en relation et de négocier avec l’opposition de droite, en la subalternisant, constituent une garantie pour l’articulation du capital transnational avec le capital national.

Le vrai problème de la négociation actuelle

La réunion de Mexico pourrait être le début d’un nouveau régime de cohabitation et de relations entre le gouvernement Maduro et l’opposition du G-4. Cela entraînerait quelques frictions mineures avec des secteurs de l’Alliance démocratique (opposition). Cette tension et la manière de sa résolution pourraient faciliter ou entraver la construction d’un nouvel accord de gouvernement à long terme (qui, bien entendu, n’envisage pas d’alternance présidentielle).

Il semble que – contrairement à ce que certains prédisent – cela s’exprimera modestement dans les résultats des élections de novembre ; dans les circonstances actuelles, l’opposition pourrait obtenir d’importants sièges de maires et de conseillers municipaux mais de faibles résultats au niveau des gouverneurs.

La suspension progressive, graduelle et durable des sanctions américaines sera un facteur déterminant de la stabilisation politique et du renforcement du césarisme de Maduro pour la coexistence et l’articulation des différentes factions bourgeoises.

Cependant, la pacification des principaux partis bourgeois pourrait ouvrir l’espace d’une instabilité sociale croissante, car le peuple a subi une perte dramatique et sans précédent de la qualité de vie et du pouvoir d’achat.

Et le monde du travail ?

Les dizaines de dirigeants ouvriers arrêtés et poursuivis en justice indiquent la volonté de son étouffement. Avec des salaires mensuels ne dépassant pas deux chiffres, une inflation cumulée dépassant 1 000 000 % et la dévaluation soutenue du bolivar (il vient d’être annoncé que six zéros seront à nouveau supprimés de la monnaie), il est prévisible que les luttes de la classe ouvrière, des employés publics et des salariés en général commenceront à faire sauter les restrictions imposées.

La tendance pourrait être à l’approfondissement de la voie autoritaire du gouvernement ou à une transition vers une négociation au long cours avec les syndicats et les organisations syndicales en vue d’un redressement substantiel de la qualité de vie. Le problème pour le gouvernement est que la nouvelle génération de dirigeants ouvriers qui émerge semble être très éloignée aussi bien de l’opposition que du gouvernement. Les machineries bureaucratiques dont les deux disposent ne semblent pas être capables de contenir le bouleversement social en cours.

Y a-t-il une transition ?

Il n’y a pas de transition à court terme dans le gouvernement de Maduro. Au contraire, ce qui est consolidé, c’est sa capacité à contrôler la situation politique. L’opposition ne semble pas assez forte pour créer des conditions favorables à une transition. Ce qui pourrait se produire, c’est le début d’une cohabitation politique, avec pour conséquence le partage des quotas de pouvoir entre le gouvernement et l’opposition de droite.

Les alternatives de gauche, quant à elles, traversent leur propre crise. Ni la plateforme de défense de la Constitution nationale ni la gauche radicale ne disposent d’une base sociale suffisante pour transformer la situation à court terme. L’Alternative populaire révolutionnaire a généré des attentes plus élevées que ce qu’elle a pu réaliser, piégée qu’elle était dans la logique du parti révolutionnaire et des fronts de masse.

Aucune option à la gauche du « madurisme » n’a réussi à devenir un facteur pertinent de mobilisation. Elles n’ont même pas réussi à clarifier pour la gauche régionale ce qui se passe réellement au Venezuela. On peut arguer que la dérive autoritaire du gouvernement est un facteur déterminant, mais auparavant, même dans des situations de dictature, la gauche n’avait pas perdu à ce point sa capacité de mobiliser les masses.

Dans ce contexte, les luttes sociales démocratiques jouent un rôle fondamental dans la recomposition démocratique du paysage politique, économique et social. Pour cette raison, la gauche radicale, plutôt que de s’inquiéter de la consolidation de micro-appareils de parti, devrait s’ouvrir à des formes d’organisation nouvelles et élargies qui lui permettent de se relier au rhizome de résistance qui s’enracine dans la société.

Que faire ?

Il est temps de reconstruire la gauche sur la base des territoires. Il est urgent de sortir des discussions byzantines sur les théorèmes politiques et de se reconstruire à partir des luttes, de laisser de côté l’épistémologie du parti d’avant-garde et de retrouver l’humilité de l’accompagnement et de l’apprentissage à partir de la lutte sociale concrète. La gauche a toujours réinventé l’espoir à partir des catacombes. Il est temps de le faire à nouveau.

La reconquête de l’espoir et la capacité de mobilisation de la démocratie sont aujourd’hui beaucoup plus localisées dans les activités communautaires, sociales et alternatives que dans les partis politiques de droite ou de gauche ; c’est là que la vie nationale semble se ressaisir.

La migration pourrait être le facteur qui fera pencher la balance dans les années à venir. Des millions de Vénézuéliens et de Vénézuéliennes ont dû quitter le pays pour survivre et, ce faisant, ont fait l’expérience de la barbarie du néolibéralisme, mais aussi de la main secourable de personnes simples dans d’autres territoires. Dans la mesure où les sanctions sont levées et où la violence politique disparaît, beaucoup reviendront et deviendront potentiellement un facteur déterminant pour un autre Venezuela possible, un Venezuela de justice sociale, d’équité, de solidarité et de démocratie.

Se pourrait-il que nous retrouvions la capacité de nous engager dans la politique de la rue ? C’est cette politique-là, et aucune autre, qui fait rêver, vibrer et qui ouvre la voie à un changement radical.

 

* Luis Bonilla-Molina, est professeur d’université et chercheur au Centro Internacional de Investigaciones Otras Voces en Educación (CII-OVE) du Conseil latino-américain de sciences sociales (CLACSO). Il a obtenu le prix international de justice sociale 2020, décerné par le Paulo Freire Democracy Project de l’Université Chapman, aux États-Unis. Cet article a d’abord paru le 1er septembre 2021 dans Jacobin América Latina : (Traduit de l’espagnol par JM pour Inprecor).