Notre orientation et nos tâches dans les mouvements sociaux

 

1. Pourquoi les mouvements sociaux sont-ils stratégiquement importants ?

Depuis de nombreuses années, la Quatrième Internationale a développé une pratique –- et dans une plus ou moins grande mesure une compréhension théorique –- selon laquelle les mouvements sociaux, dans toute leur diversité, peuvent jouer et joueront souvent un rôle essentiel dans la lutte pour le socialisme.

ll existe une multitude de mouvements sociaux : : par exemple les syndicats, mouvements de quartier, paysans et agriculteurs, écologistes, de femmes, LGBTQIA+, autochtones, racisé·es, handicapé·es. Ces mouvements sociaux articulent bien souvent plusieurs dimensions : contre l’exploitation sur le lieu de travail, pour la défense des lieux de vie et du vivant, et pour la libération face aux oppressions (notamment des femmes, LGBTQIA+, autochtones, racisé·es, handicapé·es). Notre approche vise à soutenir ces multiples dimensions des luttes, à les amplifier et à viser une jonction explicite des différents aspects et terrains de lutte vers un affrontement global avec les classes dominantes, qui s’appuient sur l’exploitation, les oppressions et la destruction des lieux de vie et du vivant.

Ces mouvements sont importants car ils sont l’auto-organisation de celleux qui contestent le système capitaliste de différentes manières. Le processus d’auto-organisation, notamment sur les lieux de travail, mais aussi dans d’autres contextes collectifs (établissements scolaires, quartiers, communautés rurales, etc., ou sur la base d’une expérience partagée de l’oppression) favorise le développement d’une conscience de classe face aux défis du système capitaliste, notamment des employeurs et de l’État, la politisation et l’élaboration de prémisses d’un programme de contestation du système capitaliste et de la perspective d’une société différente.

Alors qu’un parti anticapitaliste vise à développer un programme de lutte de classe comme synthèse des revendications dans le meilleur intérêt des exploité·es et des opprimé·es, le développement et la formulation de ces revendications sont mieux formulées par celleux qui sont les plus directement impliqué·es.

Nous avons commencé à développer cette compréhension en relation avec notre travail dans le mouvement des femmes, et cette approche se trouve dans les textes qui ont été adoptés lors de divers congrès et réunions des instances de direction sur la question de la lutte pour la libération des femmes et notre orientation vers la construction de mouvements de libération des femmes. (La révolution socialiste et la lutte pour la libération des femmes (1979),  particulièrement la deuxième partie La IVe Internationale et la lutte pour la libération des femmes : Notre orientation. Amérique latine : les dynamiques des mouvements de masse et courants féministes (1991), en particulier la partie III Notre orientation. Europe occidentale : Les évolutions de la lutte pour la libération des femmes (1991).)

Le premier texte expose, entre autres choses, nos différences à la fois avec celleux qui, à gauche, minimisent l’oppression des femmes en les considérant uniquement comme des travailleuses salariées, et avec celleux qui voient le patriarcat et les rapports de classes comme des processus parallèles, ce que nous appellerions aujourd’hui théorie des systèmes doubles.

Comme le soutient le document en réponse à cette première question : « De ce point de vue ils n’accordent de poids et d’importance qu’aux luttes que les femmes mènent en tant que travailleuses sur leur lieu de travail. Ils pensent que les femmes seront libérées, au passage, par la révolution socialiste et qu’ainsi elles n’ont aucun besoin de s’organiser en tant que femmes luttant pour leurs propres revendications. En niant la nécessité pour les femmes de s’organiser pour lutter contre leur oppression, ils ne font que renforcer les divisions au sein de la classe ouvrière et retardent le développement de la conscience de classe parmi les femmes qui commencent à se révolter contre leur statut d’infériorité. » L’orientation principale de la deuxième partie du document peut être résumée dans le slogan : Pas de libération des femmes sans révolution socialiste, pas de révolution socialiste sans libération des femmes .

Notre analyse initiale était par trop basée sur notre expérience du mouvement des femmes dans les pays capitalistes avancés, cela a été corrigé et développé notamment avec les travaux sur le mouvement des femmes latino-américain. La compréhension générale selon laquelle les oppressions spécifiques ne seront pas défaites simplement par une lutte sur le lieu de travail sans que la direction active des mouvements des opprimé·es montre la voie et souligne la réalité des oppressions spécifiques, est en général plus pertinente.

Dans une moindre mesure, mais néanmoins de manière significative, nous avons également approuvé des textes qui tirent des leçons des luttes des paysan·nes pauvres et des travailleur·ses agricoles, des mouvements LGBTQIA+, des luttes autour de la dette et des mouvements qu’elles suscitent, des mouvements anti-mondialisation et anti-guerre et des mouvements Indigènes/Premières nations et environnementaux, ainsi que, bien sûr, du rôle permanent des syndicats. Bouleversements sociaux, résistances et alternatives - Congrès mondial 2018.

i) Chacun de ces mouvements et d’autres encore ont leur propre histoire, leur propre dynamique et leur propre rapport de forces. Il existe des différences importantes entre les mouvements sociaux des opprimé·es et les mouvements sociaux plus généraux. Dans ce texte, nous cherchons également à dégager quelques principes généraux qui nous semblent importants

a) Les mouvements sociaux sont un moyen essentiel de mobiliser des couches des classes ouvrières et populaires, y compris les plus exploitées, opprimées et souvent marginalisées, en faveur du changement social – y compris potentiellement dans le cadre d’un changement révolutionnaire. Les mouvements sociaux sont avant tout la forme élémentaire d’organisation pour se défendre contre le système sur des questions sociales, démocratiques ou de discrimination. En cela, ils peuvent être le cadre d’action des exploitéEs, représenter leur force sociale. Les gens se mobilisent autour de leur propre situation politique et tirent ensuite de cette expérience des enseignements politiques plus généraux. De ce point de vue, le travail dans les mouvements sociaux peut et doit être un domaine clé de recrutement dans nos organisations aujourd’hui – et de formation de camarades, en particulier celleux issu·es de groupes plus marginalisés, au travail de masse.

Les mouvements sociaux peuvent s’influencer mutuellement – par exemple, les questions climatiques sont acceptées comme faisant partie de l’agenda syndical dans de nombreux endroits, alors qu’elles ne l’étaient pas il y a une dizaine d’années.

Ils jouent un rôle politique de premier plan car les mobilisations qui en résultent sont des lieux de confrontation contre les politiques des capitalistes et de leurs gouvernements, les situations d’oppression ou d’exploitation. Les crises cumulées subies dans la situation écologique, démocratique et sociale actuelle renforcent la place et le poids des mouvements sociaux.

b) Ces mouvements sont d’une importance stratégique pour nous car ces mobilisations des classes populaires sur leurs revendications sont le terreau de la lutte des classes et de la construction des rapports de forces politiques contre le capitalisme. Ils sont donc le creuset des revendications anticapitalistes transitoires.

c) Elles ont également une autre dimension stratégique, celle d’être le creuset de l’auto-organisation, de la prise en charge de leurs propres intérêts et de l’action politique directement par les exploitéE et les oppriméEs. En cela, elles dessinent ce que pourrait être une société basée sur une démocratie de conseils, de structures d’auto-organisation, d’associations et d’organisations sur les lieux de travail, dans les quartiers et dans les villes. Cela ne signifie pas qu’elles seront des outils suffisants pour parvenir à une démocratie de conseil – qui impliquera nécessairement une organisation révolutionnaire – mais elles en constituent une condition préalable essentielle.

Nous promouvons les principes de la Commune de Paris (rotation des postes, transparence dans la responsabilité et démocratie directe dans la prise de décision) auxquels nous ajoutons la nécessité de recréer la culture de la retransmission en direct de tout processus de négociation avec les gouvernements et les autorités dans le but de mettre fin à la culture anti-démocratique du secret.

Nous nous battons donc pour que ces mouvements gardent fermement leur indépendance vis-à-vis des pouvoirs en place et y compris des partis qui prétendent lutter contre le système. Les expériences récentes des gouvernements de Lula, de Syriza, du Printemps arabe et de bien d’autres montrent l’importance de la présence du mouvement de masse pour garantir les intérêts des exploitéEs.

ii) Nous cherchons donc à promouvoir la construction de mouvements sociaux et à intervenir en leur sein, en luttant pour des revendications et des modes d’organisation qui mettent en avant un agenda qui lutte pour les intérêts de la classe ouvrière, se battant pour qu’une perspective de lutte de classes soit adoptée par le mouvement dans son ensemble. Nos militant·es adoptent une attitude d’écoute et d’apprentissage de ce que font les autres militant·es plutôt que de supposer que nous avons toutes les réponses.

iii) Nous luttons pour la démocratie la plus large possible au sein des mouvements sociaux et souhaitons faire en sorte que les plus exploité·es et les plus opprimé·es puissent faire entendre leurs revendications et être représenté·es autant que possible. Cela signifie que nous nous battons également pour des structures et des processus de délégation clairs, en nous opposant à la fois à la “tyrannie de l’absence de structure” et à la bureaucratisation, car c’est le meilleur moyen d’impliquer activement le plus grand nombre de personnes.

iv) Tout en luttant pour l’unité la plus large du mouvement dans son ensemble, nous participons parfois à – ou même créons – une organisation/un groupement/un réseau de forces plus à gauche pour développer une intervention commune au sein d’un mouvement sur toutes ou sur certaines questions clés. Il est difficile de codifier quand cela est approprié, mais certaines des circonstances pertinentes apparaissent lorsque la direction existante est bureaucratisée et n’agit pas et/ou lors-qu’il y a un risque que des forces significatives (peut-être particulièrement parmi les jeunes) abandonnent l’activité en raison d’un manque de succès. Un autre contexte dans lequel nous pourrions nous organiser avec d’autres est celui où le mouvement dans son ensemble n’est pas à l’écoute des demandes de composantes clefs – par exemple les indigènes/Premières Nations, les migrant·es, les trans, etc. Les décisions de participer ou de créer de telles structures doivent toujours être prises collectivement par notre propre organisation – soit des fractions ou des commissions chargées de coordonner ce domaine de travail, soit de nos structures de direction. Nous devrions régulièrement évaluer si c’est le bon cap, si nous sommes capables de défendre nos propres idées de manière indépendante et si cela est pertinent.

v) Nous luttons pour une plus grande coordination des mouvements sociaux autour de revendications et de thèemes similaires à l’échelle internationale qui sont largement comprises au sein du mouvement et qui ont un sens à un moment précis. Nous cherchons à nous assurer que les structures au niveau international ne reflètent pas uniquement les parties des mouvements qui ont accès au financement – une lutte qui devrait être facilitée par le développement de la technologie qui permet des réunions en ligne avec traduction. Nous nous battons pour que ces structures soient véritablement internationales et qu’elles reflètent les préoccupations et les demandes de toutes les parties du monde et ne soient pas dominées par des organisations du Nord.

vi) Nous luttons pour que tous les mouvements sociaux adoptent une approche intersectionnelle sans perdre de vue leurs propres revendications.

vii) Nous luttons pour la coopération et le soutien mutuel entre les différents mouvements sociaux. Nous avons soutenu le développement des Forums sociaux mondiaux où les Assemblées générales des mouvements sociaux ont été l’occasion de déclarations communes mettant en évidence les liens et les points de convergence des différents mouvements sociaux, y compris des mouvements syndicaux. Aujourd’hui, cette idée est mieux résumée dans l’idée d’un “mouvement des mouvements” – mais l’idée n’est vraiment concrétisée nulle part, du moins au niveau international.

viii) Dans différents contextes, les mouvements peuvent être confrontés à la situation où des partis qui défendent les orientations préconisées par les mouvements eux-mêmes, et dans lesquels les militant·es et les dirigeant·es des mouvements sont elleux-mêmes actifs, peuvent prendre le contrôle de gouvernements locaux ou même nationaux. Les dirigeant·es des mouvements, comme militant·es de ces partis, peuvent alors se voir proposer et accepter des postes à responsabilité au sein de ces gouvernements. De même, de tels gouvernements peuvent proposer des postes à des militant·es de mouvements non alignés, affirmant qu’iels « « représenteront » » les mouvements.

Nous soutenons que la position des mouvements devrait être de rester totalement indépendants de toutes les structures gouvernementales. Néanmoins, les mouvements peuvent être confrontés à la difficulté de continuer à organiser une mobilisation de masse indépendante face à un gouvernement bénéficiant d’un soutien populaire et qui prétend soutenir et mettre en œuvre les revendications des mouvements.

ix) Si nos modes d’organisation au sein des mouvements sociaux se veulent le plus proche possible de la base et de l’indépendance politique vis-à-vis de l’État, nous ne sommes pas non plus opposé·es, dans certaines situations, à la dynamisation, voire à la création, d’organisations non gouvernementales (ONG). L’analyse de l’opportunité de le faire et de continuer doit être effectuée collectivement à travers les structures démocratiques de notre organisation, en évaluant si les règles qui les régissent et l’accès au financement public renforcent les objectifs politiques énoncés ci-dessous ou les restreignent.

x) Nous sommes favorables à ce que les mouvements sociaux posent la question du pouvoir. S’ils veulent pouvoir le faire sans se perdre dans le gauchisme ou le substitutisme, ils doivent être suffisamment larges pour que leur force et leur nature puissent objectivement s’opposer au pouvoir de la classe dirigeante. Ce fut le cas du Hirak en Algérie, des révolutions arabes, des Indignés dans l’État espagnol, du mouvement paysan en Inde et de la mobilisation populaire au Chili, par exemple. Dans la lignée des grands mouvements révolutionnaires du siècle dernier, nous soutenons que les mouvements de masse, dotés de structures d’auto-organisation du prolétariat en particulier, constituent une forme de pouvoir alternative à celui de la bourgeoisie. Nous mettons classiquement en avant le mot d’ordre d’Assemblée constituante, lié aux revendications transitoires, notamment sur les questions sociales – même si ce type de slogan doit être ajusté au cas par cas – pour défendre cette perspective.

xi) Nous pensons que les mouvements sociaux démocratiques devraient continuer à s’organiser même après la prise du pouvoir, sans parler de la réalisation de leurs principales revendications ou d’un changement de gouvernement dans une direction «“progressiste”». Nous notons par exemple l’expérience importante du mouvement des femmes au Nicaragua, qui a lutté contre la corruption de la révolution sandiniste initiale et pour les revendications des femmes en particulier. Les difficultés rencontrées par le mouvement des sans-terre au Brésil dans sa lutte pour une véritable réforme agraire, contre le gouvernement Lula en 2005/2006, en sont un autre exemple.

2. Les mouvements sociaux réactionnaires

Dans notre tradition, nous avons eu tendance à considérer les mouvements sociaux comme intrinsèquement progressistes. Cependant, nous ne devons pas ignorer le fait que la droite radicale a une tradition d’organisation autour des questions sociales. Les camarades du monde arabe ont souvent parlé des fondamentalistes qui organisent des services sociaux destinés aux couches les plus pauvres de la société pour fournir de la nourriture, des médicaments, etc. lorsque l’État ne le fait pas. C’est également une expérience des camarades du Pakistan et plus encore de l’Inde – où le BJP et les organisations qui l’ont précédé se sont construites sur cette base. Les évangélistes brésiliens ont suivi une trajectoire similaire en “s’organisant” dans les favelas.

Pegida est un autre exemple, de même que des organisations anti-vax dans les pays du Nord et des mouvements anti-IVG au niveau international. En général, ces mouvements n’ont pas de démocratie mais sont plutôt des organisations de façade pour les partis politiques d’extrême droite. Lorsque leurs revendications fondamentales sont réactionnaires, nous n’avons évidemment rien à voir avec eux, mais il peut arriver que nous fassions partie d’une mobilisation commune autour de revendications que nous soutenons tout en cherchant à rallier leur base à un véritable mouvement social fondé sur la démocratie et un programme plus équilibré et positif. Dans d’autres situations, les mouvements sociaux auxquels nous participons peuvent préférer appeler leurs propres mobilisations qui peuvent chercher à atteindre la même chose – il s’agit d’évaluer le rapport de forces et le fait que nous ne souhaitons pas faire quoi que ce soit qui donne de la crédibilité à ces mouvements réactionnaires.

En tout cas, cela renforce la nécessité de faire partie des mouvements sociaux et de lutter en leur sein pour faire avancer des revendications et des programmes qui remettent en cause les politiques capitalistes et l’organisation capitaliste de la société, qui organisent la démocratie et la solidarité, face à des programmes racistes ou réactionnaires qui peuvent essayer de mettre en œuvre des idées d’extrême -droite qui soutiennent les intérêts capitalistes.

3. Les erreurs de la gauche

Malheureusement, notre approche des mouvements sociaux n’est pas universelle dans la gauche radicale. Les organisations staliniennes et maoïstes ont une longue tradition de création d’organisations de façade dont l’objectif principal n’est pas de faire avancer la lutte mais de servir de courroies de transmission à leurs propres partis, plutôt que de construire des mouvements sociaux unitaires. Bien qu’une telle approche ne soit pas théorisée de la même manière par d’autres organisations de la gauche radicale, l’IST (International Socialist Tendency avec le SWP britannique en son centre) et le CWI (Committee for a Workers’ International - Comité pour une Internationale Ouvrière avec le Socialist Party britannique en son centre) ont souvent eu tendance à utiliser la même approche.

Dans ces derniers cas, l’autre tendance est que l’investissement des militant.es dirigieant.es dans ces projets tend à être sporadique – et sur une seule question à la fois – basé sur leur jugement non pas de l’importance objective des questions sur lesquelles se fait la mobilisation mais sur leur potentiel de recrutement.

C’est également le cas de certaines organisations qui ne s’inscrivent pas exactement dans le même cadre – et au sein desquelles travaillent certains de nos camarades. Le Parti de Gauche en Suède, par exemple, parle d’être « la voix des mouvements » - mais il ne parle que de ses fronts et non de formations plus larges.

Des choses similaires se passent sur tous les continents et probablement dans tous les pays, ce qui est problématique parce que cela sape l’unité potentielle du mouvement concerné, mais aussi parce que cela donne à l’ensemble de la gauche radicale une mauvaise réputation au sein des mouvements sociaux où elle est présente.

Dans le même temps, nous devons nous prémunir contre le danger inverse, à savoir que notre soutien à l’autonomie et à la démocratie des mouvements sociaux ne nous empêche pas de promouvoir notre politique globale et de rallier des militants à notre cause.

4. Dangers généraux dans les mouvements

a) Bureaucratisation/manque de démocratie

Il existe un réel danger de bureaucratisation dans tout mouvement social, à moins qu’il y ait une préeoccupation vivante pour que les personnes actives à la base aient un réel impact sur la direction de l’organisation. Cela est vrai même dans les mouvements sociaux où il n’y a pas de personnel rémunéré ou où les conditions matérielles du personnel rémunéré sont peu différentes de celles des volontaires non rémunérés. Lorsque de nouvelles organisations sont lancées, c’est généralement parce qu’il y a un objectif commun urgent, ce qui signifie que de nombreuses personnes ne prêtent pas attention à ces questions – mais une fois que des erreurs sont commises, il est plus difficile de les changer par la suite et il est probable qu’elles compromettent leur capacité à se maintenir à long terme. Lorsque les organisations deviennent plus grandes, le danger est plus grand car les structures deviennent plus lourdes. Et certaines organisations deviennent hostiles à l’idée de discuter des moyens d’éviter ces dangers parce qu’elles se concentrent sur le lobbying et l’influence sur les politiciens ou les grandes ONG.

b) Clientélisme et entraide

Le texte du congrès mondial de 1991 sur l’Amérique latine:, « Dynamique des mouvements de masse et des courants féministes » a mis en évidence les dangers du clientélisme (c’est-à-dire l’attente que le soutien à (certaines) des demandes du mouvement sera “remercié” par un soutien au parti politique qui le fait) et de l’entraide (le mouvement fournit des services qui devraient être fournis gratuitement par la société dans son ensemble).

« Adresser à l’État les revendications touchant aux problèmes sociaux et politiques a l’énorme avantage de situer la responsabilité là où elle doit l’être, dans l’ensemble de la société et de ses institutions, et donne plus facilement de ce fait à l’action de masse un caractère politique.

« Des luttes et des mobilisations victorieuses font avancer la conscience globale ainsi que la force et de la confiance en leurs capacités. L’expérience nous a appris, pourtant, que cette voie n’est pas exempte de dangers : d’un côté, cela peut favoriser une dynamique clientéliste et, de l’autre, ayant obtenu gain de cause sur certaines revendications, les femmes peuvent se retrouver absorbées par des tâches administratives dans la provision des services. »

Il nous semble que ces dangers, contre lesquels, selon le texte, on peut le mieux se prémunir en luttant pour la démocratie la plus complète au sein du mouvement, sont des difficultés auxquelles tous les mouvements sociaux, en particulier dans les pays du Sud, sont susceptibles d’être confrontés.

Dans le même temps, nous sommes conscients que parfois les mouvements qui s’organisent pour répondre aux besoins immédiats des populations peuvent être essentiels en attirant davantage de forces vers l’activité, par exemple l’action de camarades au Pakistan fournis- sant de la nourriture aux prisonniers politiques libérés qui n’avaient aucune autre forme de subsistance et lorsqu’ils étaient le seul soutien financier de leur famille pendant leur incarcération. Ces formes de préfiguration peuvent, en d’autres occasions, contribuer à faire pression sur l’État pour qu’il fournisse des services sur une base continue ou plus large, par exemple en Grande-Bretagne dans les années 1970, des groupes de libération des femmes ont fait campagne pour des crèches communautaires et, dans certains cas, ont occupé des bâtiments vides et les ont aménagés elleux-mêmes, ce qui a amené de tels services à être mis en place par un certain nombre de conseils locaux.

c) Fragmentation

Si nous sommes favorables à la convergence des luttes et au soutien mutuel –ce que l’on appelle parfois “un mouvement de mouvements” – cela ne signifie pas que les mouvements adoptent des exigences sur tous les sujets. Par exemple, il est excellent qu’au sein de La Via Campesina il y ait des sections de femmes et de jeunes et des événements spécifiques qui réespondent à leurs besoins spécifiques dans le cadre de la campagne autour de la souveraineté foncière et alimentaire.

En revanche, au sein d’Ende Gelände, le mouvement écologiste d’action directe en Allemagne, certain·es ont suggéré qu’il doit prendre position sur toutes les questions politiques, ce qui risque de fragmenter et d’émousser le mouvement.

d) Gauchisme

Nous devons également veiller à lutter contre les logiques gauchistes au sein des mouvements sociaux, qui se caractérisent par : une rechercheé permanente de la radicalité pour la radicalité (dans la ligne politique et dans les méthodes de lutte) ; le refus du compromis, et de toute alliance avec d’autres franges progressistes des mouvements sociaux, perçues comme pas assez radicales ; et une déconnexion vis-à-vis de la conscience de classe des masses et une méfiance à l’égard de ces dernières. Dans une période marquéee par un reflux des mouvements révolutionnaires, ce type de logique tend à prendre une place plus importante, en cherchant à contrebalancer la relative faiblesse des mouvements de masse par une radicalité abstraite.

5. L’essor et le déclin du mouvement antimondialisation

Le point culminant de la coordination des mouvements sociaux au niveau international (et régional) a été atteint jusqu’à présent avec le développement des Forums sociaux mondiaux (FSM) et des forums régionaux qui se sont également développés. Le FSM a eu lieu pour la première fois à Porto Allegre, au Brésil, en 2001, et s’est déroulé chaque année jusqu’en 2016. Le retrait de la Marche mondiale des femmes et de La Via Campesina du Conseil mondial du FSM vers 2005 est à la fois un reflet et un facteur du déclin de son importance.

La courbe de participation aux forums a été inégale – reflétant dans une certaine mesure les courbes des principaux mouvements sociaux impliqués, mais aussi des développements politiques plus généraux. Le contexte fut d’abord le cycle de luttes entre 1995 et 2005, puis le cycle suivant. Il est à noter que ni le cycle de lutte qui a conduit au développement des mouvements indignad@s/occupy, ni la montée du Printemps arabe n’ont eu le FSM comme point de référence majeur ; ils n’ont pas non plus conduit à des mouvements sociaux permanents avec une coordination internationale.

Le contexte politique des premiers forums comprenait des développements majeurs en Amérique latine – en s’appuyant sur certains travaux des Encuentros (Rencontres continentales des mouvements féministes), mais en les centralisant, dans le sillage du soulèvement zapatiste au Chiapas en 1994 et aussi de la croissance du PT qui a conduit à la première élection de Lula en 2003. La manifestation massive contre l’OMC à Seattle – avec la participation d’un contingent important de syndicalistes – a également joué un role important, de même que les mobilisations contre la Banque mondiale, le FMI et le G8 (Washington en avril 2000, Prague en septembre 2000, Gênes en juillet 2001), en particulier en Amérique du Nord et en Europe. Le développement d’un mouvement international anti-guerre très important à partir de l’automne 2002, protestant contre l’invasion de l’Irak – avant l’invasion de mars 2003 et par la suite – a constitué une troisième impulsion clé pour certains des premiers forums. La mesure dans laquelle les développements politiques qui ont suivi la chute du mur de Berlin ont ouvert un débat sur les alternatives au capitalisme mérite d’être explorée.

Ces courants n’ont pas été les seules grandes organisations à s’impliquer dans le FSM dès le début. Parmi les autres organisations clés, citons le CADTM (fondé en Belgique en 1990), la Via Campesina (fondée en Belgique en 1993), Attac (fondée en France en 1998), la Marche mondiale des femmes (fondée au Québec en 2000).

Des syndicats et des syndicalistes ont soutenu le projet, de la CUT du Brésil, de la KCTU de Corée du Sud, la WOSA d’Afrique du Sud ; en Europe, outre la CGT et la FSU françaises, des syndicats de la DGB tels que l’IG Metall ou ver.di, les confédérations belges FGTB, CSC, en Grande-Bretagne UNITE et RMT, en Italie la FIOM, des syndicats américains de l’AFLCIO autour de Labor Notes et le courant des syndicats et syndicalistes révolutionnaires, CGT de l’État espagnol, COBAS, STI, USB, d’Italie, CONLUTAS du Brésil, CTA d’Argentine, Union syndicale Solidaires de France, syndicats qui font maintenant partie du Réseau international de solidarité et de lutte des travailleurs.

Suite au premier forum en 2001, les organisations brésiliennes qui avaient organisé le forum ont rédigé une Charte des principes. Deux éléments méritent d’être commentés dans ce texte d’abord son attitude vis-à-vis des partis politiques (qui, dans le texte, sont presque toujours confondus avec les partis gouvernementaux), Ne pourront participer au Forum en tant que telles les représentations de partis, ni les organisations militaires. Pourront être invités à y participer, à titre personnel, les gouvernants et parlementaires qui assument les engagements de la présente Charte.

De plus, les partis ne pouvaient pas organiser d’ateliers dans le cadre du forum ou tenir des stands sur le site. Mais la déclaration reflète également une croissance des idées autonomistes au sein du mouvement, mettant l’accent sur l’idée d’un pouvoir parallèle plutôt que sur la nécessité d’affronter et de démanteler l’État. Le slogan Un autre monde est possible pouvait être et était soutenu par des courants ayant des approches différentes de ce débat et d’autres.

Une deuxième déclaration interdisait aux Forums en tant que tels d’émettre des déclarations ou des prises de position, mais créait en même temps un espace pour le rassemblement des mouvements sociaux qui pouvaient le faire et l’ont fait.

La QI a mis des ressources importantes dans le mouvement anti-mondialisation, le mouvement anti-guerre et dans d’autres mouvements impliqués dans le processus des forums sociaux, ainsi que dans le FSM lui-même. En particulier, nos camarades ont joué un rôle majeur dans la convocation de l’Assemblée des mouvements sociaux qui a publié d’importantes déclarations de 2005 à 2015, quelque peu éloignées du forum lui-même mais qui ont néanmoins eu un impact.

Nous devrions essayer d’évaluer dans quelle mesure l’atrophie relative du mouvement sous cette forme a été le résultat de changements dans la situation politique internationale (par exemple, le recul de la marée rose (les gouvernements dits progressistes en Amérique latine), la montée d’une nouvelle extrême droite, le déclin du mouvement anti-guerre, etc.) et dans quelle mesure le résultat d’erreurs stratégiques des principaux courants politiques dirigeants le mouvement.

6. Conclusion

Ce texte s’appuie sur nos précédentes discussions collectives concernant l’importance des mouvements sociaux dans la bataille pour le socialisme :: leur importance stratégique dans la mobilisation et la politisation des couches d’exploité·es et d’opprimé·es, ainsi que leurs élaborations sur le plan programmatique et revendicatif pour enrichir notre propre programme. Cette approche représente un progrès majeur pour notre courant politique depuis des décennies et la codifier de manière plus systématique est une tâche importante. Produire les résultants les plus clairs possible, afin d’impacter notre théorie et notre pratique au-delà du Congrès lui-même, nécessite la discussion la plus large en notre sein. Il sera important de recevoir des contributions supplémentaires sur les conclusions théoriques et pratiques issues de ce travail. Nous pouvons d’ores et déjà indiquer un certain nombre de thèmes à développer :

• les mouvements de paysan·es pauvres, d’ouvrier·es agricoles et d’agriculteurs/trices percutent les hypothèses des premiers marxistes sur la relation stratégique entre le prolétariat et la paysannerie ;;

• le rôle stratégique des communautés indigènes et leur contribution essentielle à d’autres mouvements sociaux tels que les mouvements des femmes et/ou pour l’environnement ;;

• les raisons pour lesquelles le mouvement contre la dette a particulièrement bien réussi à étendre sa portée internationale à une époque où d’autres mouvements ont reculé ou ont dû modifier considérablement leur orientation et/ou leurs formes d’organisation ;

• le rôle des mouvements sociaux réactionnaires – peut-être en particulier en Asie et en Afrique du Nord ;;

• les relations entre les courants militant au sein des mouvements de femmes et des LGBTQIA+, ainsi que les nouveaux défis théoriques auxquels nous sommes confronté·es.

Nous constatons également que notre discussion collective est peu développée sur deux oppressions particulières – le racisme et la racialisation, et le handicap et le validisme. La première est particulièrement complexe parce que l’histoire de l’auto-organisation n’est pas seulement très différente dans les différentes parties du Sud, mais aussi au sein du Nord (car il concerne des populations différentes). Différents facteurs, historiques comme actuels, telles que la nature des relations coloniales, la présence d’une population indigène précoloniale, d’une population afro-descendante issue d’une économie esclavagiste, les différentes formes et causes des mouvements migratoires, influencent la manière dont le racisme est vécu et les formes de luttes et de mouvements antiracistes. Dans le même temps, nos réponses aux défis posés par le radicalisme noir et le marxisme noir sont insuffisamment développées. Enfin, nous n’avons pas abordé l’intersection entre l’auto-organisation des indigènes et des Noir·es, qui est importante, par exemple au Brésil. Là encore, il serait important d’avoir des contributions sur ces questions.

En ce qui concerne les questions du handicap et du validisme, il existe un grand nombre de théories marxistes élaborées par des personnes handicapées au sein des mouvements de personnes handicapées, ainsi que par des militant·es et des universitaires. Cependant, il y a moins d’intersections entre les mouvements de personnes handicapées et d’autres mouvements sociaux, bien qu’il y ait des organisations de personnes handicapées qui sont intersectionnelles, notamment les mouvements de femmes handicapées. Malgré les faiblesses historiques de la gauche dans son ensemble, en matière d’organisation des personnes handicapées et de participation en tant que personnes handicapées ou en solidarité avec les mouvements de personnes handicapées , il est important que nous soyons des défenseur·ses cohérent·es du modèle social du handicap. Le modèle social du handicap soutient que ce ne sont pas les déficiences elles-mêmes qui sont la cause de l’oppression des personnes handicapées. Le handicap est plutôt l’exclusion sociale des personnes handicapées en raison des besoins de la société capitaliste. Nous soutenons l’auto-organisation autonome des personnes handicapées et nous devons également lutter pour que tous les mouvements sociaux et la gauche soient organisés de manière à être aussi accessibles que possible aux personnes handicapées afin de garantir leur inclusion dans la gauche – ce qui signifie être solidaire des demandes des personnes handicapées et de leurs organisations, ainsi que des tactiques et des demandes qu’elles ont choisies. C’est un domaine dans lequel certaines de nos organisations travaillent et développent leurs idées – et nous accueillons volontiers des contributions sur cette théorie et cette praxis.

Les mouvements sociaux naissent et se remodèlent inévitablement dans un contexte de crise et de bouleversements, de sorte qu’il y aurait beaucoup de nouvelles questions à aborder. En particulier, il ne faudrait pas ignorer le développement majeur du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien depuis le 7 octobre 2023 et la réponse génocidaire de l’État israélien. Nous avons évalué les forces du mouvement – y compris son extension internationale –, la jeunesse et la féminisation de sa direction, la force croissante de la participation juive à la solidarité avec le peuple palestinien et la relation positive de ce mouvement de solidarité avec d’autres mouvements sociaux. Nous avons aussi évalué ses faiblesses – en particulier son manque relatif de force dans le monde arabe ainsi que, de toute évidence, l’effroyable rapport de forces pour le peuple palestinien dans son ensemble. Ces évaluations doivent être développées et/ou mises à jour en fonction des développements ultérieurs.

La compréhension et l’orientation des mouvements sociaux développées ici alimentent notre activité politique en tant que Quatrième Internationale au niveau national et international.

Annexe 1

Le mouvement féministe.

En 2021, la Quatrième Internationale a adopté une résolution intitulée « La nouvelle montée du mouvement des femmes ». Bien que légèrement antérieure au présent document, elle reste utile pour compléter sur l'état actuel du mouvement.

Annexe 2

Mouvements LGBTQIA+

Cette annexe ne prétend pas dresser un tableau complet de l’état de la lutte ou du mouvement LGBTQIA+, mais mettre en évidence certains des facteurs clés auxquels le mouvement et la gauche sont confrontés aujourd’hui, sur la base de notre expérience collective mais partielle.

Au niveau de l’attitude des classes dirigeantes, nous nous trouvons dans une situation contradictoire en ce qui concerne la politique LGBTQIA+, comme c’est le cas, dans une certaine mesure, pour d’autres questions sociales. D’une part, les politiques homophobes, misogynes et particulièrement transphobes sont des mobilisateurs centraux pour les principaux mouvements d’extrême droite. Trump et ceux qui l’entourent sont les plus visible d’entre eux, mais nous ne devrions pas minimiser le rôle des courants chrétiens évangéliques en Afrique et en Amérique latine ou les attaques contre les droits parentaux et d’adoption des couples de même sexe dans l’Italie de Meloni.

D’autre part, d’autres États prétendent défendre les droits des LGBTQIA+ dans le cadre des « droits de l’homme » tout en se concentrant sur l’idée que (1) la famille LGBTQIA+ (comme la famille hétérosexuelle) peut remplacer les services publics pour assurer la reproduction sociale ; (2) le marché arc-en-ciel est utile au capital pour faire du profit.

Cette tendance, qui existe depuis des décennies, s’adapte à l’agenda de l’extrême droite, même si elle n’est pas aussi grotesque que dans le cas de l’immigration. En même temps, il s’agit toujours d’un programme qui s’adresse surtout aux hommes homosexuels cis et qui les arrange.

Le mouvement LGBTQIA+ dispose de très peu de structures ou d’événements internationaux, ce qui rend difficile l’évaluation de l’équilibre des forces politiques.

Cette situation est aggravée par le fait que le Forum social mondial et les forums régionaux associés, qui fournissaient une certaine attention aux groupes radicaux au sein du mouvement, ne fonctionnent plus de la même manière.

Néanmoins, nous pouvons noter certaines tendances générales :

• Du côté négatif, nous devons noter – et trouver des moyens plus efficaces de s’y opposer – le développement d’un courant antitrans visible. Cette tendance ne se limite pas du tout aux lesbiennes, aux gays et très occasionnellement aux bi – beaucoup de ses figures les plus en vue sont des femmes cis – et est très souvent une minorité parmi les activistes, mais elle est néanmoins profondément pernicieuse. Sur le plan politique, nous pouvons voir comment cela s’inscrit dans un contexte plus large, certains étant apparemment heureux de faire cause commune avec des militants d’extrême droite et souhaitant en même temps promouvoir une vision des “droits sexuels” qui joue sur les notions de genre et de sexualité comme étant fixes (parfois données par Dieu), qui fait écho à la nécessité de “protéger” les enfants et les jeunes, et qui est profondément source de division. La plupart de ces courants sont également sexuellement négatifs et profondément hostiles à celleux s'identifiant comme travailleuse•rs du sexe. D’un point de vue plus positif, il y a cependant un certain nombre de développements à répertorier.

• Parmi les jeunes, malgré la croissance des idées d’extrême droite, on observe dans de nombreux contextes une attitude plus positive à l’égard des personnes qui explorent la sexualité et l’expression du genre. Cela a conduit au développement/à la proliféeration de nouvelles identités telles que les identités non binaires et a-genre, qui n’existaient pas vraiment de la même manière dans les périodes précédentes, ainsi que, dans certains contextes, à des formations sociales quelque peu distinctes pour les trans-femmes et les trans-masculins. Il y a là des dangers en termes de fragmentation – aggravés par le fait que les leçons tirées des périodes de lutte antérieures ne disposent pas de canaux d’exploration solides. En outre, le niveau d’atomisation et d’isolement imposé par le capitalisme à un stade avancé aux personnes les plus marginalisées peut entraîner un sectarisme né de la frustration.

• Certaines leçons et certains modes d’organisation qui ont vu le jour autour du VIH/sida, en particulier dans les pays capitalistes avancés, ont eu un impact sur certaines des organisations collectivistes les plus positives en réponse à la pandémie de covid 19, en termes de lutte pour que l’État protège les personnes les plus à risque. La variole n’a pas eu le mêeme impact, mais dans un monde où la crise environnementale signifie que d’autres pandémies sont inévitables, nous devrions nous en inspirer.

• L’implication visible de nombreux activistes queer, y compris des activistes trans et lesbiennes, dans les campagnes de défense et d’extension des luttes pour l’autonomie corporelle. La lutte pour défendre et étendre les droits à l’avortement dans la loi et dans la pratique a continué à être cruciale dans de nombreux territoires et continents.

Dans le même temps, l’implication des activistes queer dans ces campagnes a souvent permis d’obtenir un soutien plus large pour la lutte des personnes trans, en particulier des jeunes trans, en faveur de soins de santé respectueux de la vie.

• Au cours du mouvement Black Lives Matter, la visibilité de la mention spécifique des vies trans noires a été particulièrement encourageante. Nous ne sommes pas en mesure de tirer des conclusions sur ce que cela signifie pour la relation entre les mouvements noirs/indigènes/queer et trans dans différents territoires.

• Les activistes queer et féministes radicaux ont souvent été visibles dans la solidarité avec la Palestine, rejetant le pinkwashing de la société israélienne sous le prétexte du sexisme et de l’hétérosexisme incontestables du Hamas. Ces militant·es soulignent à juste titre que les femmes palestiniennes et les personnes LGBTQIA+ sont également victimes du génocide israélien, que l’oppression des personnes LGBTQIA+ palestiniennes sous le régime israélien (à l’intérieur et à l’extérieur de la “ligne verte”) est aggravée par les lois d’apartheid qui les visent en tant que Palestiniens, et que la société israélienne est loin d’être un modèle en matière de droits des femmes ou des LGBTQIA+, même en comparaison avec les démocraties capitalistes d’Europe occidentale ou des Amériques. Ces organisations et contingents s’appuient sur le travail effectué depuis longtemps par les militants et organisations queer de la région et par ceux qui travaillent au sein du mouvement de solidarité internationale, mais ils sont devenus beaucoup plus évidents à mesure que le mouvement s’est développé à l’échelle internationale au cours de l’année écoulée, voire plus. Bien qu’il y ait eu quelques tensions dans certains pays (par exemple au Danemark au début), dans l’ensemble, ce développement a rendu une section clé du mouvement queer plus visible qu’auparavant, clairement alignée sur une approche anti-impérialiste et plus accessible aux communautés qui auraient pu en être excludes auparavant. Les points soulevés par ces militants doivent être intégrés dans le discours du mouvement de solidarité au sens large.

Annexe 3

L'antiracisme

En matière de racisme et de racialisation, malgré les difficultés relevées en conclusion, il est utile de noter que deux événements mondiaux majeurs allaient fortement influencer et diviser ces mouvements : la «Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance des Nations-unies, à Durban en 2001, et les attentats du 11 septembre 2001. Lors de la Conférence de Durban, les débats houleux et les revendications conflictuelles ont porté sur : est-ce que le sionisme est une forme de racisme ?, la montée de l’antisémitisme est-elle due à l’oppression des Palestinien·nes par les différents gouvernements de l’État d’Israël ? ; l’exigence d’excuses individuelles de la part de chaque État s’étant engagé autrefois dans l’esclavage, ainsi que la reconnaissance de celui-ci comme crime contre l’humanité, assorti de réparations ; la réaffirmation du droit des réfugiés et la nécessaire protection des minorités ethniques, culturelles, linguistiques et religieuses ; la discrimination contre les Roms et les gens du voyage ; la reconnaissance explicite du lien entre sexisme et racisme. Par ailleurs, les attentats des Tours jumelles à New -York vont être utilisées comme prétexte pour amplifier une nouvelle forme de racisme, qui dans certains pays (la France et la Belgique) va être très difficile à faire reconnaitre : l’islamophobie. Nous assistons à deux basculements majeurs dans la lutte contre le racisme : dans les années 90 l’abandon du racisme biologique (la race humaine n’existe pas) qui sera remplacé par un racisme culturel, et plus tard cultuel, et dans les années 2000 le dépassement d’un antiracisme moral, basé sur l’antiracisme d’État et sa lutte contre la xénophobie (stéréotypes et préjugés) et discriminations interpersonnelles, par un mouvement plus radical, porté par des jeunesgénérations de racisé·es, souhaitant affronter le racisme institutionnel, systémique et structurel, surtout celui développé par l’État, ses appareils et ses gouvernements.

En 2020, un troisième événement va bousculer l’échiquier de l’antiracisme, lorsque nous avons vécu avec Black Lives Matter à la plus grande mobilisation antiraciste depuis les années 1960 et la lutte des Noir·es Américain·es. pour les droits civiques.

Partout dans le monde, des centaines de milliers de manifestant·es sont descendu·es dans la rue pour exiger des changements radicaux et durables sur la place des noir·es et afro-descendant·es dans nos sociétés (décolonisation des esprits, de l’enseignement, des musées et des espaces publics). Ces luttes ont mis en particulier en lumière les violences policières et ses pratiques racistes. La lutte antiraciste doit, dorénavant, concerner toutes les formes de racismes : minorités ethniques et religieuses ; les migrant·es / demandeur·s.euses d’asile et les débouté·es ; l’antisémitisme, l’islamophobie, la négrophobie et la romanophobie (au moins en Europe). Tout en soutenant l’auto-organisation des opprimé·es racisé·es, nous devons tenter d’unifier ces luttes dans un mouvement radical, large, pluraliste et unitaire (convergences des luttes), tout en défendant une approche intersectionnelle marxiste. À nous de faire les liens entre : les politiques impérialistes et de guerres pour soutenir des dictatures et contrôler et/ou piller les matières premières pour les multinationales occidentales, russes et chinoises ; les politiques d’ajustement structurel et les dettes dans le Sud global ; le réchauffement climatique, etc. comme les différentes causes des migrations vers les métropoles. D’où l’importance d’ouvrir les frontières et de défendre la liberté de circulation et d’installation, tout en revendiquant que les pays du Sud global puissent se développer et garder leurs intellectuel·les .

Enfin, combattre le fascisme veut dire combattre les partis d’extrême -droite mais aussi toutes les structures (médias, politiques étatiques, partis de gouvernement) qui participent à la normalisation de leur présence et de leurs idées dans le champ politique, cela veut dire penser stratégiquement (long terme) et tactiquement (court terme) nos alliances pour lutter contre la menace fasciste. Ce qui est essentiel dans nos luttes antifascistes, c’est de réaliser cette connexion entre les premières cibles de l’autoritarisme et la répression d’État, avec celles spécifiques de l’extrême –droite : les migrant·es et les racisé·es, les femmes, les LGBTQIA+, les minorités ethniques et religieuses, et les syndicalistes et autres militant·es de gauche. On ne pourra pas renforcer nos luttes antifascistes sans la présence des personnes subissant le plus violemment ces oppressions, et il est nécessaire de reconnaître l’importance du racisme dans la société en général et dans l’idéologie fasciste pour ce faire.

 28 février  2025

Quatrième internationale