Depuis un mois, des luttes sociales d’ampleur ont lieu au Sri Lanka, île de 23 millions d’habitantEs. Les classes populaires font face à une inflation moyenne de 20 %, qui avoisine les 50 % pour les produits de première nécessité. L’électricité est rationnée et les habitantEs font la queue toute la journée pour trouver de l’essence. La dette de l’État équivaut à son PIB et le nouveau gouvernement négocie avec le FMI un « plan de sauvetage »… de la bourgeoisie, qui ferait payer la facture aux classes populaires. Le népotisme du clan Rajapaksa au pouvoir – Mahinda est Premier ministre, Gota est président et plusieurs ministres sont de la même famille – renforce la colère populaire. Jeudi 12 mai, le président a limogé son frère et l’a remplacé par un politicien bourgeois libéral, Ranil Wikcramsinhe. Nous avons recueilli le point de vue d’un militant trotskiste sri-lankais en exil, Don Samantha.
Où en est la mobilisation ?
La mobilisation est importante, au niveau des jeunes, des syndicats et du mouvement des femmes. C’est la question de la crise économique, de l’inflation et de la dette qui a mobilisé tout ce monde. Depuis 35 jours, la population organise un campement permanent place Galle Face, à Colombo (principale ville de l’île) devant la résidence du président, exigeant sa démission (#gotagohome) ou son emprisonnement (#gotagojail). Après deux ans de crise économique et d’atonie des syndicats et les partis de gauche, la mobilisation a surpris tout le monde. Elle repose surtout sur des jeunes, hors des organisations traditionnelles. Il y a un véritable foisonnement politique sur la place Galle Face, qui rassemble entre 1 000 et 5 000 occupantEs. Le 9 mai, l’ex-Premier ministre, Mahinda, a envoyé 2 000 voyous armés contre l’occupation. La police les a couverts et il y a eu des morts des deux côtés. Ils ont détruit le campement, mais le jour même l’occupation recommençait. De grandes manifestations de soutien aux occupantEs ont eu lieu dans tout le Sri Lanka.
Quelle est la situation politique actuelle au Sri Lanka ?
Le nouveau Premier ministre Wikcramsinhe, soutenu par les partis de la majorité gouvernementale, a déjà occupé cinq fois ce poste. Il a un lourd bilan : en 1983 son gouvernement a massacré les Tamouls [minorité ethnique du Sri Lanka] et il a soutenu en 1989 la répression sanglante du JVP [parti maoïste qui avait tenté un coup d’État]. Il est revenu aux affaires en 2015 sous l’égide des Rajapaksa… qui l’ont nommé de nouveau, car la mobilisation populaire rendait impossible le maintien en poste de Mahinda, et comme c’est un ami personnel du président, Gota pourrait si besoin lui éviter la prison.
Où en est la crise économique ?
Les deux problèmes principaux sont l’inflation et la dette. Le gouvernement navigue à vue avec à peine une semaine de réserve monétaire d’avance pour payer les fonctionnaires ou importer du pétrole. Et le FMI juge que l’instabilité politique du Sri Lanka est un frein à des plans d’aides.
Quel est désormais l’objectif de la mobilisation ?
Le 10 mai, une décision juridique a interdit à Gota et Mahinda de quitter le pays. L’objectif actuel est de dégager les Rajapaksa. Wikcramsinhe est chargé de la transition pour la bourgeoisie, en laissant les Rajapaksa s’éclipser discrètement et en rassurant les investisseurs et partenaires internationaux (d’où le remplacement récent du président de la Banque centrale).
Quel est le rôle des révolutionnaires dans cette situation ?
Organiser des comités locaux de la mobilisation dans les neuf provinces du Sri Lanka, y compris dans les zones tamoules. On pourrait former un gouvernement de toute la gauche comme contre-pouvoir. La question cruciale est celle de l’armée, qui contrôle réellement le pays. La mobilisation a des soutiens chez les soldats du rang. Ce gouvernement de toute la gauche devra également se prononcer sur la question nationale (la question de l’autodétermination des Tamouls). Nous avons besoin également de l’aide des révolutionnaires européens.
18 mai 2022
Propos recueillis par Stan Miller
Source l'Anticapitaliste