
Cette résolution sur la situation mondiale était adoptée par le 18e Congrès mondial par 109 pour, 12 contre, 7 abstentions et 4 NPPV.
Introduction
Il y a quatre ans, il était impossible de prédire à quelle vitesse la multicrise, ou convergence des crises capitalistes, allait s'accélérer. Donald Trump est revenu renforcé au gouvernement de l'impérialisme hégémonique, cette fois avec un cabinet et un projet ouvertement néofasciste ou “pur” post-fasciste : le Projet 2025 de la Fondation Heritage (l'un des groupes de réflexion les plus anciens et les mieux financés de l'extrême droite américaine), repris par le Parti républicain trumpiste. Il représente les secteurs les plus radicaux du capital étatsunien – en termes de libertarianisme néolibéral et de mépris pour les institutions de la démocratie bourgeoise la plus ancienne : nominalement les Big Tech, la crypto finance, le capital-risque et l’industrie fossile, auxquels s’ajoute l’industrie désormais plus lucrative que jamais de l’armement.
Compte tenu de la profondeur et de la violence des mesures qu’elle applique déjà aux niveaux national et international, l’administration américaine sous Trump-Musk devient une “bombe” intensifiant au maximum toutes les crises de la “multicrise” (ou convergence des crises) que nous soulignons dans ce document. C’est un tournant, qui inaugure un nouveau moment dans la situation mondiale, encore plus turbulent, dangereux et imprévisible. Trump 2.0 cherche à lutter contre le déclin relatif de l’hégémonie américaine au cours des dernières décennies en projetant à l’échelle mondiale une suprématie expansionniste, recolonisatrice, prédatrice et annexionniste – une suprématie qui ramènerait les États-Unis à la situation d’hégémonie sans concurrents de l’immédiat après-guerre. C’est le sens national et international de MAGA.
Le Trump du second mandat est bien plus activement dangereux pour les travailleur·ses et les citoyen·nes américain·es, pour la géopolitique, l’économie mondiale et l’équilibre international des pouvoirs que son premier mandat. Il considère tout le monde comme un ennemi : la Chine en premier lieu, la Russie de son “ami” Poutine, l’ONU et avec elle toutes les institutions de l’ordre mondial des 80 dernières années, ainsi que les BRICS et tout gouvernement souverain se trouvant sur son chemin. Sans parler des institutions démocratiques bourgeoises américaines elles-mêmes, sur lesquelles il entend imposer des changements sans précédent.
Fort d’une victoire électorale convaincante, du contrôle du Congrès et de la Cour suprême, d’un ministère de faucons et de milliardaires non qualifiés mais loyaux, Trump est sérieux lorsqu’il menace de reprendre le canal de Panama, de s’emparer du Groenland et d’annexer le Canada, et lorsqu’il annonce un plan explicite pour « nettoyer » Gaza et déporter ses habitant·es en Égypte et en Jordanie, soutenir la colonisation israélienne de la Cisjordanie, après avoir imposé le récent cessez-le-feu à un Netanyahou réticent mais complètement soumis. Son administration procède déjà à des expulsions humiliantes et médiatiques (des travailleurs immigrés latino-américains et indiens, qualifiés de bandits, arrivent enchaînés dans leur pays).
Le leader mondial des climatosceptiques, Trump 2.0, a annoncé des incitations totales à l’exploration et à l’exploitation des énergies fossiles (drill, baby, drill !), a déjà détruit l’EPA (l’agence américaine de l’environnement) et a ordonné l’annulation du financement de tous les programmes avec lesquels les États-Unis collaboraient à des projets de protection écologique à l’étranger. Le rejet même du “capitalisme vert” par ces nouvelles fractions impérialistes au pouvoir est lié à la concurrence avec la Chine, qui domine les technologies alternatives aux énergies fossiles (éolien, solaire, transport électrique). L’intelligence artificielle, sur laquelle ils parient comme le moyen le plus rapide de dépasser les Chinois, nécessite des ressources énergétiques gigantesques et un contrôle sur les ressources minérales de toute sorte.
Pour mettre en pratique le “America First”, les néofascistes désormais soutenus par des secteurs essentiels du capital étatsunien ont besoin du climato-scepticisme, du mépris absolu pour les terribles menaces que la catastrophe écologique fait peser sur la vie de centaines de millions d’êtres humains innocents, tout comme ils ont besoin de la haine de ceux qui sont différents, de ceux qui résistent, des femmes, des LGBTQIA+. Ils ont besoin de l’exaltation virilo-misogyne de la force comme moyen de s’imposer, de la volonté de soumettre la Chine, la Russie, l’Europe et le monde entier. Mais ils ont avant tout besoin de vaincre les mouvements syndicaux, étudiants, communautaires, féministes, noirs et indigènes, les ONG pro-démocratie, et même la presse bourgeoise américaine critique.
Le projet trumpiste exprime également la nécessité pour ces fractions du capital impérialiste qu’il représente d’empêcher à tout prix – même au prix du démantèlement de l’État américain et de la fin de tout vestige de politique sociale et égalitaire – la transformation démographique des États-Unis en une nation pleinement diverse, majoritairement non blanche, racialement, politiquement, sexuellement et religieusement, et la menace politique qui en découle pour l’élite politique et économique wasp. Comme le soulignent les analyses de Black Lives Matter, il s’agit d’une réaction stratégique face au danger que la population américaine ne soit plus blanche, protestante ou anglo-saxonne, tout comme ne l'est plus la Californie (avec les Latinos, les Afro-Américain·es, les métis, les Asiatiques et les peuples autochtones).
La victoire de Trump a stimulé les mouvements d'extrême droite dans les centres capitalistes et dans les pays périphériques ou semi-périphériques. Les peuples les plus directement menacés par l'impérialisme hégémonique sous Trump sont les peuples du Moyen-Orient, à commencer par les Palestiniens. La nouvelle administration américaine devient maintenant, avec le gouvernement génocidaire de Netanyahou, l'avant-garde de l'extrême droite mondiale, avec un soutien total au projet colonial de l'État sioniste. Israël mène actuellement une campagne de terreur massive et une guerre asymétrique qui constituent un saut qualitatif dans la guerre d'apartheid, de colonisation et de nettoyage ethnique qui dure depuis 75 ans. Le premier objectif est d'éradiquer le peuple palestinien par la déshumanisation des Palestinien·nes et une logique suprémaciste. Mais, un pays après l’autre, les réfugiés et les migrants, les militants écologistes, les militants de la solidarité avec la Palestine et d'autres sont la cible de mesures répressives adoptées par des gouvernements de droite (et autres), officiellement dirigées contre de prétendues menaces « terroristes », « criminelles » et « antisémites ».
L'administration Trump 2.0, ainsi qu'Israël, visent également à isoler davantage l'Iran et à l'attaquer – une des explications des tentatives étatsuniennes de séparer la Chine de la Russie et de passer des accords distincts avec l'Inde de Modi, en un mot de diviser les fragiles BRICS actuels. Au Moyen-Orient, neutraliser Poutine pour qu'il n'interfère pas dans la région en échange d'une paix pro-russe dans la guerre d'Ukraine pourrait signifier un nouveau chapitre plus sanglant de la guerre expansionniste étatsunienne-israélienne contre l'Iran.
En Europe occidentale, l'impact de Trump, ses menaces, ses tarifs douaniers et son chantage avaient déjà fait pression sur Macron pour élever les dépenses militaires françaises aux 5 % exigés par les États-Unis. Les menaces de l'impérialisme américain contre le Groenland sont, avant tout, une menace contre la population du Groenland, qui se retrouve prise dans un réseau de concurrence impérialiste qu'elle n'a pas choisi. Mais c'est aussi une menace pour le monde, mis en danger par l'exploitation avide des richesses du Groenland et la militarisation du fragile Arctique. Un simple accident comme celui du golfe du Mexique en 2010 pourrait signifier des dommages irréversibles pour les océans de la planète. De même, un affrontement militaire dans l'Arctique pourrait s'avérer fatal pour les écosystèmes mondiaux. La perspective à court et moyen terme est un renforcement du réarmement général.
Alors que la concurrence économique et géopolitique entre les États-Unis et la Chine s’intensifie sous Trump, le monde deviendra encore plus militarisé ; la menace nucléaire se renforcera et les conflits et les tensions se multiplieront à la suite des contradictions exacerbées par le nouveau projet impérialiste. Rien ne se fera sans contradictions importantes. Comment parviendront-ils à déconnecter l’économie américaine de la machine manufacturière chinoise ? Si l’ennemi central est la Chine – s’interroge le New York Times – pourquoi alors se battre avec ceux qui pourraient être des alliés contre elle (en référence à l’Inde, à l’Europe, et aux voisins Mexique et Canada) ? Pourquoi la guerre tarifaire généralisée, qui va faire monter les prix intérieurs ? Si l’effondrement climatique a le potentiel d’anéantir une grande partie de l’humanité, pourquoi l’encourager ?
C’est la nature du capital en général et de ces secteurs en particulier : face à une réduction sans précédent de la croissance et de leurs taux de profit et d’accumulation après 2008, ils embrassent la solution ultralibérale, guerrière et fasciste. Devant l’impossibilité de rester les gestionnaires d’un système qui garantit des profits extraordinaires pour le capital de tous bords, ils choisissent de protéger leurs propres intérêts et d’imposer leurs règles au monde. Un projet mondial de changement d’une telle ampleur et d’une telle virulence ne peut s’imposer sans rencontrer une résistance importante.
Même si les exploité·es sont privé·es d’alternatives sociales et politiques de la part de la gauche révolutionnaire, les conflits de tous bords s’intensifieront. Les militant·es et sympathisant·es de la IVe Internationale doivent répondre à ce scénario incertain et difficile par une compréhension et une action révolutionnaires. La crise multidimensionnelle du capitalisme, avec ses monstres – dont l’un se trouve à la Maison Blanche – rapproche la planète de l’effondrement et l’humanité de l’extinction. Notre immense tâche est de contribuer à l’arrêter de toute urgence.
I/ Une crise planétaire multidimensionnelle
Les problèmes importants de l'humanité sont plus internationaux que jamais. La crise capitaliste est devenue multidimensionnelle pour la société humaine et la Terre. Il y a une articulation dialectique des différentes sphères, sans hiérarchie, entre (a) la crise environnementale – qui depuis plusieurs années produit des phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes et rapproche le point de non-retour, la limite pour mettre en œuvre des mesures visant à assurer la survie même de l’humanité sur Terre, (b) la phase de stagnation économique de longue durée, et ses conséquences sociales déstructurantes, (c) l’avancée de l’extrême droite sur la voie ouverte par les démocraties et les gouvernements néolibéraux en crise, (d) l’intensification, sur le plan de la bataille entre les États, de la lutte pour l’hégémonie entre les États-Unis et la Chine, (e) la multiplication et l’intensification, toujours plus dangereuses, des guerres.
La crise de la mondialisation néolibérale a ouvert une nouvelle phase dans l’histoire du capitalisme. Il s’agit d’une période qualitativement différente de celle que nous avons vécue depuis l’instauration de la mondialisation néolibérale à la fin des années 1970, et bien plus conflictuelle du point de vue de la lutte des classes et de la lutte entre les États que celle qui s’est ouverte il y a 33 ans avec l’effondrement de l’Union soviétique et des régimes bureaucratiques d’Europe de l’Est.
1.1. Qu’est-ce qui caractérise la polycrise actuelle ?
Il existe deux différences majeures entre la situation actuelle et la convergence des crises au début du 20e siècle, qui ont débouché sur “l’ère des catastrophes” (1914-1946). La facette la plus immédiatement menaçante de cette crise multidimensionnelle qui n’existait pas il y a cent ans est la crise écologique provoquée par deux siècles d’accumulation capitaliste prédatrice.
L’économie capitaliste mondialisée, basée sur la combustion d’énergies fossiles et la consommation croissante de viande et d’aliments ultra-transformés, aggrave rapidement la crise climatique. Un climat qui réduira l’avenir de l’humanité sur la planète. La fonte des pôles et des glaciers accélère la montée des eaux et la crise de l’eau. L’agro-industrie, l’exploitation minière et l’extraction d’hydrocarbures progressent (non sans résistance) sur les forêts tropicales, pourtant essentielles au maintien des systèmes climatiques et de la biodiversité de la planète. Les effets de la crise climatique continueront à se manifester violemment, détruisant les infrastructures, les systèmes agricoles, les moyens de subsistance et provoquant des déplacements massifs de populations.
Rien de tout cela ne se produira sans une exacerbation des conflits sociaux.
Le deuxième élément à souligner (très différent d’il y a cent ans) est l’absence d’alternatives révolutionnaires de masse. En effet, au milieu de ces changements de plus en plus rapides, le problème de l’absence d’une alternative crédible au capitalisme aux yeux des masses, l’absence d’une force anticapitaliste ou d’un ensemble de forces dirigeant des révolutions économiques et sociales devient plus aiguë. Le moment d’extrême instabilité du capitalisme et de son système interétatique est aussi celui d’une grande fragmentation politique et idéologique des mouvements sociaux et de la gauche.
1.2. Les crises se renforcent mutuellement : guerres, reproduction sociale et algorithmes
Une crise multidimensionnelle n’est pas une simple somme de crises, mais une combinaison dialectiquement articulée, dans laquelle chaque sphère a un impact sur l’autre et est impactée par les autres. Le lien entre la guerre en Ukraine (avant l’explosion du conflit en Palestine) et la stagnation économique a aggravé la situation alimentaire critique des plus pauvres dans le monde, avec plus de 250 millions de personnes supplémentaires souffrant de la faim en dix ans (2014-2023). Le flux de personnes déplacées par les guerres, le changement climatique, la crise alimentaire et la propagation des régimes répressifs augmente, en particulier dans les pays les plus pauvres.
On ne peut expliquer la montée des tensions militaires régionales et internationales, ainsi que la militarisation rapide des discours et des budgets gouvernementaux ou la croissance récente de l’industrie d’armement, sans prendre en compte l’exacerbation de la concurrence sur les marchés mondiaux, l’intensification de l’extractivisme néocolonial et la lutte pour les minerais stratégiques (que ce soit pour la production de véhicules électriques ou d’armes de dernière génération, ou encore pour alimenter l’économie numérique et le monstre de l’intelligence artificielle). Aucune région de la planète n’est exempte de zone de haute-tension : le Moyen-Orient, la mer de Chine et l’Afrique en sont de bons exemples. L’enchaînement des écocides sur les cinq continents et dans toutes les mers ne s’explique pas non plus s’il n’est pas lié à cette recrudescence des concurrences intercapitalistes et interimpérialistes, qui montre une fois de plus que l’économie de l’armement – surtout après la Seconde Guerre mondiale – est un élément constitutif et permanent de l’impérialisme sous toutes ses formes, dans toutes les géographies et à toutes les époques.
Le changement climatique, l’appauvrissement des terres, l’accaparement des territoires les plus fertiles par les oligarchies, ainsi que la baisse de la part des salariés dans les revenus nationaux, l’abandon et la détérioration des services de base (santé, éducation, eau, etc.) par les États néolibéraux, ont généré une augmentation des inégalités entre les individus – mais surtout un plus grand éloignement de l’accès aux revenus, aux biens et aux richesses entre les pays, les classes sociales, les communautés et les peuples, et entre les hommes et les femmes, les personnes racisées et les autres.
Les perspectives désastreuses dans les domaines environnemental et économique poussent une partie significative des fractions bourgeoises dans différents pays à abandonner le projet des démocraties formelles comme meilleur moyen d’obtenir des profits croissants. Des secteurs d’activité de plus en plus importants commencent à soutenir des alternatives autoritaires au sein des démocraties libérales, ce qui conduit au renforcement des mouvements fondamentalistes de droite et des gouvernements d’extrême droite sur tous les continents. Il existe une fracture – dont la pérennité reste à démontrer – entre les différentes fractions bourgeoises dans les différents pays, une partie de la classe dominante se tournant vers l’ultra-droite et une autre partie restant attachée au projet démocratique-bourgeois. L’exemple le plus notable de cette division entre fractions capitalistes est la polarisation entre le trumpisme (qui a pris d’assaut le Parti républicain) et le Parti démocrate aux États-Unis.
L’expansion d’une sociabilité néolibérale hyperindividualiste, qui, combinée à l’utilisation par la droite des réseaux sociaux et peut-être maintenant de l’Intelligence Artificielle (AI), favorise encore plus la dépolitisation, la fragmentation des classes et le conservatisme. Les technologies numériques, en plus de l’impact sur l’emploi et l’organisation des salariés, contribuent également à approfondir la subordination-clientélisation, sinon sa réduction pure et simple, de la moyenne et petite paysannerie, considérée comme la principale productrice de l’alimentation mondiale. Le capitalisme néolibéral d’aujourd’hui introduit des dispositifs numériques et des algorithmes en tant que nouvelles forces productives, donnant lieu à l’émergence du travail sur les plateformes numériques – parfois appelé ubérisation, qui occupe déjà plus de 200 millions de travailleur·ses – et à diverses relations sociales médiatisées exclusivement par le marché.
D’autre part, le néolibéralisme, en continuant à attaquer violemment ce qui reste de l’État-providence, en imposant la surexploitation des travailleur·ses de l’industrie et des services et surtout des soignant·es, jette les femmes, en particulier les femmes travailleuses et encore plus violemment, les femmes racisées (Afro-descendantes, Roms, descendantes de peuples autochtones, Africaines et Sud-Asiatiques dans le Nord global) dans le dilemme entre survivre (mal) ou se défendre. Le néolibéralisme maintient les femmes dans la force de travail formelle (largement dans le Nord) ou moins structurée, plus informelle (tout autour du monde mais particulièrement dans le Sud Global), réduisant encore les salaires et les revenus des salariées (qu’elles travaillent dans l’industrie, les services ou le commerce). L’idéologie du retour à la famille traditionnelle, constitutive de la matrice néolibérale et qui est poussée à l’extrême par l'aile droite des fondamentalismes, sert à faire peser sur toutes les femmes des classes populaires les tâches de prendre en charge les enfants, les personnes âgées, les malades et les personnes handicapées. Ce type de travail était autrefois couvert par l'État-providence, en particulier dans les pays capitalistes avancés, mais il fait aujourd'hui l'objet de coupes brutales.
La formation de blocs géopolitiques a également des conséquences sur la politique sexuelle : des alliés des États-Unis, tels que Taïwan et la Thaïlande, introduisent le mariage entre personnes du même sexe, tandis que la Chine revient sur des avancées antérieures en faveur des personnes LGBTQIA+, et qu'un adversaire des États-Unis comme l'Iran soutient un axe hostile à l'émancipation sexuelle (alors que certains membres du bloc dirigé par les États-Unis, du Vatican au royaume saoudien, sont tout aussi réactionnaires dans ce domaine).
Avec des réseaux de reproduction sociale en crise, plus importante dans les pays néocoloniaux que dans les métropoles, la société néolibérale “domestifie” (confie à la famille) et racialise (confie aux non-Blancs, aux Noirs, aux femmes indigènes, aux immigré·es) les tâches de soins, mais n’assume pas la responsabilité de la reproduction sociale dans son ensemble.
1.3. La situation économique et sociale
Nous vivons toujours sous l'impact de la formidable crise économique ouverte par le krach financier de 2008, qui a débuté l'année précédente et a ouvert une récession mondiale. Le mode de fonctionnement capitaliste néolibéral ne peut plus garantir les taux de croissance, de profit et d'accumulation de la fin des années 1980 et des années 1990. Deuxièmement, la polarisation géopolitique, aggravée par les guerres et la montée du nationalisme réactionnaire – grandement renforcé par l'arrivée de Trump 2.0 – ébranle les chaînes de valeur super-internationalisées, la production et le commerce international.
La mondialisation néolibérale est en crise. Cependant, aucune des grandes difficultés du capitalisme néolibéral n'a entraîné de changement dans la nature financiarisée – dirigée par le capital financier – qui concentre la richesse dans les comptes d'un nombre de plus en plus restreint d'entreprises et d'individus, tout en jetant de plus en plus d'êtres humains dans la pauvreté. Bien qu'en crise, le capital et son régime économique néolibéral continuent de produire des inégalités entre les pays, les régions et à l'intérieur des pays. Pour la seule année 2024, le système a créé 204 nouveaux milliardaires, alors que le nombre de personnes vivant dans la pauvreté, avec moins de 6,85 dollars par jour, est resté inchangé depuis les années 1990. En 2023, les 1 % les plus riches des pays impérialistes ont soutiré 30 millions de dollars par heure aux pays dépendants ou semi-coloniaux – un résultat qui découle fondamentalement du système financier qui impose aux gouvernements du monde des ajustements inacceptables, l'endettement, la réduction des salaires, des droits sociaux et la marchandisation de l'agriculture.
La numérisation des processus de production et de consommation, qui dure depuis 30 à 40 ans et qui était à la base de la restructuration dite néolibérale de la production, s’intensifie aujourd’hui avec l’introduction accélérée de l’IA. L'IA est mise en œuvre pour récupérer les taux de profit et d'accumulation en recherchant un bond dans la productivité du travail et des taux de profit. Une fois de plus, cela réduira l'emploi, rendra les emplois et les travailleur·ses plus précaires et donnera de plus en plus de pouvoir aux entreprises technologiques.
Outre leur caractère récessif, les politiques économiques néolibérales – fondées sur les intérêts prédominants de la finance – ébranlent le niveau de vie des masses laborieuses par le biais de l'endettement des travailleurs et des pays dépendants auprès des grandes banques privées impérialistes ou du FMI et de la Banque mondiale. La hausse des taux d'intérêt pour lutter contre l'inflation accroît les dettes souveraines et privées, créant les conditions de nouvelles crises de défaut de paiement, comme celles qui ont déjà éclaté au Sri Lanka, au Ghana et en Zambie, ou évitées in extremis grâce aux prêts d'urgence accordés par le FMI et la Chine à des dizaines de pays tels que l'Argentine, le Nigeria, le Pakistan, l'Égypte, le Kenya, le Bangladesh et la Tunisie. La recherche effrénée de « protection contre la crise » (c'est-à-dire le maintien des profits) par les entreprises encourage la spéculation financière. Cette spéculation menace en permanence le système avec des vagues de faillites comme en 2008.
II/ L’extrême droite défie les régimes “néolibéraux démocratiques”, les travailleur·ses et les opprimé·es
Depuis la récession post-2008, mais plus clairement depuis 2016 (Brexit et première victoire de Trump), une constellation de nouvelles forces d’extrême droite se développe dans les États et les sociétés. Son avant-garde mondiale est aujourd’hui le génocidaire Benyamin Netanyahou avec son rôle de colon raciste au Moyen-Orient. Outre sa montée en puissance en Europe, en Asie et en Amérique latine, l’extrême droite menace les États-Unis et le monde avec le retour de Trump à la Maison Blanche.
Les forces d’extrême droite du 21e siècle se sont renforcées et multipliées au fil des victoires électorales, puis des mesures anti-immigration et de restriction des libertés et des droits sociaux. Elles se présentent comme ‘‘anti-système” (contre les systèmes politiques qu’elles identifient hypocritement à la dégradation des conditions de vie, à la corruption et à l’insécurité), alors qu’elles ne le sont pas du tout. Elles sont l’expression ultime de la défense du capitalisme dans sa phase actuelle. Pour garantir l’application de leurs politiques ultra-néolibérales ou, dans certains cas, de nationalisme xénophobe, elles ont recours à des discours traditionalistes réactionnaires, et le racisme le plus violent, généralement sous des déguisements religieux fondamentalistes – le christianisme pentecôtiste aux États-Unis et au Brésil, l’hindouisme en Inde, l’islamisme au Pakistan, en Afghanistan et en Iran.
S’appuyant sur leur grande et précoce expertise dans l’utilisation de réseaux sociaux de plus en plus gigantesques et non réglementés (dans lesquels, en général, il est possible de dire des contre-vérités et de porter des accusations infondées en toute impunité), ils déclarent la guerre aux droits des travailleur·ses en général, mais surtout aux droits des femmes, aux LGBTQIA+, aux minorités (ou majorités) ethniques ou religieuses internes, aux immigré·es, aux personnes raciisées en général et aux militant·es de l’environnement. Avec leur négationnisme scientifique en tout genre, ils sont en guerre ouverte contre les mouvements écologistes et tous ceux qui croient au changement climatique.
Comme leurs ancêtres nazis classiques, ils sont essentiellement racistes envers différents groupes ethniques – tels que les migrants de deuxième, troisième et quatrième génération en Europe et les Noirs, les populations asiatiques, arabes et latinos aux États-Unis – et souvent particulièrement violents envers les vagues de migrants les plus récentes, qu'ils accusent d'être responsables des problèmes d'emploi et d'insécurité. En Asie du Sud-Est, “l'ennemi désigné” est constitué par les minorités d'une autre religion que la religion majoritaire, comme Modi avec les deux cents millions de musulmans du pays.
Bien que l'extrême droite au pouvoir aujourd'hui ne tende pas à établir des régimes fascistes classiques basés sur le modèle des années 1930, les gouvernements d'extrême droite de l'Inde, de la Turquie, de la Hongrie et d'autres pays ont réussi pendant des années à combiner les formes apparentes de la démocratie bourgeoise avec une répression efficace des médias indépendants, des partis et des mouvements d'opposition, ainsi que des intellectuels critiques. Cette tendance s'intensifie. La guerre de la Russie contre l'Ukraine a entraîné une répression féroce des voix anti-guerre et de la dissidence en général. La répression vise également la dissidence sexuelle et de genre, alors que des lois contre la « propagande gay » deviennent plus sévères et sont adoptées dans d'autres pays – tandis que dans des pays comme l'Indonésie et la Turquie, l'espace qui s'était ouvert aux communautés LGBTQIA+ s'est récemment refermé. En Israël, le gouvernement néofasciste dénonce toute opposition à la guerre génocidaire contre Gaza comme « antisémite » et, en conséquence, la réprime. Les gouvernements pro-israéliens d'Amérique du Nord et d'Europe mènent des campagnes similaires
Cette combinaison de néolibéralisme extrême et de traditionalisme fondamentaliste et racisme est extrêmement fonctionnelle pour le système capitaliste : elle est l’expression de la recherche, par de larges secteurs bourgeois du Nord et du Sud, d’une issue économique, politique et idéologique à la crise structurelle du système en faisant avancer l’histoire “à l’envers”. Ces capitalistes continuent de soutenir ceux qui promettent d’instaurer un régime autoritaire, de détruire les droits (et bien sûr tout semblant d’État-providence), de renvoyer les femmes à la sphère domestique (c’est-à-dire à la simple reproduction de la force de travail), de soumettre les personnes racisées et les sexualités alternatives à l’oppression la plus brutale et à l’invisibilité, d’expulser des migrants et leurs descendants, de contrôler les mouvements de masse d’une main de fer, d’imposer des ajustements brutaux et des dépossessions, en particulier de ce qui reste de la paysannerie et des sociétés communales. Tout cela dans le but de parvenir à une société majoritairement surexploitée, délivrée idéalement des conflits, dans laquelle le capital pourra récupérer ses taux de profit et d’accumulation perdus.
L’avancée de cette constellation d’extrême droite est le résultat de décennies de crise des démocraties (néolibérales) et de leurs institutions (y compris tous les partis traditionnels, même ceux de “gauche” , qui ont administré des États sous le régime du néolibéralisme). Ces gouvernements et régimes engagés dans le néolibéralisme ont accru les inégalités, la corruption, l’insécurité, ainsi que la misère, les guerres et les catastrophes climatiques dans les pays du Sud – ce qui encourage les migrations vers le Nord. Ils ont apporté des réponses insatisfaisantes aux aspirations des peuples et des travailleurs. Ils ont ainsi contribué à tourner les classes moyennes possédantes, les secteurs salariés privilégiés (les cols blancs), et même une partie des classes les plus vulnérables, vers des alternatives autoritaires.
La nouvelle extrême droite est le résultat complexe de la désintégration des tissus sociaux imposée par le néolibéralisme, le désespoir des secteurs sociaux appauvris face à l’aggravation de la crise depuis 2008, combinée à (1) l’échec de la droite “néolibérale progressiste” et des “alternatives” représentées par la social-démocratie (social-libéralisme et “progressisme” au Sud et à l’Est) à enrayer la paupérisation, la précarité de l’emploi, l’insécurité face à la criminalité et à l’immigration et (2) l’absence générale d’alternatives populaires révolutionnaires présentant une voie radicalement opposée à la crise.
L’extrême droite peut être particulièrement pernicieuse lorsqu’elle met en avant une politique “modernisée” en matière de genre et de sexualité, revendiquant un engagement nouveau en faveur de l’émancipation des femmes et de la tolérance à l’égard des personnes LGBTQIA+, tout en s’en prenant vicieusement à certains des groupes les plus vulnérables. Les personnes transgenres sont des cibles privilégiées de l’extrême droite, par exemple des Républicains aux États-Unis, de Bolsonaro, de Milei, tandis que les droits parentaux et d’adoption des couples de même sexe font l’objet d’attaques concertées de la part, par exemple, du gouvernement Meloni en Italie. La résistance à ces attaques doit faire partie intégrante de la solidarité contre l’extrême droite.
Ce tableau pose comme tâche fondamentale pour la Quatrième Internationale : la luttes sur tous les fronts contre les forces d’extrême droite, l’autoritarisme et le néofascisme, mais aussi contre les politiques néolibérales et réactionnaires qui les ont fait naître et qui continuent à les façonner.
III. Les exploité·es, les secteurs opprimés et les peuples du monde ont répondu par des mobilisations. Et maintenant ?
Ce siècle a connu au moins trois grandes vagues de luttes démocratiques et anti-néolibérales (début du siècle, celle de 2011 et celle de 2019-2020), un mouvement des femmes renouvelé, le mouvement antiraciste qui a émergé aux États-Unis, et une constellation de luttes pour la justice climatique à travers le monde. Cependant, ces grandes luttes ont été confrontées, d’un point de vue objectif, non seulement au capitalisme néolibéral et à ses gouvernements, mais aussi aux dilemmes de la réorganisation structurelle du monde du travail.
La classe ouvrière au sens large (salarié·es), qui se prépare actuellement aux impacts de l’intelligence artificielle (et résiste, comme le montre la grève des scénaristes et des acteurices d’Hollywood), reste une force vivante et nombreuse, bien que restructurée, réprimée, moins consciente et organisée qu’au siècle dernier. Les grands complexes industriels avec des dizaines, des centaines de milliers de travailleur·ses s’étendent en Chine et dans toute l’Asie du Sud-Est. Néanmoins, dans le contexte où la classe ouvrière industrielle a perdu de son poids social dans une grande partie du monde capitaliste avancé, les secteurs opprimés, les jeunes et les nouvelles franges de travailleur·ses précaires ne sont pas encore organisés de manière permanente et ont en général des difficultés à s’unir avec le mouvement syndical affaibli. Dans le même temps, les méthodes traditionnelles d’organisation des syndicats échouent souvent à répondre adéquatement aux besoins du précariat d’aujourd’hui. Pour leur part, les paysan·es d’Afrique, d’Asie du Sud (Inde et Pakistan) et d’Amérique latine résistent elleux aussi courageusement à l’invasion de l’agro-industrie impérialiste. Les peuples indigènes, qui représentent 10 % de la population mondiale, résistent à l’avancée du capital sur leurs territoires et défendent les biens communs indispensables à l’ensemble de l’humanité. La défaite du Printemps arabe, la tragédie syrienne et maintenant l’avancée expansionniste du sionisme va retarder et retarder encore la capacité de résistance des peuples du Proche et du Moyen-Orient – malgré cela, nous voyons le soulèvement héroïque des femmes et des filles d’Iran.
Après la crise de 2008, on a assisté à une reprise des mobilisations de masse dans le monde entier. Printemps arabe, Occupy Wall Street, Plaza del Sol à Madrid, Taksim à Istanbul, juin 2013 au Brésil, Nuit Debout et Gilets jaunes en France, mobilisations à Buenos Aires, Hong Kong, Santiago, Bangkok. Cette première vague a été suivie d’une deuxième vague de soulèvements et d’explosions entre 2018 et 2019, interrompue par la pandémie : la rébellion antiraciste aux États-Unis et au Royaume-Uni, avec la mort de George Floyd, les mobilisations de femmes dans de nombreuses régions du monde, les révoltes contre les régimes autocratiques comme en Biélorussie (2020), une mobilisation massive des agriculteurices indien·es a été victorieuse en 2021. En 2019, des manifestations, des grèves ou des tentatives de renversement de gouvernements ont eu lieu dans plus de cent pays : dans six d'entre eux, les gouvernements ont été renversés avec succès, dans deux autres, la composition des gouvernements a été complètement modifiée par des changements ministériels.
Au lendemain de la pandémie, il y a eu trois mois de résistance en France contre la réforme des retraites de Macron et le soulèvement des travailleur·ses, des étudiant·es et du peuple en Chine qui a mis en échec la politique Zéro Covid du PCC. Aux États-Unis, le processus de syndicalisation et de lutte se poursuit dans de nouveaux secteurs (Starbuck’s, Amazon, FedEx), avec l’émergence de nouveaux processus anti-bureaucratiques partis de la base, avec des grèves principalement dans l’éducation et la santé. En 2022/2023, la grande grève des scénaristes et des acteurices d’Hollywood, ainsi que la grève historique et jusqu’à présent victorieuse des travailleur·ses des trois grandes entreprises automobiles du pays.
Bien sûr, le rapport de forces actuel n’est pas du tout favorable et le temps n’est pas à l’offensive, tout comme il ne l’était pas pendant la pandémie – qui, cependant, a conduit au mouvement Black Lives Matter, si important pour la défaite de Trump en 2020, et à la grève française contre la réforme des retraites, si fondamentale pour expliquer la remarquable capacité de réaction électorale de la gauche française en 2024. Souligner, à juste titre, que la précédente vague de luttes a reflué, et que l’extrême droite montante est aujourd'hui un ennemi fondamental et dangereux ne peut pas nous conduire à conclure que les exploité·es et les opprimé·es du monde sont défait·es, écrasé·es pour une longue période. Par contre, dire que nous ne sommes pas historiquement vaincu·es ne signifie pas non plus caractériser la situation comme offensive ou révolutionnaire. Au-delà de “l’offensivisme” et de l’impressionnisme défaitiste, il y a la place pour un pari réaliste sur la capacité des exploité·s et des opprimé·es à continuer à résister au capital et à ses conséquences néfastes, à lutter pour leur survie et de meilleures conditions de vie, au milieu des guerres, des bouleversements climatiques et des plans d’ajustement, bien qu’avec des nouvelles formes d’organisation et avec plus de difficultés qu’auparavant.
IV/ Une époque de guerres et de changements géopolitiques rapides. Vers une reconfiguration de l’ordre mondial
La confrontation entre les États-Unis, l’impérialisme dominant, et la Chine, l’impérialisme émergent, domine la situation géopolitique internationale. Une caractéristique particulière de ce conflit est le degré élevé d’interdépendance économique entre les deux, un héritage de la mondialisation néolibérale. La mondialisation comme nous l'avons connue jusqu’en 2008 n'est plus, mais il n’y a pas non plus de démondialisation. Les conflits géopolitiques sont un symptôme de cette crise structurelle et, là aussi, nous entrons dans un territoire inexploré et sans précédent.
Le désordre en construction rend le monde plus conflictuel et plus dangereux. Il y a quelques années, l’instabilité et le chaos géopolitique apparent s’aggravaient avec l’administration Trump 1.0 et sa focalisation sur la guerre économique avec la Chine, mais elle a fait un premier saut qualitatif avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine en février 2022, et un second saut avec la guerre provoquée par l’expansionnisme israélien, soutenu ouvertement par les États-Unis et moins ouvertement par les impérialismes européens. La situation s’est aggravée avec le renforcement de l’OTAN pour répondre à Poutine et le soutien financier et militaire des États-Unis à l’objectif de Netanyahou de redessiner les frontières dans tout le Moyen-Orient. Ainsi, l’industrie de guerre réalise des milliards de dollars de profits, au prix du sang de centaines de milliers de personnes.
Malgré leur rôle dans l’OTAN, leur leadership et leur soutien la guerre impérialiste d’Israël, il y a, d'un point de vue historique, un affaiblissement relatif de la puissance hégémonique des États-Unis – et il n'y a rien de plus dangereux qu'une hégémonie contestée – parce qu’ils ont déjà des concurrents économiques et géopolitiques. De nouveaux impérialismes s’affirment, comme la Russie, ou émergent d’une façon moins belliqueuse, comme la Chine. Il s’agit d’une reconfiguration en cours dans un contexte mondial d’immense instabilité, sans que rien ne soit consolidé. En tout état de cause, l’unipolarité du bloc sous leadership américain issu de l’effondrement de l’URSS n’existe plus. L’Inde cherche cependant à s’affirmer comme une puissance régionale (ou du moins sous-impérialiste) en jouant un double jeu : elle maintient une alliance politique avec les États-Unis et une rivalité avec la Chine, mais entretient une intense relation de coopération économique (pétrole) et technologique (industrie de guerre) avec la Russie, et participe aux BRICS.
4.1. Les guerres et les tensions géopolitiques se multiplient
Nous assistons à une multiplication des situations de guerre de toute sorte dans le monde : guerres civiles (comme au Soudan et au Myanmar), guerres et tensions inter-impérialistes, guerres impérialistes de colonisation (comme celle d’Israël vers ses environs). Les tambours battent en Europe et dans les parties du Moyen-Orient qui ne sont pas encore atteintes par l’expansionnisme israélien (qu’en sera-t-il de l’Égypte et de la Syrie ?). Les tensions géopolitiques s’accroissent en Asie de l’Est. Les revendications chinoises sur la mer de Chine méridionale bafouent les droits maritimes d’autres nations. Les tensions militaires dans la péninsule coréenne, le détroit de Taïwan et la mer de Chine méridionale se poursuivent et s’aggravent. Il semble que la Chine ne souhaite aucunement le déclenchement d’une guerre dans ces trois régions, mais, bien sûr, on ne peut exclure la possibilité que des événements inattendus – y compris un changement radical dans la situation intérieure de la Chine elle-même – conduisent à des tensions militaires devenant si extrêmes qu’elles puissent mener à une guerre régionale.
La Chine accélère son propre renforcement militaire, notamment en développant sa marine et en se déployant dans l’espace, afin de concurrencer les États-Unis et le Japon. Elle a délibérément provoqué, en particulier des navires philippins, dans le cadre d’une politique de défi indirect avec les États-Unis.
Les États-Unis visent à maintenir leur domination militaire sur cette région stratégiquement importante et à contenir la Chine. Dans une légère inversion de la trajectoire du président Duterte, le gouvernement philippin de Marcos Jr. s'est rapproché des États-Unis. Il est urgent de démilitariser la mer de Chine méridionale. Les États-Unis n'étant plus en mesure de renforcer leur présence militaire en Asie de l'Est, le Japon a partiellement repris le rôle militaire que jouaient les États-Unis, en augmentant rapidement ses dépenses militaires, en renforçant ses armements, en militarisant la chaîne des îles Nansei, du sud-ouest de Kyushu au nord de Taïwan, et en promouvant l'intégration des forces armées japonaises et américaines. Cette situation résulte de la pression de l'impérialisme US et de la volonté de l'impérialisme japonais de disposer d'une force militaire plus puissante pour défendre ses intérêts en Asie de l'Est et du Sud-Est.
Depuis le début de l'année 2024, les tensions entre la Corée du Nord et la Corée du Sud se sont de nouveau intensifiées après une période de dialogue. La Corée du Nord a abrogé l'accord intercoréen de 2018 visant à réduire les tensions et, en octobre 2024, a modifié sa Constitution pour désigner le Sud comme un État hostile. Les gouvernements nord et sud-coréens, soutenus par la Chine et les États-Unis, adoptent une ligne dure de confrontation.
La menace nucléaire devient plus concrète. Il existe déjà quatre points chauds nucléaires localisés. L’un d’entre eux se trouve au Moyen-Orient, il s’agit d’Israël. Trois se trouvent en Eurasie : l’Ukraine et la Russie en Europe, l’Inde et le Pakistan, ainsi que la péninsule coréenne. Cette dernière est la seule à être active. Le régime nord-coréen procède régulièrement à des essais et à des tirs de missiles dans une région où la force aéronavale américaine est stationnée et où se trouve le plus grand complexe de bases américaines à l’étranger (au Japon, en particulier sur l’île d’Okinawa).
4.2. Les États-Unis, une hégémonie en crise qui essaie de se réaffirmer
L’émergence de rivaux n’enlève pas aux États-Unis leur nature de pays le plus riche et le plus puissant militairement, doté d’une puissance de guerre sans précédent et d’une bourgeoisie la plus convaincue de sa “mission historique” de dominer la planète à tout prix, et donc de faire la guerre en faveur de la continuité de son hégémonie. L’Oncle Sam est celui qui a effectivement le dernier mot dans la “collectivité” impérialiste. Le fait est que si les États-Unis sont imbattables en matière de coercition, ils ont un sérieux problème, inédit depuis la guerre du Vietnam : une hégémonie impérialiste (comme toutes les hégémonies) ne peut être maintenue que si elle convainc également ses alliés et son opinion publique intérieure. Les États-Unis ont de très graves problèmes de légitimité extérieure mais aussi, et c’est encore plus grave, de légitimité interne, des éléments qui n’existaient pas dans la période précédente de supposée “unipolarité” et de “guerre contre le terrorisme” dans les années 1990. Son élite économique et politique est divisée comme jamais auparavant sur le projet de domination interne et est obligée de faire face à l’imbroglio de défaire les chaînes de valeur qui ont profondément lié l’économie américaine à l’économie chinoise au cours des 40 dernières années
En plus de leur relatif déclin économique, les États-Unis constituent une société et un régime démocratique bourgeois en crise ouverte depuis que le Tea Party et Trump ont pris le contrôle du Parti républicain de l’intérieur – avec la prétention de changer les règles de la plus ancienne démocratie bourgeoise du monde – et que la polarisation s’est accentuée. La tendance de cette crise est de s’approfondir davantage et, avec Trump à la Maison Blanche, de contribuer à affaiblir “l’Amérique”, autrefois toute puissante – parce qu’elle sera confrontée à des conflits entre l’exécutif, le Congrès et la justice, capables de nuire à ses objectifs globaux.
Les États-Unis ont travaillé à découpler leur économie de celle de la Chine, mais à l’exception du secteur des technologies de pointe, il est impossible de couper les chaînes d’approvisionnement mondiales dans lesquelles la Chine joue un rôle clé. Les États-Unis n’ont donc pas d’autre choix que de continuer l’affrontement (et à imposer des sanctions) dans le secteur des hautes technologies et à s’engager dans une rivalité militaire tout en restant économiquement interdépendants.
4.3. La nature de la Chine actuelle
Le “grand bond” chinois des 30 dernières années est de nature capitaliste. Héritier d’une grande révolution sociale et d’un tournant restaurateur à partir des années 1980, indispensable à la refonte néolibérale du monde (menée en partenariat avec les États-Unis et leurs alliés), l’impérialisme émergent chinois a des caractéristiques particulières, comme tous les impérialismes. Il repose sur un capitalisme étatique centralisé au sein du PCC et de l’armée chinoise, un capitalisme de développement avec des politiques ouvertement développementalistes où la plupart des grandes entreprises sont des joint-ventures entre des entreprises appartenant à l’État ou contrôlées par l’État et des entreprises privées.
Le parti-État ne contrôle pas tout dans l'économie. Il n'y a pas de planification centralisée, comme c'était le cas en Union soviétique. Le modèle économique capitaliste chinois doit également satisfaire les exigences des forces du marché, qui déterminent les actions du gouvernement. En d'autres termes, elles influencent les politiques planifiées et mises en œuvre. La planification a donc lieu dans la convergence des politiques de planification initiées par l'État avec les intérêts et les actions du marché, y compris le marché libre au niveau national et international, y compris ses mouvements en dehors du contrôle de l'État.
L'impérialisme émergent de la Chine est, bien sûr, toujours en cours d'élaboration. Depuis le début du siècle, les exportations de capitaux de la Chine ont augmenté de manière significative avant de se stabiliser en 2016. Les investissements directs dans l'économie chinoise, en revanche, sont en baisse depuis 2020 en raison des incertitudes géopolitiques. Ainsi, depuis 2022, la Chine est un exportateur net de capitaux (elle exporte plus de capitaux qu'elle n'en importe). Les entreprises chinoises ont pris des participations importantes dans les entreprises énergétiques, minières et d'infrastructures des pays néocoloniaux (Asie du Sud-Est et centrale, Afrique et Amérique latine) et le dragon est devenu le plus grand déposant de brevets au monde. Elle investit de plus en plus dans l'armement et met en garde, avec une véhémence croissante, qu'il existe une (ou plusieurs) ligne(s) – Taïwan et la mer de Chine méridionale – que les rivaux et les États plus faibles ne doivent pas franchir.
La Chine n'a pas encore envahi ou colonisé “un autre pays” sur le modèle européen ou américain, bien que sa politique à l'égard du Xinjiang soit colonialiste. Aujourd'hui, la Chine est la première puissance non occidentale à exploiter les richesses de l'Afrique. Les créanciers chinois détiennent 12 % de la dette extérieure globale de l'Afrique. La Chine est déjà le premier partenaire commercial de la quasi-totalité des pays d'Amérique latine et un investisseur majeur (secteur de l'énergie). Elle utilise son pouvoir économique pour imposer des échanges inégaux par le biais de prêts garantis par les ressources naturelles, d'accords commerciaux ou d'investissements dans les industries extractives et les infrastructures.
4.4. La Russie impérialiste
La Russie d’aujourd’hui est l’État résultant de la destruction massive des fondations de l’ancienne Union soviétique et de la restauration capitaliste chaotique et non centralisée qui y a eu lieu – de la prise de contrôle d’anciennes et de nouvelles entreprises par des bureaucrates transformés en oligarques. Poutine et son groupe, issu des secteurs des anciens services d’espionnage et de répression, ont élaboré au début du siècle le projet de recentralisation du capitalisme russe, en utilisant les relations bonapartistes entre oligarques et une version du 21e siècle de la vieille idéologie nationale-impérialiste de la Grande Russie, transformée en principal instrument pour réaffirmer le capitalisme russe dans la concurrence impérialiste et pour accroître qualitativement la répression des peuples de la Fédération – y compris le peuple russe. La nature ultra-répressive du régime de Poutine pourrait évoluer vers le fascisme.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a été préparée pendant des années. Elle faisait partie d’un grand plan visant à restaurer l’Empire russe à l’intérieur des frontières de l’URSS stalinienne, mais avec Catherine II comme point de référence. Pour Poutine, l’existence de l’Ukraine n’est qu’une anomalie dont Lénine est coupable et qu’il faut réintégrer dans le giron russe. L’occupation militaire du Donbass, de Louhansk et de la Crimée en 2014 a constitué la première phase de l’invasion. L’opération dite « spéciale » devait être très rapide et se poursuivre jusqu’à Kiev, où un gouvernement subordonné devait être mis en place. Les forces occidentales, prises au dépourvu, n’ont pu que s’incliner devant le fait accompli. Ce qui a arrêté la machine de guerre de Poutine, c’est l’ampleur de la résistance ukrainienne, imprévue par Poutine, mais aussi par l’Occident.
4.5. L’Europe : le vieux continent en déclin et en conflit
La nouvelle situation mondiale affecte dans une large mesure l'Union européenne et l'Europe dans son ensemble. Le continent se réchauffe deux fois plus que le reste de la planète, avec des précipitations extrêmes, des vagues de chaleur marines, etc. La crise économique frappe durement la région, avec une croissance de la productivité de seulement 10 % depuis 2002, contre 43 % aux États-Unis, et une crise profonde dans l’industrie automobile. Le mouvement ouvrier est en grande difficulté, notamment en Espagne et en Italie, où la gauche a subi un énorme revers après avoir géré un système qui ne prévoit plus rien à redistribuer. La construction d’une force politique ouvrière indépendante est un processus très lent, avec des rythmes différents selon les pays. Cependant, la classe ouvrière a encore une capacité d’intervention considérable, comme on l’a vu en France avec le mouvement des retraites et le Nouveau Front populaire, ou en Grande-Bretagne avec la réaction aux émeutes racistes et le mouvement sur la Palestine. Le déclin économique relatif, l’affaiblissement structurel de la classe, combinés aux mauvaises expériences avec les gouvernements dits de gauche et à la croissance des migrations résultant des guerres, du changement climatique et des interventions impérialistes, expliquent la croissance de l’extrême droite dans la plupart des pays, y compris des pays comme le Portugal, l’Allemagne et les pays scandinaves, qui jusqu’à présent semblaient protégés. Le fascisme est une menace de plus en plus réelle.
4.6. Instabilité généralisée
Des bombes et des drones tuent en Palestine, au Liban, au Soudan, au Yémen et dans la partie orientale de la République démocratique du Congo. En outre, nous assistons à des guerres civiles ouvertes ou secrètes, comme dans le cas du Myanmar, par exemple, et à la lutte constante des États d’Amérique latine contre les organisations criminelles qui, à leur tour, s’en prennent à la population, comme en témoignent le Mexique, le Brésil et l’Équateur.
Dans un Moyen-Orient troublé et menacé, l'effondrement du régime détesté de Bachar el-Assad a été un événement important. Un demi-siècle de dictature sanguinaire a pris fin. La chute du régime n'a pas été obtenue par des mobilisations de masse, mais par une opération militaire menée par une faction islamiste radicale. Cependant, l'aspiration du peuple syrien à la liberté et l'accumulation de la résistance depuis le début du soulèvement syrien ont joué un rôle important. La fin de l'ère Assad a été un soulagement pour des millions de Syriens. Les mouvements sociaux, féministes et démocratiques ont enfin la possibilité de s'organiser par le bas. Mais cet espoir s'accompagne d'une profonde méfiance à l'égard du caractère réactionnaire du groupe dirigeant, Hayat Tahrir al-Sham.
La Turquie, à travers l'Armée nationale syrienne, intervient également par ambition sous-impérialiste pour profiter de la reconstruction du pays mais surtout pour mettre fin à l'administration autonome kurde au nord et à l'est de la Syrie, dans la région du Rojava, à sa frontière. Paradoxalement soutenus par Washington et Tel-Aviv (pour défendre leurs intérêts), les Kurdes syriens s'efforcent de maintenir leur processus d'autodétermination et leurs structures administratives par tous les moyens disponibles, tant par la diplomatie que par les armes.
En Asie du Sud-Est, l'Inde entretient sa rivalité nucléaire avec le Pakistan. La Corée du Nord a renforcé sa dépendance militaire, politique et économique à l'égard de la Russie, en fournissant des armes et des munitions aux forces russes et en envoyant des troupes sur les champs de bataille en Ukraine. En échange, la Russie coopère au transfert de technologies à la Corée du Nord pour le développement d'armes nucléaires.
Au Myanmar, la résistance contre la junte militaire s’intensifie et a enregistré des gains militaires et diplomatiques significatifs. Une défaite militaire de la junte est possible. Bien que la Chine lui ait apporté un soutien décisif après sa défaite de 2021, elle adopte une approche pragmatique. Si la junte ne peut pas garantir la protection des investissements chinois, Pékin serait prêt à s’engager avec une autorité qui le pourrait.
Cette situation conflictuelle progresse dans la géoéconomie et la géopolitique de l’Afrique, où la Russie est en concurrence avec la France et les États-Unis sur le plan économique et militaire, en particulier dans les anciennes colonies francophones d’Afrique de l’Ouest. De son côté, la Chine continue d’essayer d’accroître son influence économique dans toutes les parties du continent africain ainsi qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Après quarante ans de mondialisation néolibérale, les pays semi-coloniaux continuent de concentrer des proportions plus importantes d’inégalités, de faim, d’absence de systèmes de protection sociale, de gouvernements autoritaires, d’expropriation et de conflits sociaux sanglants. Cependant, l’internationalisation financière, productive, commerciale et culturelle a également produit une égalisation perverse avec le Nord en termes de problèmes et de polarisation politique : la montée de l’extrême droite (Duterte, Bolsonaro, Modi, Milei), la croissance du pouvoir des organisations criminelles, les tragédies climatiques (comme en Inde, au Bangladesh, aux Philippines, au Brésil), les crises des systèmes étatiques et politiques, les guerres civiles (comme au Myanmar, au Soudan, en République démocratique du Congo, en Haïti) et les guerres entre pays.
Depuis le début du siècle, l’Amérique du Sud est le théâtre d’une série de luttes, de manifestations massives, d’estallidos (émeutes) populaires, d’élections de gouvernements réformistes nés de ces luttes et de beaucoup de polarisation politique – car le néo-extractivisme, l’exploitation prédatrice de la nature, la casse sociale, les inégalités, la violence quotidienne, la militarisation et les crises politiques se développent, ce qui nourrit aussi les alternatives d’extrême droite. Depuis 2018, un nouveau cycle de mobilisations a balayé, de manière radicale, les pays andins. Résistances, explosions et luttes sociales – qui ont combiné des revendications démocratiques et économiques – d’une part, et permanence de l’extrême droite comme ennemi central d’autre part. Ces luttes sont parfois canalisées par l’élection des gouvernements dits “progressistes” de la deuxième vague.
L'Afrique, cette région de 1,2 milliard d’habitants, et en particulier l’Afrique subsaharienne, est victime de la partie “inégale” d’un développement inégal et combiné. Elle reste le continent le plus pauvre du monde. La Banque mondiale estime que 87 % des personnes extrêmement pauvres dans le monde vivront en Afrique d’ici 2030. L’Afrique n’est responsable que de 4 % des émissions mondiales de carbone, mais 7 des 10 pays les plus vulnérables aux catastrophes climatiques se trouvent en Afrique. Quatre années de sécheresse dans la Corne de l’Afrique ont entraîné le déplacement de 2,5 millions de personnes. Le continent connaît une vague de conflits dont bon nombre sont liés à de nouvelles découvertes de pétrole et de gaz, et à la course au contrôle et à l’extraction de terres rares et d’autres minéraux critiques (cobalt, cuivre, lithium, platine) pour les technologies à faibles émissions de carbone nécessaires à “l’économie verte” des pays impérialistes.
Aux côtés des anciennes puissances coloniales, les États-Unis, la Chine et la Russie jouent un rôle important dans l’extraction de richesses par des formes de surexploitation et dans l’alimentation des conflits sur le continent. Des guerres régionales, coups d’État et guerres civiles continuent de définir l’économie politique du continent. La Russie est déployée pour saper l’influence occidentale et accéder à de l’influence dans la région. Une série de coups d’État en Afrique de l’Ouest ont miné la puissance du néocolonialisme français et les nouveaux régimes se tournent vers les concurrents de Washington pour obtenir des aides militaires et financières.
Le traité de Pelindaba, entré en vigueur en 2009, fait de la quasi-totalité de l'Afrique une zone exempte d'armes nucléaires légale et reconnue. La chaîne des îles Chagos, y compris l'île Diego Garcia (DG), vient d'être acceptée comme faisant partie de l'île Maurice, même si les États-Unis y conservent leur base militaire. L'AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) doit donc surveiller DG (qui a signé des accords avec les membres du traité) pour s'assurer de l'absence d'armes nucléaires dans les avions, les entrepôts ou les transits américains. La Commission africaine de l'énergie nucléaire devrait également être chargée de ce contrôle, mais il doit être effectué de toute façon, et le gouvernement mauricien doit l'accepter.
V/ L’émergence du “campisme”
Ces dernières années, nous avons malheureusement assisté à la croissance et à la propagation à de nouvelles couches de l’idéologie du campisme comme expression de la recherche d’alternatives au capitalisme. Expression issue de l’idée de l’existence de “deux camps” s’affrontant sur la scène internationale à l’époque de la guerre froide, l’idéologie campiste se fonde sur l’idée que contre le “camp” de l’impérialisme hégémonique, tout ennemi ou adversaire des États-Unis (l’ennemi de mon ennemi est mon ami) mérite d’être allié. Ainsi, ils défendent les régimes de Bachar el-Assad en Syrie, de Poutine en Russie, d’Ortega au Nicaragua ou de Maduro au Venezuela. Selon certains campistes, la Chine, assurément en grave conflit avec les États-Unis, serait non seulement meilleure que l’adversaire, mais aussi un modèle de socialisme.
Cette dangereuse tendance se fonde sur des préconceptions et des diagnostics erronés du monde, qui n’est plus bipolaire (en tout état de cause, la “multipolarité” ne garantit rien de positif). Elle se renforce parce qu’il est beaucoup plus facile de croire aux alternatives représentées par de vrais États (même s’ils ne sont pas des alternatives) que de relever le défi de les construire à partir d’en bas. En outre, la Chine dispose d’un puissant soft power (capacité financière et de propagande) pour convaincre les militants et intellectuels progressistes du monde entier de son statut de “modèle alternatif”. Diverses organisations dites communistes, héritières des vestiges des anciens partis communistes, apprécient particulièrement cette idéologie campiste délétère. De manière contradictoire, les campistes se développent également dans des secteurs de la jeunesse d'Europe et d'Amérique latine (au moins). Dans certains pays, des organisations de gauche de tradition anti-stalinienne s'en emparent également. La situation nous oblige à faire un effort organisé et permanent de propagande, d'éducation et d'actions concrètes spécifiques pour soutenir les victimes du raisonnement campiste – comme les peuples d'Ukraine, du Venezuela et du Nicaragua.
VI. Des exigences centrales pour une nouvelle ère
Face à l’extrême droite du Nord et du Sud, les politiques unitaires des exploité·es et opprimé·es, dont le front unique, sont un élément important de notre répertoire, sans jamais négocier ou accepter la perte de notre indépendance politique ou celle des mouvements sociaux. Comme par le passé, cette lutte contre l’extrême droite doit prioriser la défense des droits démocratiques tels que le droit de manifestation et de grève, le droit de vote et la liberté d’expression.
Il est urgent de défendre les droits des personnes racisées et stigmatisées et des militant·es, bien au-delà des rangs de ceux qui sont directement visés, en s’appuyant sur la mobilisation populaire – comme lors des manifestations antiracistes encourageantes en Angleterre – plutôt que sur les seules structures juridiques qui, trop souvent, ne parviennent pas à faire respecter l’État de droit dans les moments clés. Comprendre les racines profondes de la progression de l’extrême droite nous impose, d’une part, des politiques unitaires pour les vaincre dans les élections et les luttes et, d’autre part, de porter les revendications transitoires et écosocialistes, seules capables de conduire à une défaite stratégique du capitalisme.
Dans les pays aux régimes autoritaires (comme la Chine, la Russie, la Biélorussie, le Nicaragua, la Syrie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes, l’Iran et les autres califats) ou ceux qui ont des gouvernements élus mais de nature autoritaire (comme la Turquie, le Venezuela, les Philippines), notre politique est celle d’une opposition frontale au pouvoir, d’une lutte sans relâche pour les droits démocratiques et d’un soutien inconditionnel aux insurgé·es, comme celles et ceux du Myanmar et du Yémen.
Face à l’inégalité croissante entre les pays, imposée par le système capitaliste impérial, face aux guerres et aux conflits nationalistes qui font des millions de victimes, la Quatrième Internationale se dresse inconditionnellement contre tous les impérialismes et tous les colonialismes.
Nous défendons le droit à l'autodétermination et à la pleine indépendance des 17 territoires encore considérés comme des colonies, tels que Porto Rico, les Samoa américaines, le Sahara occidental, la Guyane française, la Martinique, la Nouvelle-Calédonie et les Malouines. Nous défendons un monde dans lequel aucun État ni aucune ethnie n’opprime ou ne restreint les droits des autres. La paix que nous proposons est une paix égalitaire et anticoloniale.
Dans ce contexte, l’initiative de tenir une large conférence militante contre le fascisme et l’impérialisme est d’une grande importance pour l’Internationale. Elle devra faire partie de nos priorités d’action sur tous les continents pour soutenir et renforcer cette idée, en travaillant à sa réalisation, par le biais de pré-conférences régionales ou continentales.
Nous luttons pour le démantèlement de tous les blocs militaires – OTAN, OTSC, AUKUS. Nous nous opposons à toute logique de partage des “sphères d’influence” au détriment des populations et à tout conditionnement néolibéral et politique de l’aide apportée. Nous nous opposons à l’utilisation cynique de la guerre en Ukraine pour augmenter les budgets militaires, comme en Europe.
Nous dénonçons tout chantage nucléaire de la part des deux parties. Nous continuons à lutter pour le désarmement mondial, en particulier en ce qui concerne les armes nucléaires et chimiques, pour une paix mondiale dans laquelle aucun État n’impose, n’envahit ou n’opprime un autre État, c’est-à-dire une paix sans colonisateurs et sans cimetières de peuples colonisés. La question du réarmement, de la nouvelle course aux armements, de l’énergie nucléaire, doit impérativement faire partie des activités des mouvements anti-guerre partout.
Nous nous opposons frontalement à l’idéologie campiste qui conduit à considérer la Chine et la Russie comme étant dans le “camp allié” des exploité·es et des opprimé·es contre les États-Unis, dans une répétition grotesque de l’époque de la confrontation sous l’Union soviétique. La prolifération de cette idée totalement déformée du monde qui existe réellement nous impose de mener une bataille idéologique et politique intense contre le campisme.
En Afrique, nous rejetons le discours impérialiste occidental qui, sous prétexte de rétablir l’ordre constitutionnel, veut soutenir des interventions militaires pour préserver ses intérêts. Nous luttons pour le retrait total des troupes françaises de toute la région, la fermeture de la base militaire américaine de Diego Garcia dans les Chagos de l’île Maurice et des bases américaines et chinoise de Djibouti. Nous luttons pour la fin de la guerre civile au Soudan : nous rejetons l’ingérence des Émirats arabes unis, qui ont armé l’une des factions militaires en conflit. Nous exigeons le départ des troupes du groupe Wagner du continent. Nous soutenons tous les efforts de conquête de la souveraineté politique et économique des peuples, dans le sens d’un mouvement nouveau et anti-systémique pour l’unité des pays et des peuples d’Afrique.
Les gouvernements dits “progressistes” en Amérique latine, avec toutes leurs différences de composition, d'origine et de base sociale, sont des gouvernements de conciliation de classe, ce ne sont pas nos gouvernements, ni les gouvernements des exploités et des opprimés. Nous n'y participons pas et nous ne leur devons pas un soutien inconditionnel. (Nous ne faisons pas référence à des situations exceptionnelles, comme au Venezuela et en Bolivie au cours de la première décennie du siècle, où les gouvernements ne comportaient aucune représentation directe de la bourgeoisie et où, en raison du degré de mobilisation et d'organisation des travailleurs, il y a eu d'intenses confrontations avec l'impérialisme et ses élites économiques.) Nous défendons le premier type de gouvernement contre les attaques de l'extrême droite et soutenons leurs mesures progressistes dans les domaines démocratique, socio-environnemental et financier, le cas échéant. Les tactiques concrètes à l'égard de chacun d'entre eux varieront en fonction du rapport des forces, de leur composition, du degré de “progressisme” de chacun et de la confiance que leur accordent les majorités laborieuses. Dans la situation actuelle, avec l'avancée de l'extrême droite dans le monde, en plus de promouvoir les meilleures formes de lutte contre le fascisme, avec des fronts antifascistes et l'unité d'action avec leurs représentants dans les mouvements, nous combinons le soutien aux mesures progressistes des gouvernements avec l'exigence qu'ils travaillent dans l'intérêt des travailleur·ses et des opprimé·es et qu'ils aillent de l'avant. En ce sens, nous soutenons les luttes contre leurs mesures néolibérales et prédatrices. Pour toute variante tactique, il est indispensable de maintenir, vis-à-vis d'eux, notre indépendance et celle des mouvements et partis où nous intervenons.
Nous luttons pour la satisfaction des revendications fondamentales, telles que les soins de santé universels et gratuits, les infrastructures de santé garanties par les États, un logement décent, un travail, des salaires et des pensions décentes, des prestations pour les personnes dans l'incapacité de travailler, ainsi que l’accès à l’eau et à l’énergie à bas prix.
Nous défendons le droit de toutes les femmes (et les hommes) concernées à une compensation pour le travail de soins (auprès des enfants, des personnes âgées ou malades) garantie par les politiques étatiques. Nous luttons pour le droit de décider d’avoir des enfants, pour le droit à l’avortement et à toutes les méthodes contraceptives, pour l’éducation sexuelle à tous les niveaux, pour des crèches publiques de qualité, pour des écoles à temps plein de qualité ; pour l’égalité des salaires, des opportunités d’emploi et des revenus entre les femmes et les hommes.
Contre le racisme structurel qui discrimine les Noir·es, les peuples autochtones et tous les groupes ethniques minoritaires racisés, en particulier lorsqu’ils sont migrants dans le Nord, nous proposons et luttons pour des politiques anti-discriminatoires, des réparations pour l’esclavage et le vol de terres, ainsi que des actions positives. Nous sommes aux côtés de toustes les migrant·es contre la xénophobie et les politiques d’expulsion. Pour la fin de tous les murs.
Contre l’homophobie et la transphobie, qui attaquent les personnes LGBTQIA+ dans le monde entier, nous élevons nos voix pour le droit le plus large de disposer de nos corps comme nous l’entendons et comme nous le souhaitons. Pour la pleine citoyenneté et les droits des couples gays, lesbiens et non-binaires, avec la possibilité de se marier, de concevoir et d’adopter. Nous défendons les personnes transgenres, la lutte contre la violence et leur pleine intégration dans la vie sociale.
Toutes ces luttes doivent s’unir pour vaincre les nouveaux fascismes, pour renverser les régimes d’exploitation et d’oppression, pour conduire à l’affrontement avec l’impérialisme, le colonialisme, en un mot le capitalisme.
L’une de nos tâches principales est d’encourager et de soutenir les luttes socio-environnementales, en œuvrant pour que les revendications écologiques anticapitalistes soient celles de toustes les travailleur-ses et des secteurs opprimés. Seule la force des mouvements des exploité·es et des opprimé·es sur le plan socio-environnemental peut faire face à l’effondrement climatique en cours et orienter l’humanité vers une alternative écosocialiste, telle qu’énoncée dans notre Manifeste.
La Quatrième Internationale lutte pour un monde dans lequel aucun État n’opprime, n’envahit, n’exerce d’oppression sur l’autre, où une paix entre égaux est possible, dans le respect de l’autodétermination des peuples. Nous luttons pour un monde décolonial, écologique et écosocialiste où la défaite du capitalisme et de sa logique permettra l’égalité entre toutes et tous, dans leurs différences. Un monde féministe, de toutes les ethnies et couleurs, de toutes les orientations et identités sexuelles, de toutes les croyances, de toutes les formes de vie humaine en symbiose et en équilibre avec la nature.
28 Février 2025